
« Le Léopard des neiges » (« Xue Bao ») est le dernier film de Pema Tseden, décédé brutalement quelques mois après sa sortie. Le réalisateur tibétain, diplômé de l’académie du Film de Beijing, fabrique un récit étonnant dans lequel se mêlent les langues tibétaine et chinoise, les pulsions de vie et de mort, youtube et la religion bouddhiste.
Le film commence par un road-trip entre hommes, puis se fige entre les montagnes. A la fois fable écologiste, tragédie et film dans le film à 5000 mètres d’altitude, « Le Léopard des neiges » s’appuie sur un usage sans retenue des effets visuels numériques, basculant par moment dans le trip onirique avant de revenir à la comédie. Pema Tseden a fait appel au chef opérateur voyageur, belge, Matthias Delvaux habitué des tournages en Chine, dont l’image inonde nos pupilles de la lumière des steppes.
Entretien avec Matthias Delvaux (@delvaux_matthias)
– Comment t’est venue l’idée de gagner ta vie en faisant du cinéma ?
Depuis que je suis petit, j’aime rêver en regardant des films (en particulier les films d’horreur et les films cultes). Et maintenant, parce que j’ai choisi une façon nomade de travailler dans le cinéma, j’ai la chance de vivre des expériences dans différentes parties du monde et avec différentes cultures. Et c’est merveilleux.
– Peux-tu nous parler de tes liens avec la Chine ?
Il y a plusieurs années, j’ai fait un voyage à vélo dans l’ouest de la Chine, qui a été une sacrée aventure et m’a donné envie d’explorer encore plus ce pays. Je suis tombé amoureux des paysages désolés, de la langue et des histoires des gens. Et puis lorsque je suis arrivé, le cinéma indépendant était très dynamique, alors je suis resté pour d’autres aventures.


– Comment as-tu rencontré Pema Tseden ?
Depuis mes voyages dans le nord-ouest de la Chine, j’ai été fasciné par les régions tibétaines et j’adorais les films de Pema Tseden. C’est lui qui a lancé la vague des films tibétains. Alors, lorsque je l’ai vu à un festival de cinéma, je l’ai approché. Il n’est pas très bavard et notre rencontre a été presque mutique. Mais quelques semaines plus tard, il m’a contacté pour travailler sur « Snow Leopard ». Travailler avec lui et son équipe, passer du temps sur le haut plateau tibétain, avec la faune qui s’y trouve, a été une expérience inoubliable.
– Comment s’est déroulé le tournage dans ces hautes montagnes ? Cela a-t-il influencé ton équipe ou l’équipement que tu as choisi ?
J’ai toujours aimé les montagnes, et je me suis rendu tôt sur place pour m’acclimater à l’altitude élevée d’environ 4 000 mètres. Pour les repérages, j’ai escaladé et exploré les montagnes tous les jours, ce qui était super amusant et constituait également un très bon exercice.
J’emmenais parfois mon équipe avec moi pour qu’elle s’habitue à l’altitude. L’équipement que nous avons utilisé pour le tournage était simple : une Arri Amira et des Ultra Primes, donc très transportable.

– As-tu préparé ce film différemment compte tenu de la grande quantité d’images de synthèse qu’il contient ?
Nous avons surtout dû imaginer la panthère des neiges pendant le tournage. Une actrice a étudié les mouvements de la panthère et portait un manteau en fausse fourrure. Cela a permis aux acteurs et à l’équipe de tournage de savoir où se trouverait la panthère des neiges dans le cadre. J’étais en étroite communication avec l’équipe des CGI qui devait remplacer ce faux léopard des neiges par un léopard numérique en post-production. Ils nous ont vraiment laissé beaucoup de liberté.


– Que pouvons-nous apprendre en Belgique ou en France de la façon dont les Chinois et les Tibétains réalisent leurs films ?
Le cinéma indépendant chinois est un peu rock’n’roll de temps en temps. Il y a beaucoup de limitations et il faut être un peu inventif pour les contourner. Ils ne peuvent pas toujours attendre que les budgets arrivent, alors ils trouvent un moyen de réaliser le film avec un budget plus petit.

