Thomas Bataille est Chef Opérateur aussi bien en fiction (Exfiltrés, Diane a les épaules et récemment La Nuit du Verre d’eau) qu’en documentaire. Il partage ici ses premières impressions sur la Burano de Sony, qu’il a eu l’occasion de tester avant de l’utiliser sur le terrain, équipée des nouvelles Zeiss à grande ouverture, les Nano Primes.

En préambule, je souhaiterais préciser que je suis chef opérateur de prises de vues, et non technicien caméra. Bien qu’ayant beaucoup enquêté avant de l’utiliser, mon retour d’expérience de tournage avec la Burano n’est que le témoignage subjectif d’un utilisateur dans une configuration précise. Mais il me semble utile de relater ici les questions que je me suis posées en utilisant le combo Sony Burano / Zeiss Nano Primes sur ce film.

Lors de la préparation d’un nouveau documentaire avec le réalisateur Emmanuel Hamon, nous nous sommes dit que nous voulions une caméra mobile pour accompagner notre héroïne de 25 ans. Le documentaire précédent que nous avions tourné retraçait les heures de gloire de la brigade Antigang. Nous voulions jouer avec les codes du film policier et nous avons tourné en scope avec des optiques anamorphiques, dans une configuration assez posée pour obtenir une image plutôt léchée et éclairée. Pour ce futur projet, nous voulions changer de dispositif tout en gardant le ratio de 2.35. J’avais vu quelques présentations de la Sony Burano et notamment de sa nouvelle stabilisation du capteur. Je m’étais dit que je l’essaierais lorsque le film se mettrait en route au printemps.

Mais assez rapidement, une plateforme a accroché sur le projet et nous a demandé de tourner un trailer pour présenter les personnages, le ton du film ainsi que le dispositif de tournage. Elle devait ensuite décider si elle souhaitait produire le film et à quel montant.

 

Précieux partenaires

Nous nous sommes retrouvés dans la situation inhabituelle de devoir préparer un tournage sans connaître le budget dont nous disposerions. Néanmoins, il fallait prendre certaines décisions quant au matériel. J’ai donc contacté Jean-Yves Martin, Spécialiste Broadcast & Cinéma Numérique chez Sony, pour lui parler de ce trailer et lui proposer de tester la nouvelle Burano en conditions réelles de tournage.
Le projet lui a plu et il m’a mis en contact avec Jacques Boulay de Zeiss France afin que l’on puisse également emprunter la série de Zeiss Nano Primes présentée cette année au Micro Salon.

Comme personne en France n’avait vraiment utilisé la Burano, j’ai commencé par appeler les opérateurs l’ayant déjà eue en main à l’étranger et échanger avec Forest Finbow, directeur de la photographie et étalonneur ambassadeur de Sony, pour glaner des informations. J’ai également organisé des essais chez RVZ, notre loueur.

À la prise en main, la Sony Burano ressemble à un mélange entre les FX6 et FX9. Sa taille se situe entre ces deux caméras. Son ergonomie s’apparente à celle de la FX6 mais avec un bel écran tactile orientable faisant office de petit retour vidéo. Celui-ci permet de contrôler la caméra et le positionnement de la mise au point automatique. Un peu encombrant lorsqu’on prend la caméra à l’épaule, il est peut-être aussi difficile à approcher de l’œil en raison de sa taille. Mais il reste très agréable à l’usage.

À l’instar de la FX6, la Burano dispose de nombreux boutons de raccourcis vers les différentes fonctions, ce qui est assez pratique. L’inconvénient est que l’on peut facilement appuyer sur certains par inadvertance en prenant la caméra à main levée.

Jean-Yves a beaucoup poussé pour que je tourne en X-OCN LT, le RAW « léger » de Sony qui est le seul RAW disponible sur la Burano. Les autres plus lourds n’existent que sur la Venice.
L’X-OCN LT est certes aussi léger que l’XAVC mais le tournage en raw oblige à utiliser tout le capteur de 8,6K.
Par ailleurs pour le moment, le RAW de la Burano n’est lisible que par une version bêta du RAW Viewer développé par Sony. Cela rend la post-prod beaucoup plus lourde. En tous cas trop lourde pour un documentaire où l’on tourne parfois de très longs plans. J’ai donc finalement opté pour l’XAVC qui est déjà très propre selon moi (en 4:2:2: 10 bits «intelligent»).
A moins d’avoir à faire de la chirurgie esthétique avec les plans, ou de me retrouver dans des conditions difficiles, combiné au SLog3, ce codec est très propre et me suffit dans 90% des cas. Par la suite, il est prévu des scènes autour d’un feu de nuit, je les tournerai en X-OCN LT.
À noter que la nouvelle version de Resolve 18.6.5 prend en charge l’X-OCN LT de la Burano.

