Michel Gondry et Jean-Louis Bompoint se sont rencontrés en 1983, ils ont commencé à travailler ensemble dès la fin des années 80 en collaborant sur de nombreux spots publicitaires notamment pour Nike, Levi’s et le célèbre « Nespresso What else » servi par le flegmatique George Clooney.

Leur collaboration a donné naissance à des clips de légende, entre autres pour les Rolling Stones, Radiohead; un documentaire : « L’épine dans le cœur »; ainsi qu’un long métrage devenu culte : « La Science des rêves » en 2006. L’oeuvre de Gondry est fascinante car nombre de ses créations ont marqué toute une génération conservant des années après une certaine part de mystère dont seul lui et ses chefs opérateurs ont le secret. Jean-Louis fait partie de ces derniers et c’est aussi grâce à lui que j’ai pu embrasser cette profession. C’est donc très naturellement qu’il a accepté mon invitation et qu’il a bien voulu au fil de cet entretien partager avec nous l’un de ses souvenirs de tournage.

Jean-Louis, tu as mis en images en 2007 un clip pour Paul McCartney intitulé « Dance Tonight » réalisé par Michel Gondry avec en guest la sublime Natalie Portman. Il s’agit d’un clip assez étonnant visuellement, avec comme à son habitude un côté « Do it yourself ». C’est un clip qui pose tout de même quelques questions quant au secret de sa fabrication, qui relève d’un vrai travail d’illusionniste. Je sais que les magiciens ne donnent jamais leurs secrets mais peut-être voudras-tu faire une exception à la règle et également nous raconter la genèse de ce projet ?

– Michel m’a appelé, il m’a dit : « On va faire un clip à Londres avec Paul McCartney j’ai besoin de toi, tu viens me faire l’image, il y a un très gros décor de plusieurs centaines de m2, il va falloir que tu ailles faire des repérages ». Donc la production, Partizan, m’a pris un billet de train et je suis allé sur place. J’arrive sur le studio où tout était en construction avec Stéphane Rozenbaum, le chef déco, pour moi c’est un peu la surprise. Avant de partir, Michel m’avait simplement indiqué qu’il allait y avoir beaucoup de mouvements de caméra et qu’il ne voulait surtout pas être contraint par des sources au sol. Alors j’ai décidé de travailler avec des sources sur grill pour que la lumière parte du haut vers le bas, de manière à ce qu’il y ait un minimum de projecteurs sur le plateau. Ce qu’il ne m’avait pas dit, c’est que le décor était construit en double, d’un côté il y avait le décor normal avec les meubles, tapisseries et avec tout ce que l’on veut, mais de l’autre côté symétriquement, il y avait la même chose avec des cubes noirs et un fond noir.
Mais Michel, ce farceur, ne m’avait pas dit comment tout cela allait fonctionner sauf à un moment donné où il m’appelle et me dit : « – Alors comment ça se passe ? – Écoute, pas si mal que ça, j’ai trouvé comment éclairer etc ». Et là il me dit sans m’expliquer : « Alors tu vas me faire des essais sur des réflexions ». Je lui dis :  » Mais des réflexions de quoi ? – Ne pose pas de questions, fais-moi confiance, tu me fais des réflexions sur le décor et tu filmes ces réflexions ». Alors le chef déco, qui était dans la confidence, m’a bricolé une petite pièce avec sur une partie un décor, un fauteuil, des accessoires et sur une autre partie un fond noir et entre les deux, une vitre. J’ai commencé à travailler là-dessus et j’ai enfin pu comprendre ce qu’il voulait faire. J’ai fait le prototype, ça a marché, je suis revenu à Paris, on a envoyé tout ça à la production et peu de temps après Michel m’a dit : « C’est bon, on peut rouler! ».

Incroyable, il t’a bien mis à l’épreuve sur ce coup là, mais à voir le making of de ce clip vous avez l’air d’avoir une belle complicité !

– Pas étonnant, au moment du tournage du clip on travaillait ensemble depuis 20 ans déjà !

En effet, ça peut aider ! Pour en revenir au clip, tu as brièvement évoqué la façon dont tu avais éclairé ce décor, quel type de sources as-tu utilisé : du tungstène, du HMI?

