
Dans le paysage du documentaire français, cette école unique en son genre cultive depuis vingt ans une approche singulière, alliant exigence technique, conscience environnementale et créativité narrative. Rencontre avec sa directrice, Marie Daniel, qui nous ouvre les portes de son école devenue au fil des ans une véritable institution.
Marie, qu’est-ce que l’IFFCAM ?
MD: C’est l’Institut Francophone de Formation au Cinéma Animalier, une école située dans un petit village des Deux-Sèvres, Ménigoute, entre Poitiers et La Rochelle. L’école est née il y a 20 ans dans le sillage du Festival International du Film Ornithologique de Ménigoute, qu’on appelle le FIFO et elle est portée par le département des Deux-Sèvres, un montage vraiment original. Ce festival axé à l’origine sur les oiseaux, s’est ouvert aux autres animaux et thématiques nature et il est devenu une référence mondiale dans le cinéma animalier.
Comment est née l’idée de cet institut ?
MD: Dominique Brouard, le fondateur du festival, passait son temps à donner des conseils à de nombreux réalisateurs qui venaient au FIFO, souvent complètement paumés face aux contraintes du cinéma animalier. C’était l’époque où les chaînes câblées explosaient, et les documentaires animaliers étaient très demandés. Le problème, c’est que les gens n’avaient aucune formation technique. Du coup, Dominique, avec son énergie incroyable, a décidé de créer cette école, unique en France.

Marie Daniel devant les locaux de l’IFFCAM ©V Pegoraro
Quels sont les aspects techniques spécifiques enseignés à l’IFFCAM ?
MD : Ce qui est super à l’IFFCAM, c’est que les étudiants touchent à toutes les étapes : l’écriture, le cadrage, le montage, le mixage, l’étalonnage. Par exemple, ils apprennent à filmer avec des longues focales pour capter des comportements d’ animaux à distance sans les déranger. Nous leur enseignons aussi la prise de son en pleine nature, où le moindre bruit parasite peut devenir un casse-tête, et où une approche naturaliste est essentielle aussi. Et puis, ils bossent sur la stabilisation : C’est essentiel pour avoir des mouvements fluides et précis, surtout avec des sujets imprévisibles.
Vous avez des anecdotes sur les tournages ?
MD: Oh, plein ! Par exemple, un étudiant a utilisé un drone pour filmer une colonie de flamants roses. Le plan était magnifique, mais les oiseaux se sont envolés à cause du bruit. Ça a déclenché une grande discussion en classe sur l’impact des tournages et l’importance de respecter le non-dérangement. Ce genre de moment, c’est hyper formateur parce qu’il confronte les étudiants à la réalité du terrain.
Vous insistez beaucoup sur l’éthique. Pouvez-vous préciser ?
MD: Oui, l’éthique, c’est un pilier de l’IFFCAM. On ne fait pas de cinéma animalier juste pour de belles images ; on le fait avec une vraie conscience des milieux qu’on filme. Par exemple, par le passé les réalisateurs n’hésitaient pas à manipuler un insecte pour le poser sur une feuille et le filmer, c’est parfois nécessaire. Mais on invite les étudiants à limiter ces manipulations au maximum car il est en réalité impossible de s’assurer qu’un animal ne souffre pas. Quant à l’utilisation d’animaux imprégnés – ceux élevés en captivité pour reproduire des comportements naturels –, c’est une pratique qu’on ne pousse pas bien sûr, mais que les futurs réalisateur.ices et les cadreur.ses rencontreront peut-être dans les années qui suivront l’IFFCAM. Aussi nous en discutons, en essayant de dépassionner le débat pour comprendre et trouver d’autres issues… On préfère trouver d’autres solutions.
©PA Combre
Comment gérez-vous ces débats ?
MD: On en parle beaucoup, sans dogmatisme. Par exemple, les drones offrent des plans incroyables, mais ils peuvent perturber les écosystèmes. La solution? Collaborer avec des naturalistes ou des gestionnaires de réserves. L’idée, c’est de trouver un équilibre entre la créativité et le respect des milieux naturels.