Toujours pour alléger la post prod et éviter les problèmes de point, j’ai aussi opté pour tourner avec le capteur Super 35 en résolution 5,8K qui est suffisant pour les 4K de la diffusion.
La plateforme ne nous a pas demandé de HDR donc je ne me suis pas lancé dans ces tests.

 

Stabilisations

Tourner avec cette taille de capteur m’a également permis de tester les différents modes de stabilisation de la caméra. La Burano dispose d’une stabilisation mécanique du capteur sur 3 axes assez bien conçue, qui adoucit les mouvements lorsqu’on est à l’épaule. Il s’agit d’un mode de stabilisation existant depuis un moment déjà sur certains appareils photo. Celle-ci s’avère plus efficace lorsqu’on n’utilise qu’une partie de l’image (en mode Super 35), le capteur ayant alors plus de latitude. D’ailleurs, la stabilisation active n’est disponible qu’en XAVC.

Pour ce film, nous souhaitions tourner à l’épaule sans trop de saccades lorsque je marcherais avec les personnages, mais sans non plus recourir à un stabilisateur du type Ronin afin de rester réactif en cas de besoin. Ayant déjà testé des stabilisations exploitant les données gyro enregistrées par la caméra (notamment sur les modèles Venice et FX9), j’avais été assez surpris par l’amélioration de stabilité ainsi obtenue, et ce sans trop altérer l’image contrairement à la stabilisation par analyse optique.

Lors des essais, j’ai donc comparé différents modes de stabilisation : sans aucune stabilisation caméra, afin d’utiliser uniquement les données gyro dans le logiciel Catalyst Browse ou via le plugin OFX Gyroflow dans Resolve ; les modes « normal » et « automatique » de stabilisation mécanique ; et enfin le mode « actif ».

À ma grande surprise, lorsqu’on filmait sans stabilisation, les données gyro n’étaient pas enregistrées dans les métadonnées (du moins d’après les vérifications faites avec la version beta du logiciel caméra). Il me semblerait pourtant logique que l’enregistrement des mouvements du boîtier prenne tout son sens en l’absence de stabilisation capteur. Peut-être que ce sera implémenté dans une prochaine mise à jour.

Les modes « normal » et « automatique » m’ont paru quasi identiques. L’un détecte automatiquement la focale utilisée quand l’objectif est compatible pour transmettre ses métadonnées, l’autre nécessite une saisie manuelle. Ce sont ces deux réglages qui m’ont semblé les plus efficaces, sans générer trop d’artefacts.

Associés à une stabilisation logicielle exploitant les données gyro, les résultats sont bluffants. À noter toutefois qu’un recadrage s’impose alors, et qu’il faut donc cadrer avec un peu d’air pour anticiper le zoom dans l’image de la stabilisation faite en post-prod.

Quant au mode « actif », s’il est très performant avec peu de mouvements, il a tendance à décrocher par à-coups lorsqu’il est trop sollicité. Je ne l’ai donc pas retenu, trop aléatoire à mon goût.

 

ND variable

J’ai également testé la densité neutre variable, très efficace, qui a généré peu de défauts dans les conditions où je l’ai utilisée. Le mode automatique est assez bluffant. Il varie avec souplesse à la manière d’un lent et progressif changement de diaphragme (sans incidence sur la profondeur de champ bien sûr). C’est très agréable, on serait presque tenté de le laisser activé en permanence lorsque les conditions de lumière sont changeantes. Il gère même relativement bien les contre-jours.

Mes essais de pré-tournage sont visibles ci-dessous, ou par ce lien :

Proxies

Pour ce tournage, le montage devant démarrer rapidement, nous avons choisi avec le responsable post-production d’enregistrer des proxies sur une carte SD XC en parallèle du XAVC.