– Comme tu sais, moi je mélange toujours les sources, HMI et tungstène, sur de la pellicule équilibrée en 5600K. Sur la structure en hauteur j’avais fait un mix de petites sources de type pocket PAR, de Dedolights, de mizards 300w et 500w mais aussi de sources plus puissantes équipées de Chimera pour concentrer et diffuser. C’était une assez importante installation technique avec de la correction, de la diffusion, des louvers, des drapeaux et des réflecteurs mais pour la plupart les projecteurs étaient en direct car il fallait absolument que la lumière soit canalisée et concentrée dans la partie « habillée » du décor et sur les personnages qui étaient en réflexion, sans éclairer le fond noir.

On voit d’ailleurs souvent le plafond dans la partie décor qui nous donne, à juste titre, le sentiment d’être vraiment chez Paul McCartney et non dans un studio, ce n’était pas trop contraignant ?

– Oui bien sûr, c’était une difficulté supplémentaire, il n’y a donc pas de contres lorsque les personnages sont très proches des murs mais j’ai beaucoup travaillé avec les lumières du décor, les lampes de jeu, les lustres, les abats-jours, les lampadaires, qui m’ont beaucoup servi pour éclairer. Un travail fait conjointement avec le chef décorateur, tu remarqueras qu’il y a même des lampes aux coins du lit de Paul !

Effectivement, et pour la partie en miroir du décor, la partie sombre, qu’as-tu installé ?

– Comme je te l’expliquais, la grande difficulté de ce tournage consistait à éclairer les personnages placés du côté noir du décor, sans éclairer ce même fond noir, ce qui aurait eu pour effet de dévoiler le « truc » et le tour de magie aurait été raté. Nous avons donc utilisé des HMI très diffusés pour des 3/4 contres, en faisant en sorte par une savante utilisation de drapeaux que seuls les personnages soient touchés par la lumière. Ces HMI produisaient une lumière froide en contraste avec la lumière chaude de la partie décor. Le personnage de Natalie bénéficiait occasionnellement de deux faces en contre plongée et en plongée placées le plus souvent près de la vitre avec un angle tel que les sources ne touchaient pas les éléments noirs du décor. Mais à dire vrai, le reste du temps, pour la figuration et les gros déplacements, je n’éclairais rien et c’était là le secret.

Ah oui, c’est surprenant ! Ce que l’on voit donc en réflexion n’est parfois que la lumière réfléchie et indirecte de la partie éclairée du décor réel ?

– Tout à fait, oui tu as tout compris.

Alors du coup les personnages que l’on voit en réflexion avaient-ils des vêtements particuliers, des choses qui capturent la lumière, un make-up spécial ?

– Il y a eu en effet un travail de costumes énorme, je ne sais pas si tu as vu les personnages, ils n’étaient pas habillés comme tout le monde, avec des cuillères accrochées aux costumes, c’était un travail esthétique très poussé sans être trop technique. En plus du blanc, certains personnages étaient par exemple recouverts de surfaces métalliques en papier d’aluminium et autres matières très réfléchissantes. Pour ce qui est du maquillage, Natalie était maquillée sans traitement particulier, ce n’est que le travail de la lumière qui accentuait sa présence. Petite particularité et anecdote, sa robe était en perles de bois parce que Paul McCartney avait demandé qu’il n’y ait rien qui provienne d’animaux sur le plateau. Nous étions tous obligés de laisser nos ceintures et ceux qui avaient des chaussures en cuir sont allés s’acheter une paire de tennis. C’était son caprice, mais le seul, car Paul McCartney était extraordinaire de gentillesse, un mec adorable.

As-tu cadré ce clip et peux-tu nous parler de la configuration caméra de ce projet?

– Non je n’ai pas cadré car il fallait que je me concentre sur les réglages et variations de la lumière qui était entièrement pilotée depuis un jeu d’orgue. La totalité des sources en tungstène étaient pilotables, ce qui constituait un sacré défi à ce moment là, et comme tu le sais, seuls les projecteurs HMI n’étaient pas contrôlables. Le cadreur était tout habillé de noir dans une combinaison fabriquée pour l’occasion en feutrine noir mat qui absorbait la lumière tout comme la majeure partie du décor. Nous avions une Arri 235 très légère avec des objectifs Cooke S2 ainsi qu’un Zeiss 10 ou 12mm T2.1, pour le plan embarqué du début. J’avais une assez grande profondeur de champ avec un diaph ouvert aux alentours de 5.6 et 8, c’est un peu ma marque de fabrique. Par ailleurs, étant donné le caractère particulier de ce dispositif avec des personnages en réflexion sur plusieurs plans dans la profondeur, il était préférable de les voir net pour ne pas anéantir l’effet car on comprendrait immédiatement qu’il y a une vitre.

