Réalisé par Benoit Toulemonde, tourné dans l’emblématique FunkHaus de Berlin, coproduit par Plan B (Brad Pitt), Tripping With Nils Frahm est le point d’aboutissement d’une histoire en plusieurs chapitres démarrée neuf ans plus tôt… J’ai eu la chance d’être partie prenante de cette aventure au long cours, derrière la caméra au côté de Benoit. Et de Nils donc.

Soirée de Poche #25

Les Soirées de Poche, ce sont des concerts filmés essentiellement dans des appartements, dans des maisons, bref, chez des gens. Coproduite par La Blogothèque et Stances, cette collection de films intimes et musicaux, tournés en multicaméras, est l’occasion renouvelée de petits défis en installation lumière, en implantation de caméras et au cadre bien sûr…

Avec Benoit Toulemonde, le réalisateur des Soirées de Poche, j’ai eu le privilège de filmer Tinariwen, Benjamin Booker, Saint Paul and the Broken Bones, Baxter Durry, Timber Timbre, Son Lux, Mac DeMarco, Charles Bradley, Run The Jewels et d’autres et d’autres… Et aussi un certain Nils Frahm, un 25 novembre 2011.

Illustration de Thomas Baas pour la Soirée de Poche #25 (La Blogothèque/Stances)

Nils Frahm devait jouer seul sur le piano des propriétaires de l’appartement où nous tournions, auquel avait été ajouté un Fender Rhodes. Et c’est tout. L’ambiance ce soir là s’est révélée à la fois autant mystique qu’expérimentale… Éclairée par quelques panneaux Led et surtout mon kit de Dedolight habituel.
Benoit m’avait attribué la longue focale et je filmais donc Nils en gros plan, entièrement concentré sur ce visage tout à l’expressivité de sa musique. L’image heurtée et désaturée du film, tournée avec la Panasonic AF-101, raconte un moment fragile et mélancolique, sur le fil et à fleur de peau.

Le film est visible ici.

L’AF-101 avait l’avantage d’être légère et assez maniable, et d’avoir un capteur micro 4:3, ce qui nous permettait, avec les adaptateurs ad hoc et avec le jeu du coefficient multiplicateur, d’obtenir des plans serrés avec des optiques photo relativement compactes (à l’exception notable du Duclos 11-16mm, conçu pour le S35, en monture PL). Il faut dire aussi que nous comptons Benoit et moi parmi les grands fans de la Panasonic HVX200, qui à l’ère pré-grands capteurs nous a beaucoup accompagnés (le Cinelike-D, ça vous rappelle quelque chose ?) et dont l’AF-101 est d’une certaine manière une descendante.

Empty

Encore marqué par cette fameuse Soirée de Poche, Benoit propose quelques mois plus tard à Nils Frahm une aventure un peu sauvage : incarner le personnage principal d’un court métrage, perdu dans une quête incertaine au milieu de la nature hivernale du Vercors. Proposition acceptée par Nils.

Avec le soutien d’Alix Turrettini (Bobine Production) et d’Albrecht Gerlach (PhotoCineRent), nous partons donc pour quelques jours de tournage au mois de mars 2012, sans scénario, avec une des toutes premières F65 arrivées en France, un kit de Master Primes et un de nos zooms préférés, le Zeiss LWZ 15.5-45mm.
Sur place, nous sommes rejoints par l’équipe de Soulcam, qui complète nos prises de vues au sol par des prises de vues aériennes avec une cinébulle, équipée d’une Red Epic.
Tournage en équipe réduite, dans le vent et le froid, dans des paysages déserts et grandioses : l’expérience est intense et Nils se prête au jeu malgré les conditions spartiates de ce tournage assez physique.

Sur le tournage d’Empty (Bobine/Stances)

Commence alors un processus sinueux et fécond de post-production, durant lequel Benoit va monter des images, auxquelles Nils va répondre avec sa musique, qui sera mise en image de nouveau par Benoit en retour,  comme une composition à quatre mains.

Le thème du film composé par Nils allait par la suite devenir la base d’un titre phare de l’album du même nom: All Melody.