Une carte de 128 Go a largement suffi pour nos 4 jours de rushs. Ces proxies sont générés en H.264 4:2:0 avec la LUT créée lors des essais. Cette approche m’a semblé pertinente : les fichiers DNX pour Avid sont souvent de qualité médiocre selon le taux de compression retenu, et le plus souvent inférieurs à ces proxys pour un documentaire avec beaucoup de rushes.

 

Latitude d’étalonnage

A l’étalonnage, j’ai trouvé la caméra facile à appréhender avec mes repères des FX6 et FX9. L’XAVC de la Burano est très propre et part joliment dans les hautes lumières. J’ai même l’impression que le traitement du signal été amélioré depuis la FX9. Ou alors est-ce le capteur de la Venice?

Dans ce film abordant les thèmes de la vie et de la mort, en bord de mer, j’ai volontairement choisi des contrastes appuyés. J’assume parfois dans le même cadre les reflets du soleil sur l’eau et des visages partiellement dans l’ombre, sans chercher à « rattraper » les hautes lumières. J’ai constaté que la caméra se comportait très bien dans cette configuration, disons… brutale.

 

Optiques

Concernant les optiques, j’ai beaucoup apprécié leur légèreté, ainsi que la douce diffusion des hautes lumières qu’elles procurent naturellement. J’ai beaucoup apprécié leur bonne ouverture à T1.5 qui permet de faire des plans assez abstraits et extraits du réel (et aussi de tourner en très basse lumière si nécessaire). Ils sont un peu plus piquées que les objectifs que j’utilise habituellement, mais j’ai finalement décidé de ne pas les diffuser afin de conserver cette netteté pour d’éventuels recadrages lors des stabilisations.
Si besoin, j’utiliserai des émulations de diffusion à l’étalonnage pour quelques gros plans. J’ai beaucoup aimé leur manière de partir au flou et le fait qu’elles gardent des arrières plans structurés même à grande ouverture (T 2.0).

J’ai pris un grand plaisir à filmer avec ces optiques, sans aucun accessoire, la veille du premier jour de tournage.

Du fait de ce choix d’optique je n’ai pas utilisé ni testé l’autofocus de la Burano et pour la même raison, bien qu’ayant essayé l’ISO étendu de la caméra avant de partir – qui m’a paru propre – je n’ai pas eu besoin de l’utiliser en tournage.

 

Bilan

Au terme de ces 4 jours de tournage, je peux dire que les nouvelles fonctionnalités de la Sony Burano m’ont permis de proposer une manière de tourner différente au réalisateur. Les tournages à l’épaule ne sont évidemment pas nouveaux mais le gain de stabilité obtenu grâce au mode de stabilisation à la prise de vues, associé à celui de la post-production, permet un net gain de fluidité, particulièrement en situation chaotique et improvisée.

Mon travail de Chef Opérateur consiste en partie à me tenir au courant des évolutions techniques pour proposer au ou à la réalisateur.trice des solutions pour les accompagner dans leur projet. Je pense que dans ce cas précis où nous devrions tourner beaucoup à l’épaule au ratio 2.35 la stabilisation de la Burano va nous permettre d’envisager une nouvelle manière de tourner, tout en restant léger. C’est selon moi un réel gain. Il m’est arrivé de tourner un long métrage en scope anamorphique à l’épaule avec un Wave (le système qui permet de conserver la bulle électroniquement qu’utilisent parfois les Steadicamers) entre la caméra et mon épaule pour conserver la bulle même lorsque je courrais avec un comédien. En effet selon moi, en scope les vibrations et le côté « shaky » des plans à l’épaule ne sont pas un problème lorsque la narration le demande mais l’horizon qui vacille en est un.

L’arrivée de la série Zeiss Nano Primes est aussi une nouvelle réjouissante : une série d’optiques légères « propres » et bien définies mais qui ont un certain caractère. Je pense que je pourrai envisager des les utiliser aussi bien en fiction qu’en documentaire.

Merci à Jean-Yves Martin, Hélène de Roux, Jacques Boulay et toutes les personnes qui nous ont accompagnées chez RVZ d’avoir permis ce test en conditions réelles.

Merci aussi à Cyan Jayr de m’avoir assisté dans cette recherche et sur le tournage, et à Alexandre Sadowsky de m’avoir aidé à décrypter les métadonnées de la Burano et à élaborer une LUT de tournage.

 

La Sony Burano ici avec une optique Minolta Rokkor.

La Sony Burano ici avec une optique Minolta Rokkor.