En 1997 sort « Around The World » des Daft Punk, l’un des morceaux les plus emblématiques de la French Touch et dont le clip a grandement contribué à son succès planétaire. A la réalisation on retrouvait le très créatif Michel Gondry et à l’image le tout aussi talentueux Alex Lamarque AFC.

Le clip met en scène de manière très visuelle la superposition de chaque piste sonore du morceau, matérialisée par plusieurs familles de personnages en mouvement. Parmi celles-ci, on peut notamment découvrir des robots portant des casques quelques années avant même que le duo d’artistes n’en porte pour leurs shows. Ces robots marchent de façon mécanique sur une platine vinyle géante et s’animent au son de la voix électronique du titre. Ils sont accompagnés d’athlètes break dancers qui grimpent sur une échelle et dévalent des escaliers dans un sens ou l’autre, au son d’une ligne de basse.

Un son de synthétiseur aux relents de disco entraîne dans leurs déambulations des nageuses synchronisées vêtues d’une tenue de bain rétro à paillettes. Au centre de la plateforme, des squelettes se déhanchent au rythme d’un riff de guitare tandis que sur la scène centrale, des momies se synchronisent sur la boîte à rythme du morceau.

« Around the World » est un clip concept où la mise en scène, la chorégraphie, les costumes, le décor, la lumière et la prise de vues représentent chacun un énorme défi artistique et technique, le tout réalisé dans un temps record. A part quelques croquis, une interview du réalisateur et un making-of très condensé, il est très difficile d’obtenir des détails sur la fabrication de ce bijou cinématographique.
C’est dans ce but que j’ai contacté Alex pour qu’il partage avec nous cette aventure hors du commun.

  • Salut Alex, peux-tu me raconter comment tu es arrivé sur ce projet ?

Michel a toujours des idées comme lui seul peut en avoir, et il avait déjà bien élaboré son projet avant mon arrivée. J’ai atterri là-dessus parce que j’avais déjà pas mal travaillé chez Midi-minuit. Je suis allé les voir, on a fait une réunion, c’était la première fois que je le rencontrais. On a discuté et il m’a expliqué en détail ce qu’il voulait faire. Évidemment, c’est un bosseur, il était déjà en contact avec une chorégraphe, Bianca Li et il avait imaginé un décor qui collait parfaitement à sa chorégraphie et l’idée précise qu’il s’en faisait.
Le concept était que chaque danseur représentait un instrument, il a donc construit une chorégraphie qui rythmiquement soulignait la basse, la batterie, l’orgue, la guitare, ça lui parlait beaucoup car Michel est un batteur.

  • Tu as donc travaillé en amont de la fabrication du décor ?

Oui, ils ont fait fabriquer ce décor par le chef déco, d’après les croquis de Michel qui représentaient une platine vinyle. L’échelle était très importante et calculée de sorte que l’on puisse à l’image penser que tout ça pouvait être très grand ou très petit.
Ils ont fait beaucoup d’essais pour calibrer aussi bien la hauteur des marches que la largeur de la plateforme en accord avec les danseurs. Il s’est ensuite dit qu’on allait mettre à l’intérieur et à l’arrière du décor de la lumière, notamment celle que l’on voit dans les cercles lumineux mais aussi sous les marches, le disque et le podium.

Pour la partie du fond, ce qu’on devait fabriquer c’étaient des pixels géants capables de reproduire n’importe quelle couleur. Avec Patrick Contesse mon chef électro on a mis trois mandarines sur gradateur derrière chaque cercle ainsi que de la gélatine rouge, verte et bleue.
Mais en fonction des couleurs on n’avait bien entendu pas les mêmes diaphs, alors on a réajusté le tout pour obtenir toujours la même puissance. On a calibré chaque source en fonction de sa couleur et on a reproduit le process quarante fois. C’étaient des boîtes bien étanches pour que ça ne traverse pas d’un côté ou de l’autre. Il a ensuite fallu diffuser tout ça deux fois afin d’uniformiser les trois faisceaux.
Pour l’anecdote, il n’y avait plus assez de mandarines ou de bols 500W chez le loueur, on était donc obligés de prendre d’autres trucs ce qui tu t’en doutes n’a pas simplifié les choses mais on s’en est plutôt bien sortis. J’ai tout éclairé au tungstène puisqu’il n’y avait pas de LED à l’époque, c’était la seule solution pour pouvoir faire varier la lumière donc on ne se posait pas vraiment la question.

  • D’ailleurs, comment avez-vous fait pour faire varier la lumière de cette manière si particulière ?

Sur le papier Michel s’était dit, on va recréer un mur de pixels, on va tout automatiser, tout enregistrer et quand on fera des prises, la lumière sera toujours synchrone à la musique que cela soit sur la scène, sur les danseurs ou à l’arrière-plan. Pour l’époque c’était un gros défi, surtout en si peu de temps mais c’était sans compter les sacrées ressources qu’avait Michel dans son entourage.