Le travail de l’image en post-production allait aussi connaître des expérimentations, plusieurs recherches d’étalonnage. La F65 nous intéressait pour la latitude de pose qu’elle pouvait nous offrir, ce qui allait devenir un atout non négligeable lorsque l’on a des moyens humains limités, un tournage à moitié dans la neige et des scènes nocturnes. Et bien entendu aucune source lumineuse additionnelle. J’ai souvenir d’un plan en particulier, où Nils traverse le cadre sous la pleine lune, équipé d’une lampe frontale. J’avais bien conscience de tourner dans des conditions limite, mais le plan en projection s’est révélé étonnamment lisible, il est vrai grâce à la neige qui tapissait le sol…
Ce film, présenté lors d’une projection au Barbican Center de Londres par Nils et Benoit en 2016, est finalement devenu visible en ligne au printemps 2020 (accompagné d’un nouvel album de Nils, Empty) mais c’est évidemment en salle qu’il prend toute son ampleur, à l’image et au son.

Le film est cependant visible ici.

Tripping With Nils Frahm

Et puis début 2018, Nils et Felix Grimm, son producteur, proposent à Benoit de filmer de nouveau Nils, en concert cette fois, dans une salle mythique de Berlin : la FunkHaus. Les quatre soirs prévus à Berlin sont l’aboutissement d’une tournée mondiale entamée deux ans auparavant, mais surtout la FunkHaus est un endroit emblématique de Berlin, un lieu chargé d’histoire. Construit dans les années 50, c’était la Maison de la Radio de l’Allemagne de l’Est, où étaient enregistrés les orchestres symphoniques.
C’est aussi dans ce complexe dédié à la musique que se trouve le propre studio de Nils Frahm, un espace de travail et d’enregistrement comme j’en ai rarement vu, un cocon acoustique à la fois vintage autant qu’hightech auquel Nils a apporté un soin tout particulier.

Depuis la Soirée de Poche parisienne, Nils est devenu un artiste international reconnu, jouant à guichet fermé partout dans le monde. Il a en outre fait plusieurs incursions remarquées au cinéma, signant entre autres en 2015 la bande son du film de Sebastian Schipper, Victoria, dont la particularité est d’être intégralement tourné en plan séquence (DP Sturla Brandth Grøvlen), et figurant aussi au générique d’Ad Astra, de James Gray (DP Hoyte Van Hoytema), sorti en 2019, pour une musique additionnelle remarquée, la bande son originale étant l’œuvre de Max Richter.

Avec en tête cette série de concerts à venir, nous commençons à réfléchir avec Benoit à la manière de filmer cet artiste dans cet endroit à ce moment là.
Il était prévu de tourner dans la Saal 1 de la FunkHaus, pour profiter de son acoustique parfaite pour un enregistrement live et pour pouvoir disposer le public tout autour de Nils, avec l’idée que la diffusion sonore puisse être aussi efficace quel que soit l’endroit où l’on se trouve dans la salle.
La question des moyens à mettre en œuvre, qui auront forcément un impact sur le style du film, est rapidement venue sur la table.
La demande de Nils et Felix était que le dispositif soit le moins intrusif possible, qu’on ne voit pas les caméras, qu’il y ait le moins de distraction possible entre l’artiste et son public, que nous puissions créer une expérience immersive, pour ainsi dire.
Évidemment, dans le même temps, il s’agissait de pouvoir témoigner de la performance de Nils, bref être au plus proche mais sans être trop près ! Et bien entendu en délivrant le standard technique le plus optimal possible…
Nous voulions en outre raconter l’espace, cet écrin original qu’est la FunkHaus, et aussi montrer comment le public allait vivre le concert.

