
Quand la caméra s’arrête, l’œil du chef opérateur continue de se raconter des histoires. C’est ce que démontre avec éloquence la seconde exposition de photographies de l’Union des Chefs Opérateurs, qui se tient du 9 au 30 juin 2024 au Hang’art à Paris.
Cette exposition offre un contrepoint fascinant au travail habituel des chef.fe.s opérateur.ice.s. Loin des plateaux et des contraintes de la narration cinématographique, elle révèle leur rapport intime à l’image fixe. À travers les clichés de 14 directeur.ice.s de la photographie, c’est toute une réflexion sur la complémentarité de la photographie et du cinéma qui se dessine. Car si le médium diffère, l’exigence du regard demeure. Chaque image exposée témoigne d’une maîtrise technique indéniable, d’une attention minutieuse à la composition, à la lumière, à la texture.
Mais au-delà de cette expertise, c’est une sensibilité propre à chaque auteur.ice qui transparaît. Comme si, libérés du mouvement, ils touchaient à une forme d’essentialité de l’image. De la street photography à l’expérimental, du portrait au paysage, les séries présentées explorent une large gamme de genres et d’approches. Elles démontrent la polyvalence de ces chef.fe.s opérateur.ice.s, leur capacité à s’adapter à différents contextes et à en extraire la quintessence.
On y décèle aussi un goût pour l’expérimentation, une volonté de repousser les limites du cadre et des codes établis.
Plus encore, ces photographies nous plongent dans le processus créatif de ceux qui façonnent habituellement notre perception du mouvement. Elles donnent à voir leur manière singulière d’appréhender le réel, de capter l’instant décisif ou l’atmosphère d’un lieu. Chaque image devient une fenêtre sur leur vision du monde, un condensé de leur poésie personnelle.
En cela, l’exposition offre un éclairage précieux sur la pratique des chef.fe.s opérateur.ice.s. Elle rappelle que leur art ne se limite pas à la technique, mais s’enracine dans une acuité visuelle sans cesse renouvelée. Et que la photographie, loin d’être une pratique annexe, nourrit et enrichit leur approche du cinéma.


Jean Philippe Bouyer nous invite avec une sincérité touchante à découvrir sa série humaniste et personnelle :
« Suite au décès brutal de mon frère aîné en août 2013, je décide de réaliser une série de portraits dans le foyer pour handicapés mentaux où Eric a vécu ses dernières années. Ces images essayent de capter ce qu’a pu être la vie au quotidien de ce frère différent, dans cette institution de prime abord clinique et administrative. Dans ces décors à l’esthétique ordinaire (lumières verdâtres en plafonnier, mobilier sans caractère, linos au sol), j’ai voulu saisir l’humanité sans filtres de ceux qui étaient devenus ses amis. »
Catherine Briault des portraits de carnavaleux dunkerquois, en moyen format argentique, réalisés durant plusieurs années de fréquentation de cette fête si singulière.


Max Decamps, jeune diplômé de l’École Louis Lumière, nous propose une exploration formelle en argentique : « Passionnée par les subtilités de la perception des couleurs et de la dimension 3D de notre environnement, j’explore l’image fixe et animée dans une quête constante de profondeur et d’harmonie chromatique. Dans ma quête incessante d’amélioration et d’expression visuelle, je m’efforce de maîtriser pleinement mon outil de prise de vue. J’essaye de toujours justifier mon diaphragme pour un choix de profondeur de champ, ou de rendu de contrastes.
Dans cette quête d’instantané et d’unicité, mon travail photographique est exclusivement en argentique, je réalise mes propres bobines pellicules avec des chutes Kodak 5219 de tournages. De cette manière, aucune de mes photographies argentiques n’est retouchée ou recadrée, j’aime l’authenticité de chaque déclenchement. »


Thomas Faverjon assemble des impressions fragmentaires et sensibles : « Thomas Faverjon aime les instants, les gens, leurs visages et leurs postures. À une série complète, il préfère des morceaux épars du temps et de la vie, qu’ils soient photographiés avec ou sans objectif. »

Jean-Claude Flaccomio continue depuis l’exposition de l’année dernière son exploration du passé dans sa Provence natale : « Comme un doux rappel de la jeunesse d’antan, Influenzinum est une réflexion homéopathique et poétique dans notre société bousculée par la vitesse et la fugacité de nos vies urbaines. Saisir l’instant du néant dans le présent, prendre le temps, le temps pour soi, le temps de soi, le temps pour l’autre, le laisser en suspens… L’hyper priorité du vide qui devient le grand tout.
L’ode aux petits riens de l’instant. Visiteur qui rentre dans les lieux, prends le temps de regarder, de vivre ces instants volés, petites scènes de la vie en Provence comme nos grands grand-parents aiment se rappeler. »


Nicolas Gontcha propose une série dynamique, inspirée par les maîtres De La Tour, Rembrandt et Le Caravage autant que par le photographe hongrois Brassaï : « Je conçois mon travail comme une fusion entre l’art pictural et l’art photographique. Mon objectif ultime est de capturer l’essence même de mes sujets, de les faire revivre à travers des images intemporelles et envoûtantes, où se mêlent émotion et authenticité. »

Sarah Guillemin-Haddad expose deux tirages, Iceberg et Top of The World, qui font partie d’une série de portraits d’animaux croisés aux quatre coins du monde.