Ce clip c’est un peu une histoire de famille et chez les Gondry, ils sont tous doués. Son père avait développé un soft qui permettait de visualiser, de choisir et d’animer sous forme de matrice la couleur et l’intensité des pixels du décor. L’ordinateur générait un signal qui était traduit en RGB via une interface électronique faite maison et reliée à d’innombrables nappes et autres câbles Socapex.
C’est son frère, Olivier Gondry « Twist » qui s’est collé à souder tout ça, on a donc passé quasiment 48h sans dormir avant de tourner ! A un moment je suis allé me reposer quelques heures, mais je crois bien qu’Olivier n’a pas dormi du tout!

Au final ça a fonctionné, on a mis deux jours pour le prélight et un jour complet de réglages pour calibrer le programme, la lumière et les mouvements de caméra en corrélation avec les danseurs. Tout le grill était programmé au préalable sur pupitre, la lumière qui venait du sol également, tu faisais Play sur l’ordinateur et t’avais le morceau qui jouait ainsi que toute la lumière de façon synchrone via un code SMTPE qui pilotait le DMX. On a peut-être eu un plantage ou deux pendant la journée de tournage mais globalement ça marchait très très bien.

  • Pour la prise de vues tu avais une configuration précise, plusieurs caméras ?

Non, pas besoin de multicam puisque la lumière était parfaitement synchronisée ! On a tourné en 35mm avec une seule Arri III sur Technocrane et sur rails, j’opérais la tête aux manivelles. Les mouvements de grue étaient très précis, on n’avait pas de tête stabilisée à l’époque et avec la musique on ne s’entendait pas, j’avais donc un micro-casque pour parler au machino.
La Technocrane sur rails nous permettait de placer la caméra exactement là où on voulait et de faire des avancées dans l’axe en étant très proche des danseurs aussi bien au sol qu’en hauteur. On avait aussi installé un rail circulaire pour la dolly qui nous a servi à faire les plans en contrechamp depuis l’arrière de la plateforme.

Pour les optiques nous avions un Panavision Primo 10mm T1.9 et un Panavision Primo Zoom 17.5 – 75 T2.3 pour pouvoir recadrer plus facilement et ne pas avoir à rééquilibrer sans cesse la tête de la grue. C’était l’outil idéal pour ce projet d’autant que les studios où on tournait étaient suffisamment grands pour offrir le recul nécessaire.

L’émulsion, c’était de la Vision 500T, exposée à 1000 sûrement comme je le faisais à l’époque. Pour la vision 500T j’ai toujours mis ma cellule à 1000 ISO, j’ai toujours trouvé le résultat meilleur en rattrapant au TC qu’en poussant d’un diaph. Je travaillais donc en considérant que mon émulsion était deux fois plus sensible sans la surdévelopper.

D’autre part, la façon dont on a tourné ce clip était un peu particulière, on a ralenti la musique et on a tourné à 18 images par secondes, c’est pour ça que les personnages sont très speed. L’idée était de rendre les mouvements des danseurs plus robotiques et plus élastiques, on a donc ralenti de 28% la bande son, ce qui fait que lorsque tu repasses le tout à 25 images par secondes, ils sont accélérés.

  • Je sais que tu as eu un parcours dans la musique électronique, était-ce une motivation supplémentaire pour faire ce clip?

J’étais assez branché musique électronique car j’avais un label qui s’appelait Prozac Trax et qui faisait partie de la French Touch à petite échelle. C’est un label qui n’a jamais vraiment percé mais qui avait une ligne vraiment underground bien intègre pendant les années 95 à 2004.
Je faisais moi aussi de la musique électronique en tant que DJ, j’étais donc à l’époque à fond dans ce genre de clip. Les Daft Punk, je les connaissais, mais ça a été l’occasion de les découvrir en vrai là-dessus.

  • Est-ce que ce projet t’a permis de faire d’autres projets similaires ?

Derrière, Michel m’a rappelé pour faire le clip de Kylie Minogue, « Come Into My World », un autre gros défi en motion control, puis il a commencé à faire des films donc je n’ai fait que ces deux projets-là avec lui.
En revanche, sur ce tournage je suis devenu copain avec Olivier « Twist », son frère, ce qui nous a permis de faire pas mal de projets publicitaires ensemble par la suite.

 

Alex Lamarque a depuis signé l’image de nombreux longs-métrages français dont « Le Petit Poucet », «La Vie promise», « Les Rivières Pourpres 2 » d’Olivier Dahan, « Sheitan » de Kim Chapiron, « La Mécanique de l’ombre » et tout récemment « les Promesses » de Thomas Kruithof avec Isabelle Huppert et Reda Kateb.

Alex nous a quitté peu de temps avant la diffusion de cet article. C’était quelqu’un dont le talent et les compétences techniques étaient largement reconnus par ses pairs. Il aimait son métier de chef opérateur plus que tout et savait le transmettre avec cette confiance et cette générosité qui le caractérisaient.

Au nom des membres de l’Union des chefs opérateurs, nous adressons nos plus sincères condoléances à sa famille, à ses proches ainsi qu’à ceux qui ont pu le côtoyer dans le métier.

 

  • Clip « Around The World » des Daft Punk – Réalisateur : Michel Gondry / Directeur de la Photographie : Alex Lamarque / Production: Partizan Midi Minuit 1997 / Chanson écrite et composée par Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo  © 1997 Daft Life
    https://www.youtube.com/watch?v=K0HSD_i2DvA