Dans les scénarios possibles nous avons envisagé d’utiliser deux grues télescopiques, dont les mouvement coordonnés avec un peu de finesses pourraient se répondre. Complémenter avec une caméra plus documentaire, qui serait ma caméra volante, qui ne me quitterait pas. Se posait aussi la question du kit caméra et optique, sachant que nous allions inévitablement utiliser essentiellement des zooms, potentiellement peu lumineux, mais que nous aurions une scène assez peu éclairée, pour préserver une ambiance la plus intimiste possible. Une Soirée de Poche XXL en gros !
Cette référence commune pour Nils, Benoit et moi était encore présente des années après, il s’était passé quelque chose ce soir là…

Il était temps d’aller voir sur place cette fameuse FunkHaus. Nous sommes donc partis en repérage au mois de septembre 2018 avec Benoit et Sylvain Marquet, directeur de production et partenaire régulier de nos aventures.
L’endroit était à la hauteur de mes attentes : un bâtiment massif, une architecture Bauhaus typique, des parquets, des boiseries sans ornements inutiles, des baies vitrées gigantesques, des proportions amples et savamment étudiées, une multitude de recoins avec un cachet sans pareil, bref un décor tout à mon goût, grand et à peu près vide.

Dans le dédale de la FunkHaus

La préparation devenait de plus en plus tangible avec ce détail supplémentaire : Nils et Felix allaient financer eux-mêmes le projet, souhaitant rester les seuls décisionnaires, en particulier en termes artistiques, épaulés en production en France par les Films Jack Fébus.
Les choix techniques aussi se précisaient : pas de machinerie ostentatoire. Et a priori pas de rajouts en lumière spécifiques à la captation, Nils voulant conserver l’intégrité du dispositif de la tournée.
L’enjeu se reportait alors presqu’exclusivement sur le choix de la caméra et des optiques, et de ceux qui allaient les opérer.
À ce propos, le choix des opérateurs s’est fait plusieurs mois en amont du tournage car nous voulions être certains de pouvoir compter sur une équipe d’opérateurs expérimentés et en phase avec le projet : Sébastien Berger, Gérard Figuerola, Élie Girard, Samuel Guillemot, Jonas Marpot, Celidja Pornon.
L’intention était de conserver au maximum la sensation d’une caméra portée, réactive, sensible, expressive, avec la nécessité de trouver un équipement qui ne soit ni trop lourd ni trop encombrant…

J’ai donc essayé plusieurs caméras en configuration épaule avec un classique de la captation en grand capteur : le zoom Canon 70-200mm. L’objectif : être le plus léger et maniable possible, tout en étant en mesure de tourner en 25P UHD. Mon choix s’est arrêté sur l’Arri Amira, la Sony Venice et la Panasonic Eva-1. Trois caméras aux caractères et aux caractéristiques différentes: l’Amira car c’est une caméra très complète, parfaitement équilibrée, la Venice parce qu’elle est très versatile et l’Eva parce qu’elle est simple et légère.
L’idée à ce stade était de pouvoir donner aux cadreurs une caméra qu’ils puissent cadrer sans trépied pendant assez longtemps sans se casser le dos malgré le fait d’être très peu mobiles. En effet, vue la configuration des lieux et les demandes de Nils, il semblait exclu d’imaginer que les cadreurs, installés dans le public, puissent se déplacer durant le concert.
La balance a alors délivré un verdict sans appel ! Ce serait donc l’Eva-1, et pour des raisons logistiques évidentes, le matériel caméra serait loué à Berlin.

Restait à peaufiner le plan caméra avec Benoit. L’installation de Nils étant millimétrée, nous savions à quoi nous attendre, restait à espérer que nos intuitions soient les bonnes.
Ce serait 6 caméras opérées par 6 cadreurs, une caméra fixe, une caméra volante pour moi et deux petites caméras fixes (des GH5, histoire de rester dans le jus Panasonic) pour des points de vue spécifiques, potentiellement utiles pour le montage. Dix points de vue. Cela peut paraître beaucoup pour un seul musicien, mais il fallait bien ça !
Nous avons poussé un peu l’Eva-1 en étalonnage sur Resolve avec quelques rushes test. Les fichiers 10bits en V-Log et un bitrate tout à fait respectable nous ont semblé faire l’affaire. L’esthétique fragile de la Soirée de Poche était notre référence, ce côté un peu « gritty » comme diraient les américains, S16 un peu granuleux… Une image un peu désaturée, sans teintes trop affirmées, flirtant au rendu avec le traitement sans blanchiment aussi.
Nous étions prêts.