Tu as choisi quelle émulsion et pourquoi?

– J’ai choisi la Kodak Eastmancolor 250D Vision 2 (5205) parce que c’est une pellicule qui est mixte, qui accepte à la fois le tungstène et le HMI, sans trop saturer l’un par rapport à l’autre. Ce choix était idéal quand on sait que j’avais mélangé plusieurs sources différentes. J’insiste sur le fait qu’il est important pour moi que tout se fasse et soit verrouillé à la prise de vues : les filtres correcteurs, les filtres de diffusions sont positionnés sur les sources et sur la caméra, des mires et des macbeth sont filmées au préalable pour chaque configuration lumière. Il est d’ailleurs très important pour moi qu’aussi bien le laboratoire que le coloriste respecte le travail effectué à la prise de vue et tire droit mes images.

Tu as travaillé avec tes équipes techniques habituelles ?

– Absolument pas, c’était que des anglais, mais ils étaient terriblement sympathiques, le gaffer était un type adorable. Nous avons tourné les extérieurs dans la campagne anglaise en lumière naturelle et nous avons fait ensemble ce magnifique travail en studio.

Tu avais de la machinerie particulière sur ce projet ?

– Non, que du trépied et de l’épaule pour la totalité des déplacements, c’est quelque chose que Michel aime beaucoup et ce côté parfois débullé avec ces accidents qui rendent l’effet encore plus réussi. La seule contrainte était de cadrer toujours légèrement de biais par rapport à la vitre pour ne pas masquer les comédiens avec le corps du cadreur. C’est également la raison pour laquelle très peu de sources étaient placées au sol si ce n’est dans la famille d’angles qui ne se trouvaient pas en réflexion.

Hormis le chroma key que l’on constate pour certains effets, est-ce que de manière générale tout était fait en prises de vues réelles ? D’ailleurs, comment avez-vous fait apparaître les assiettes en surimpression ?

– La quasi totalité des effets a été filmée en prises de vues réelles. Il y avait un vidéoprojecteur très puissant qui diffusait directement la lumière sur les personnages dans la partie éclairée du décor. Cela a été un travail d’exposition assez complexe, à jongler entre la cellule et le spotmètre en intégrant l’image réfléchie pour parvenir à ce résultat. Sans compter la synchronisation entre les comédiens situés de part et d’autre du plateau, orchestrée par notre chorégraphe Bianca Li. Les étincelles, les projections, les animations de lumière, cela n’a pas été simple mais on s’est bien amusés avec Michel. Sur la séquence de fin de la fête en sous-sol, on s’est complètement lâchés, les électros animaient les spots avec des miroirs ou en faisant bouger les sources, toute la figuration était déchaînée, Michel et moi avons joué de la batterie avec Paul dans un bœuf improvisé, quel souvenir !

 

Suite à ce clip, Jean-Louis a mis en images le segment réalisé par Natalie Portman pour le film « New-York I love You », lui permettant de compléter sa filmographie de fiction, qui comporte en plus de « La Science des rêves » deux autres longs métrages, « Grace is gone » de James.C.Strouse, avec  John Cusack en 2006 et « Broken lines » de Sallie Aprahamian, avec Paul Bettany en 2008.

Clip « Dance Tonight » ft Natalie Portman de Paul McCartney – Réalisateur : Michel Gondry / Directeur de la photographie : Jean-Louis Bompoint / Production: Partizan Midi Minuit 2007 / Label: MPL Communications Ltd. sous licence exclusive de Starcon, LLC

https://www.youtube.com/watch?v=4NEQyJm87LY

 

Dance Tonight making of :
https://www.youtube.com/watch?v=-lw5K7rbIqk

 

Page Youtube de Jean-Louis Bompoint