– Vers quoi (et où) te diriges-tu maintenant ?
J’ai l’intention de rester plus souvent en Belgique et de travailler davantage en Europe. J’ai un peu trop « nomadisé » ces dernières années. Mais de temps en temps, j’aimerais retourner dans les paysages de l’Est, sans cela ils me manqueraient trop.

Présenté hors compétition au festival Chefs op’ en lumière 2025, le film est sorti en France le 11 septembre 2024 et disponible en VOD.
( English version )
“The Snow Leopard” (« Xue Bao ») is the last film by Pema Tseden, who died suddenly a few months after its release. The Tibetan director, a graduate of the Beijing Film Academy, crafts an astonishing tale in which the Tibetan and Chinese languages, the impulses of death and life, YouTube and the Buddhist religion mingle.
The film begins with a road-trip between men, then freezes between mountains. At once an ecological fable, a tragedy and a film within a film at 5,000 meters above sea level, “The Snow Leopard” relies on unrestrained use of digital visual effects, veering at times into a dreamlike trip before returning to comedy. Pema Tseden called on the services of Belgian cinematographer Matthias Delvaux, accustomed to shooting in China, whose images flood our pupils with the light of the steppes.
Interview with Matthias Delvaux (@delvaux_matthias)
– How did you come up with the idea of making movies for a living ?
I have loved dreaming away through movies since I was young, especially horror and cult films. And now because I chose a more nomadic way of working in cinema, I am able to get experiences in different parts of the world and with different cultures. It’s wonderful really.
– Can you tell us about your Chinese connection ?
Many years ago I did a bike trip in West-China which was a big adventure and made me curious to explore China even more. I fell in love with the desolate landscapes, the language and the stories from the people. When I arrived the independent movie scene was quite strong, so I stuck around for some more adventures.
– How did you meet Pema Tseden ?
Since my travels in north-west, China I have been very fascinated by the Tibetan regions, and I have loved Pema Tseden’s movies. He pretty much started the Tibetan movie wave. So when I saw him at a film festival, I approached him. He is not a man of many words so it was a very quiet meeting. But a few weeks later he contacted me to work on Snow Leopard. Working with him and his crew, spending time in the Tibetan high plateau and the wildlife there, was an unforgettable experience.
– How was it to film in those high mountains ? Did it influence your team or the equipment you chose ?
I always liked mountains and I went early to the location to acclimate myself to the high altitude of about 4000 meters. And for location scouting I went to climb and explore mountains daily, which was great fun and good exercise too.
I would take my team with me sometimes so they would get used to the altitude. The equipment we shot with was simple : Arri Amira and Ultra Primes, so it was very transportable.

– Did you prepare this movie differently given the huge amount of CGI in it ?
We mostly had to imagine the snow leopard during the shooting. We had an actress who studied the movements of the snow leopard and was wearing a fake fur snow leopard coat. This gave the cast and crew a reference of where the snow leopard would be in the frame. I was in close communication with the CGI team because they had to replace the fake snow leopard with a CGI one in post. But they really gave us a lot of freedom.


– What could we learn in Belgium or France from the Chinese and Tibetan way of making movies
Chinese independent movie making is a bit rock’n’roll once in a while. There are a lot of limitations, and they have to be a bit inventive in how to go around these limitations. They can not always wait for budgets to arrive, so they will find a way to get the movie done with a smaller budget.

– Where are you heading now ?
I’m planning to stay in Belgium more often and work in Europe more. I have been « nomading » a bit too much the last few years. But once in a while I would like to return to the desolate landscapes of the East, because I will miss them.

Presented out of competition at the Chefs op’ en lumière 2025 festival, the film was released in France on September 11, 2024 and is available on VOD.
Distribution : ED Distribution (@ed.distribution)
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