Enfin presque ! Il restait maintenant à trouver 8 Eva-1 à Berlin, avec aussi les batteries longue durée compatibles qui m’intéressaient. Et c’était loin d’être gagné : même à Paris, trouver 8 Eva-1 en location était presque peine perdue…
Heureusement, Sebastian et Levent, chez notre loueur local, UFO FilmGerät, se sont vraiment démenés, jusqu’à faire venir des cartes SDXC V90 d’Autriche (à l’époque c’était un peu la pénurie !!).

Felix et Benoit m’ont alors fait une proposition inattendue, en suggérant que je parte avant l’équipe et que je vienne rejoindre la tournée juste avant Berlin. Sans que la forme définitive de notre film soit vraiment déterminée, il y avait sûrement cette idée que ma caméra puisse documenter des instants de tournée, à toute fin utile, mais sans vraiment d’obligation non plus… Je l’ai pris comme une sorte de préparation in vivo, avant d’être dans le dur. Ce genre de moments que j’affectionne.
Me voilà donc un soir du mois de décembre 2018 au départ de Marseille dans le dernier avion pour Berlin. Le lendemain matin je passe chez UFO faire connaissance, discuter du concert et récupérer mon Eva-1 avec deux zooms compacts Sigma (18-35 et 50-100) et mon micro caméra de luxe, un Sanken CS-M1. Mon kit de doc parfait !

Puis un avion jusqu’à Amsterdam, changement d’avion pour Bruxelles et train pour Gand, arrivé à temps pour le concert… Et après ça, un long trajet en Tour Bus pour Berlin, l’occasion de rencontrer l’équipe de Nils et Felix, dont Stuart Bailes, le light designer et Jim Johnson, son électro.

Arrivé à Berlin, et fort de mes discussion avec Stuart, je passe une partie de mon weekend à errer de nouveau dans la FunkHaus, la salle de bar, les couloirs de service, les studios d’époque, les chambres d’écho « naturelles » aménagées dans les espaces perdus de l’architecture.
Nous avions discuté avec Benoit de tourner hors de la salle de concert, dans tous ces espaces que nous imaginions totalement vides. Petit à petit me venait l’idée de leur donner vie, de les faire vibrer, comme si le bâtiment pouvait réagir, répondre à la musique de Nils. Ce qui donnerait lieu à plusieurs séquences (qui ont servi in fine pour un des trailers du film) tournées avec la complicité de Gérard Figuerola au steadicam et de Stuart et Jim, à qui j’avais aussi fait quelques propositions pour le concert, discutées en bonne intelligence autour d’un verre dans le Tour Bus.

Puis Benoit et Sylvain arrivèrent à leur tour. Nous devions mettre la dernière main à l’implantation caméra, mais avant que ne démarrent les grandes manœuvres, passer vérifier ultimement le matériel chez UFO. Et sur place, Benoit a eu ce coup de génie de demander s’il n’y avait pas un zoom qui trainait dans les placards, typiquement une optique vintage dont personne ne se servirait. Sebastian nous a alors sorti une optique que je n’avais jamais vue nulle part : un Canon 150-600mm, originellement en monture FD mais adapté en monture PL ! Benoit me regarde avec un grand sourire et un clin d’œil : moi qui pensait me balader avec ma caméra documentaire dans la Saal 1, j’allais passer les quatre soirs de concert avec ce nouveau jouet…

Les cadreurs, notre équipe française, sont arrivés le lendemain, puis du 12 au 15 décembre 2018 nous avons donc tourné à la FunkHaus les derniers concerts de la tournée, là où elle avait démarré deux ans plus tôt. Benoit derrière ses moniteurs, nous derrière nos caméras. Ce fut une expérience très intense, la musique mentale et émotionnelle de Nils nous envoutant tous les soirs. L’acoustique de la salle et la disposition des enceintes était totalement immersive et le public médusé.