Et au niveau de la narration, comment ça se passe ?
MD: On leur apprend à trouver leur propre voie. On explore plein de dispositifs narratifs : interviews en mouvement, prises de vue immersives, voix off réfléchie. Par exemple, on a récemment fait un atelier où les étudiants devaient filmer un scientifique marchant dans une forêt. L’objectif, c’était de capter sa réflexion tout en travaillant sur la lumière naturelle et la composition. Ce genre d’exercice les pousse à penser à la fois le cadre et l’histoire qu’ils racontent.
Y a-t-il un « style français » dans le cinéma animalier ?
MD: Oui, je le pense. On a un regard plus contemplatif et poétique que le modèle anglo-saxon, qui est très fort pour le story telling par contre. Jacques Perrin, par exemple, a posé les bases de ce style. Nous nous inspirons du modèle « anglo-saxon » pour sa narration efficace, tout en y ajoutant une touche personnelle, un pas de côté.
©PA Combre
Quels sont les débouchés après l’IFFCAM ?
MD: Ils sont variés. Certains anciens étudiants travaillent pour les chaînes du groupe France Télévisions, aussi pour Arte voir même pour le cinéma. Certains aussi partent en auto-production. Par exemple, Sophie Arlot et Fabien Rabin vivent de leurs films depuis 15 ans. Ils ont produit Trait de vie, un documentaire sur la traction animale, avec des moyens très modestes, mais une belle reconnaissance.
Avec les technologies qui évoluent, vos étudiants s’en sortent comment ?
MD: Franchement, ils sont chanceux. Aujourd’hui, tu peux acheter un hybride performant à un prix raisonnable et obtenir des images pro. Certains arrivent déjà équipés avec un matériel impressionnant. Et ce qui est super, c’est qu’ils partagent leurs compétences : ceux qui sont très techniques bossent avec ceux qui ont une approche plus narrative. Ça crée une vraie dynamique.
Comment voyez-vous l’avenir du cinéma animalier ?
MD: Les questions environnementales deviennent centrales, et ça pousse à explorer de nouvelles approches. Par exemple, la collection Monde Sauvage d’Actes Sud ouvre des perspectives fascinantes dont on verra bientôt des adaptations cinématographiques. Et puis, il y a une nouvelle génération de réalisateurs engagés, qui veulent raconter des histoires différemment, avec des formats hybrides ou plus expérimentaux.
En conclusion, qu’est-ce qui fait la spécificité de l’IFFCAM ?
MD: Nos promotions sont réduites, et c’est notre force. Avec 15 étudiants par an, on peut vraiment les accompagner individuellement. Que tu veuilles devenir chef opérateur ou réalisateur, on te donne les outils pour réussir. Et toujours avec cette idée de respecter les milieux qu’on filme.
©Luc Paris UCO
Ils et elles sont passé.e.s par l’IFFCAM:
Marie Amiguet: Elle a co-réalisé La Panthère des Neiges avec Vincent Munier. Ce film a remporté le César et le prix Lumières de la presse internationale du meilleur film documentaire en 2022.
Léa Collober: La réalisatrice a remporté le Grand Prix du 40ᵉ Festival International du Film Ornithologique (FIFO) de Ménigoute en novembre 2024 pour son documentaire Odyssée mare.
Mathieu Le Lay: Réalisateur spécialisé dans les documentaires de nature et d’aventure avec notamment Sur les routes de l’Arctique (2023) ou encore Terres oubliées (2019)
Rémi Demarthon: Réalisateur et opérateur animalier, il co-réalisé avec Alexandra Childs le 52mn Sainte-Hélène, bastion de la biodiversité et remporte le Ushuaïa TV Nature Film Award en 2020.
Sarah Del Ben: Elle travaille depuis plus de 10 ans avec les équipes de Luc Jacquet. Elle est devenu sa directrice de la photographie pour Voyage au pôle Sud (2023)
Site de l’IFFACM https://iffcam.net/
Site du festival international du film animalier de Ménigoute (FIFO)
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