Un cabinet médical désaffecté et reconverti en studio à Limoux, une Dream Team de bénévoles, 4 jours de tournage pour un film impertinent et déjanté : plongée dans les coulisses insolites de « Joyeux anniversaire Margoline ».

Le chef opérateur Aurélien Dubois nous raconte la conception atypique de cette pépite sélectionnée à l’Alpe d’Huez cette année.

Q: Comment as-tu rencontré le réalisateur Olivier Riffard et depuis combien de temps collaborez-vous ensemble ?

R : Olivier et moi nous connaissons depuis près de 20 ans maintenant. Nous nous étions rencontrés sur un court-métrage lors de la première édition du 48h Film Project à Paris. Il était à la régie, et j’étais déjà à l’image. « Joyeux anniversaire Margoline » est notre troisième court-métrage réalisé ensemble. Nous avons développé au fil des années une complicité artistique et une véritable complémentarité dans le travail. Ce qui est primordial pour mener à bien des projets hors normes et ambitieux comme « Margoline ».

Q: Peux-tu nous parler du processus de création du décor pour le film ? Quels défis techniques as-tu dû relever pour recréer ce décor de studio dans un espace très réduit ?

R : « Joyeux anniversaire Margoline » est un court-métrage sans financement. Et pour des raisons budgétaires mais aussi pratiques, Olivier a fait le choix de construire le décor principal du film uniquement avec de la récup’ dans un ancien cabinet médical à Limoux, dans l’Aude. Cela lui permit d’aménager le décor en fonction du découpage qu’il avait en tête, et vice versa, afin que les deux puissent se rejoindre parfaitement.

Ce fut un vrai défi technique. L’espace était très exigu, en sous-pente, et très bas de plafonds ! Des feuilles amovibles de décor construites avec des palettes de transport ont aussi été à l’étude, construites et installées afin d’être sûr de pouvoir placer la caméra dans certains recoins inaccessibles du décor : derrière le frigidaire par exemple, pour le plan avec la tête de cochon, ou encore à l’intérieur des toilettes lorsque Bernard fait ses besoins ! Il m’envoyait des vidéos ou me faisait des visites en Facetime. J’ai suivi à distance toutes les étapes de construction et fait des suggestions pour répondre à nos ambitions artistiques dans ce contexte particulier.

Q: Le décor ne comportait au départ aucun élément d’éclairage praticable. Comment as-tu procédé pour intégrer des sources lumineuses motivées à ce décor de fortune ?

R : Effectivement, ce décor artisanal était dépourvu de toute source lumineuse intégrée. Nous avons dû trouver des solutions d’éclairage malgré le manque de hauteur sous plafond. J’ai fait installer un grill technique avec quelques rails de placo-plâtre fixés sur les poutres apparentes du lieu pour pouvoir accrocher de l’éclairage léger et peu encombrant: Les tubes Astera et les Boa Flex de Rubylight, nous ont été très utiles à cet effet. Pour des raisons de contraste et parce que les sources étaient presque toutes collées au plafond, j’avais aussi demandé qu’il soit entièrement recouvert de noir.
L’histoire se déroulant uniquement de nuit, nous avons également réalisé un casting de lampes de chevet et de luminaires d’ambiance que nous avons équipés avec des Ampoules LED RGB Aputure B7C pour les intégrer de manière crédible au décor, et gérer la couleur selon nos besoins.
Pour les curieux, il existe un making of sur Facebook qui montre les coulisses de la conception de ce décor si particulier.

Q: Comment as-tu constitué ton équipe technique localement à Limoux pour ce tournage ?

R : Tourner à Limoux sans budget nécessitait de réunir une petite équipe soudée et motivée ! N’étant ni du coin ni de la région, j’ai d’abord appelé des ami(e)s qui étaient établis à Toulouse ou Montpellier pour avoir des contacts. J’ai ainsi pu compter au fil des appels sur la participation d’Anaïs Durand comme assistante caméra et de Louise Gagnaire comme électricienne pour ce beau projet un peu fou.

Q: Quels choix techniques as-tu faits en termes de matériel de prise de vues et d’éclairage pour répondre aux contraintes budgétaires et techniques de ce film ?

R : Pour minimiser les coûts, nous avons fait le pari de tourner le film à l’épaule et j’ai choisi d’utiliser mon matériel personnel de prise de vue : une RED Komodo équipée d’une série complète d’optiques cinéma Leica R « ciné-modé » par Precisious (société française). Nous voulions peu de profondeur de champ, nous avons donc fait en sorte de privilégier l’utilisation des Summicron qui ouvre à Ø2 contrairement au Elmarit qui ouvre à Ø2.8. Le film s’est donc tourné à 80% avec le 35mm et le 50mm.
J’ai aussi filtré la globalité du film avec la diffusion Black Soft Net 1 de chez Tiffen. J’aime beaucoup le rendu de ce filtre : « vintage », discret dans les hautes lumières, et avec une très minime altération du contraste.
Pour l’éclairage, composé à 100% de LED, nous l’avons loué chez TSF Montpellier. J’ai travaillé avec des contrastes chromatiques bien assumés pour créer de la profondeur dans le décor et une atmosphère visuelle riche et expressive.

Q: Quelles références visuelles t’ont guidé ?

R : Avec Olivier, nous avions à l’esprit des films comme « Delicatessen » ou surtout « Le Père Noël est une ordure ». J’ai donc en amont du tournage élaboré une LUT que nous avons utilisée à la prise de vue et comme base d’étalonnage. C’est par la suite en post-production que j’ai cherché à salir l’image avec des contrastes et des couleurs plus poussées et une texture granuleuse évoquant la pellicule Super-16.

Q: Peux-tu nous décrire ton travail d’étalonnage à distance avec le réalisateur ? Quelles difficultés cela présente-t-il et comment les surmontes-tu ?

R : Pour des raisons économiques mais aussi pratiques encore une fois, je me suis occupé de l’étalonnage du film. Olivier étant à Limoux, et moi-même en région parisienne nous n’avions pas d’autre choix que de le faire à distance sur une longue période avec beaucoup d’allers-retours. L’étalonnage à distance n’est pas une pratique que j’apprécie car on ne sait pas exactement ce que voit l’autre. Ce genre de situation peut vite parfois tourner au cauchemar. Mais connaissant bien Olivier, j’ai pu adapter mes choix en fonction de ses retours, même s’il ne voyait pas les exports dans les meilleures conditions. La confiance mutuelle a facilité ce travail délicat.

Q: Ce film a été sélectionné à l’Alpe d’Huez et il y a peu au festival de Liège en Belgique, quel regard portes-tu sur ton parcours maintenant ? Quel bilan tires-tu de cette expérience de tournage « low budget » à Limoux ?

R : En faisant « Joyeux Anniversaire Margoline », Olivier souhaitait avant tout s’amuser, prendre du plaisir à créer, et faire un film sans restrictions, avec une liberté totale sur le ton, l’écriture et l’image. Au final, avec son lot de contraintes, ce fut un tournage exaltant pour tout le monde !
Ce genre d’aventure insolite est une belle école de la débrouille et de la détermination. Elle m’a certainement préparé à relever sereinement de nouveaux défis créatifs à l’avenir. Et ce, quel que soit le budget 😉