Il est très rare de filmer quatre soirs de suite le même concert, et rare aussi de ne pas être tenté de changer d’implantation de caméras. Seuls les GH5 ont été repositionnés, mais aucun de ces plans (ou presque) n’a été conservé dans le montage final (l’image de l’affiche, qui sert aussi de couverture à l’album, est issue d’une de nos caméras).
Techniquement, nous avions pris des risques en tournant avec l’Eva, dont l’utilisation en captation était rarissime, et l’enregistrement interne de l’Eva nous a donné quelques sueurs froides, gérées sur le moment sans trop de casse (heureusement que nous tournions plusieurs soirs ceci dit !). Nous avons donc par sécurité opté pour des enregistreurs externe pour certaines caméras. En revanche, nous avons refusé de nous « couvrir » et assumé une certaine radicalité dans notre approche de l’implantation. Si c’est la bonne, pourquoi en changer ?

L’enjeu était de trouver comment faire en sorte que chaque caméra puisse raconter quelque chose de différent, car après tout, nous avions 7 opérateurs filmant le même musicien. En fait Nils ayant construit son setup sur 6 positions de jeu, il y avait donc une certaine logique de couverture à placer stratégiquement chaque cadreur pour qu’à un moment, chacun ait le plan qu’il faut pour couvrir absolument le jeu de Nils, car nous voulions aussi montrer sa performance, son toucher autant mélodique que percussif.

Pour conserver une certaine énergie, garder le spectateur en alerte, nous voulions une image en tension, presque documentaire, d’où l’idée d’être essentiellement cadré à l’épaule, ou à tout le moins « à la main » en tête molle, selon le moment et les focales utilisées.
Plus globalement, cette filiation documentaire peut se retrouver dans notre manière d’envisager des cadres délimités mais flottants, prêt à faire de tout accident potentiel une ouverture créative. Faire de l’inattendu une opportunité, que Benoit pourrait évidemment mettre à profit au montage !
Ce qui autorise les entrées et les sorties de champs fortuites, les rattrapages de point ou de cadre au senti… Il faut pour cela accepter l’imperfection naturelle du réel, accepter de ne pouvoir qu’imparfaitement contrôler, bref être libre de carcans prédéfinis pour pouvoir improviser avec à-propos. Comme un musicien tel que Nils le fait lui-même tous les soirs de concert.

Tripping with Nils Frahm, réalisé par Benoit Toulemonde (Leiter)

J’ai envie de penser que c’est pour ça qu’il nous a choisis pour ce moment berlinois : être comme lui capable d’une exigence technique déterminée, poussée dans ses retranchements par la prise de risque artistique.

J’ai le souvenir d’une concentration extrême, de cadrer ma caméra posément, complètement plongé dans la musique, très attentif quant à la responsabilité d’opérer une optique non stabilisée, surtout au bout de mon 600mm (équivalent en couverture d’un 960mm en S35). Chaque cadreur pointait lui même son optique, sachant que nous concevions le point comme un instrument narratif pour lequel chaque opérateur prenait une décision en conscience, surtout à pleine ouverture.
La particularité de mon optique était que la commande de zoom était indissociable de la commande de point : avec le même bouton rotatif et par un système de glissière je pouvais zoomer et pointer avec la main gauche.
Le 150-600 avait évidemment les caractéristiques d’une optique photo de pointe dans les années 80, mais avec une précision et un constance remarquable. Il m’a fallu en revanche compenser l’ouverture (f:5.6) en montant l’ISO de ma caméra à 3200. L’Eva-1 possédant le double ISO des Panasonic, mais le capteur ayant aussi certaines limites identifiées lors des rushes test, j’avais décidé d’opter pour le nominal à 2500 sur toutes les caméras, avec un diaph entre f:2.8 et f:4 selon les optiques (des zooms Zeiss 15.5-45mm et 21-100mm, des zooms Canon 70-200mm) et l’axe, exceptée la mienne.