Michele Gurrieri propose une série intime, qui parcourt des instants mélancoliques liés à un deuil amoureux : « Vertige du temps passé en solitude. Je me mets à imaginer un lieu idéal, le lieu de mon bonheur. Il y aurait une lumière quasi-éternelle et de l’eau partout : de l’eau qui jaillit et murmure et reflète la lumière. Des bassines, des ponts, des maisons sur pilotis. Il ferait doux tout le temps et le bruit de l’eau, la lumière, la musique seraient suffisants pour m’enivrer. »


Christophe Larue expose une série épurée et expérimentale : « J’ai souvent un petit appareil sur moi, qui me permet de saisir un instant, un lieu, une ambiance. Après plusieurs années de captures classiques, et plusieurs milliers de clichés, je ressentais une frustration liée à l’écart entre mon ressenti sur place, et ce qu’il en restait sur le cliché. Je me suis alors plongé dans un travail d’analyse des clichés, et il en est ressorti que les détails nuisaient à la perception directe de l’émotion. Nous expérimentons un ressenti dans sa globalité, dans ce que la lumière ou l’ombre nous laissent découvrir. Une photographie contient des détails qui, s’ils ne sont pas signifiants lorsque je prends la photo, le deviennent dans l’œil de celles et ceux qui regardent. Dès lors, j’ai cherché à fondre les détails dans l’ambiance, ne laissant que le ressenti s’exprimer, sans autre point d’accroche pour le spectateur que le travail des ombres, de la lumière et des couleurs. »


Pascale Marin nous propose trois clichés en noir et blanc pris en parallèle de son travail de cheffe opératrice sur ses tournages de long-métrage : « La liberté de déclencher à l’instinct, le pouvoir de figer le temps. Des photos prises sur trois continents qui ressembleraient à des photogrammes de films qui n’existent pas, des souvenirs empêchés de s’évanouir dans le néant. »


Craig Marsden renoue avec la tradition américaine de street photography pour sonder son propre deuil : « J’ai été initié à la photographie par ma soeur. C’est elle qui m’a donné mon premier appareil photo, m’a introduit à la chambre noire et à l’alchimie de l’impression. Après sa mort, j’ai longuement erré, la caméra à la main. Perdu dans le flot des passants qui partaient travailler, je cherchais à matérialiser, à travers la lumière des canyons et les ombres dévorantes de la ville, sa présence disparue. »

Céline Pagny expose une série de photos prises au Niger entre 2000 et 2009 : « De l’étrangeté d’un désert apparemment vide à la profondeur d’un regard d’enfant. C’était en argentique. Contact unique. Pas de 2ème cliché. Toujours à travers le même objectif 50mm grande ouverture. Avant et pendant la guerre civile au Niger (2007-2009). Le désert, apparemment vide, se laisse toujours photographier. Le soigner, soigner les messages qu’il cherche à délivrer, par la façon dont il se compose. Les histoires qu’il propose, l’imaginaire qu’il suscite. L’enfant des maisons-refuges se prend au jeu dans une relation de qualité. Le photographier, c’est jouer. Une façon de communiquer autrement que par des mots puisque nous ne parlons pas la même langue, ou si peu. »


Gaëlle Tanguy baptise sa série La Zone du dehors, comme le célèbre roman d’anticipation d’Alain Damasio : « Plus agile qu’un tournage, la photographie me permet d’explorer des techniques visuelles qui se démarquent des conventions habituelles. Mon approche expérimentale explore de nouvelles façons de représenter la réalité où lumière, texture et couleur laissent émaner une aura des sujets photographiés. »


Clémence Thurninger, française formée en Pologne à l’école de Lódz, propose un glissement de regard dans une démarche minimaliste prise avec un tout petit appareil photo amateur : « J’aime faire de la photo mais n’apprécie pas porter du matériel, j’ai donc souvent opté pour des appareils petits et légers que je peux avoir toujours en poche. Cette série de photographies est une petite sélection de ces moments pris sur le vif durant mes voyages, mes tournages. Elle a été réalisée avec le petit bijou exposé également. Plus jouet que boîtier photo, ce faux LOMO, par le format qu’il propose, m’a permis de jouer avec le temps et le mouvement au sein de cadres fixes. Chaque cliché comme un triptyque en soi… une trinité que j’ai choisi de conserver pour vous raconter ces 3 souvenirs, moments suspendus mais en devenir… »


L’exposition de l’Union des chefs opérateurs, au Hang’art, 61-63 quai de la Seine, Paris 19e, jusqu’au 30 juin 2024 lun-sam 8h-02h dim 9h-23h
Reflets du vernissage, photos © Lucie Vanduyfhuys :




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