Nous avions fait le choix avec Benoit de ne pas travailler avec un ingénieur de la vision mais fait en sorte que Stuart, à sa console lumière, puisse à fins de contrôle voir le montage en direct réalisé par Benoit, sachant que nous avions défini ensemble auparavant les limites hautes et basses des différents tableaux du concert pour que tout reste dans la latitude de pose permise par le V-Log. Bien entendu, Stuart a dû faire quelques ajustements pour le tournage : en captation les tableaux sombres étant toujours toujours trop sombres pour nos caméras, et les tableaux lumineux l’étant toujours trop pour les mêmes raisons. Notre collaboration avant le show et durant ces quatre soirs a été très chaleureuse et constructive. L’architecture de la Saal 1 nous a notamment permis quelques adaptations, avec l’utilisation de l’immense fenêtre de la « control room » dans laquelle étaient à l’époque installées les consoles d’enregistrement des symphoniques. J’avais suggéré d’utiliser cet espace pour créer un événement de lumière à un moment, qui s’est traduit par l’installation de 4 stroboscopes Atomic 3000, avec l’idée que l’arrivée d’une lumière puissante et  très froide contraste avec la lumière chaude des PARs et des Fresnels en traditionnel (tungstène) utilisés par Stuart.

Tripping with Nils Frahm, réalisé par Benoit Toulemonde (Leiter)

Le montage du film a été pris en charge par Benoit et Leslie Lagier, qui avait déjà monté la Soirée de Poche et collaboré à notre court métrage, Empty. L’option de se concentrer exclusivement sur la performance de Nils est apparue assez naturellement, et même si je regrette un peu que les séquences tournées dans la FunkHaus n’aient pas été utilisées, cela donne aussi au concert la beauté d’un geste artistique brut et radical, d’une densité qui serait sans doute érodée par tout élément hors concert.
Le film monté, passé un premier temps entre les mains d’Elie Akoka, a par la suite été étalonné par David Bouhsira, avec qui nous travaillons très régulièrement, dans le studio de post-production de Benoit, Stances. David avait aussi étalonné la Soirée de Poche #25 (et presque toutes les autres en fait !) et Empty.

Un de nos défis était de faire en sorte que les quatre soirs ne fassent qu’un, et même si le show était bien rodé, les nuances étaient inévitables tout en étant souvent prolifiques.
La difficulté principale résidait surtout dans l’évolution des niveaux lumineux, sachant qu’en tungstène, évidemment, plus la luminosité descendait, plus la température de couleur descendait également !
Notre approche a été d’accepter ces images pour ce qu’elles racontent : un voyage dans la musique d’un artiste sans concession. Le film évolue au gré des envolées musicales de Nils, qui transporte son public à l’intérieur de lui-même… Plutôt que de vouloir assurer la continuité d’un jeu de teintes qui serait présent de manière identique tout au long du film, nous avons préféré nous donner la liberté de faire évoluer l’étalonnage, avec pour seule boussole nos propres émotions, considérant que si l’image nous semblait juste à ce moment là, ce serait la bonne teinte. Notre goût commun, dans tous les cas, était de ne pas obtenir une image trop saturée, de ne pas avoir peur du sombre ni du contraste.

Réflexion sur les axes caméra avec Benoit Toulemonde ©Philip Vogt

En projection devant le film fini, Nils et Felix à Berlin, Benoit et moi à Paris, avons retrouvé l’intensité de ce que nous avions vécu au tournage. Offrir aux spectateurs ces moments d’intensité émotionnelle, c’était bien là le but, lointain mais absurdement réaliste que nous nous étions donné…
Nous ne sommes pas les seuls à être tombés sous le charme de la musique de Nils, puisqu’il s’est trouvé un fan particulièrement concerné : Brad Pitt, qui à travers sa société Plan B, est devenu au cours de la production producteur exécutif de Tripping with Nils Frahm.

Un titre, Fundamental Values, extrait du concert a été publié sur le compte YouTube de Nils Frahm.
Le film est visible sur Mubi ici.

Quelques détails complémentaires sur le tournage pour les lecteurs germanophones, à travers un article du magazine Kameramann.