Récit intime aux tonalités mystiques, Magnificat devait trouver une traduction visuelle à la hauteur de ses ambitions.
Noémie Gillot, qui signe la photo du film, explique comment elle a relevé ce défi.

Comment s’est précisée l’esthétique que tu recherchais ?

En préparation, avec la réalisatrice Virginie Sauveur et la cheffe décoratrice Lise Péault, nous avons produit un document assez épais de références visuelles (photographies, photogrammes, peintures…) qui nous a servi de base de dialogue pour chaque type de décor.
De mon côté, je classais ces différentes images et je retravaillais mes photos de repérage en fonction des effets recherchés (jour, nuit, aube…)
Virginie avait des envies précises autour des couleurs et des motifs qui jalonnent le film.
Par exemple, elle souhaitait que des rayons de lumière plus ou moins marqués rythment les séquences. Cela pouvait être un trait flamboyant bien net matérialisant l’ouverture de la trappe du crématorium sur le Visage de Charlotte, ou un rai de soleil doux sur le corps lardé de cicatrices de son fils endormi, ou encore une trainée lumineuse s’échappant d’un vitrail dans l’église où elle discute avec Anne.
Pendant le tournage, nous avions constamment en tête cette idée d’une intervention lumineuse divine, à faire apparaître çà et là.

Pourquoi as-tu choisi d’utiliser la caméra Alexa mini LF et les optiques Genesis G35 pour ce film ?

Le choix du plein format s’est imposé assez naturellement pour être au plus proche de la comédienne principale tout en la détachant des arrières plans, même dans des valeurs plutôt larges. L’intrigue évoluant dans des espaces très variés, qu’il s’agisse de vastes églises ou d’étroits camping-cars, il me fallait un équipement plutôt léger et polyvalent. Nous avions des scènes de nuit donc j’avais aussi besoin d’un peu plus de luminosité au niveau du capteur. J’ai toujours aimé la Alexa mini, la LF venait de sortir et j’avoue que j’avais très envie de la tester.

Après des tests comparatifs chez TSF, j’ai été séduite par le rendu des G35, fabriquées en Allemagne par Gecko-cam. Elles ont un look un peu vintage et organique tout en restant maîtrisables, elles sont très légères, d’une ouverture constante de T1.4, et surtout, j’ai aimé leur texture, leurs flares… Il y avait d’autres optiques qui me plaisaient, mais celles-ci constituaient le meilleur compromis en termes d’aspect, de praticité d’utilisation ainsi que de budget. Je ne regrette pas d’avoir été l’une des premières à les utiliser en France.

Comment as-tu géré visuellement les différents environnements du film, des églises modernes et anciennes aux extérieurs nuit du campement gitan et du bord de mer ?

Nous avons visité un certain nombre de paroisses avant de trouver celle du père Foucher. Il fallait d’abord que l’église soit désacralisée pour pouvoir y tourner plusieurs jours. Ce n’était pas du tout notre idée de départ mais lorsque nous avons découvert la chapelle au toit triangulaire du collège Passy Buzenval à Rueil Malmaison, on s’est dit qu’une architecture très moderne apporterait quelque chose de plus inattendu au récit, tout en faisant sens avec le progressisme qu’incarnait le prêtre décédé. Cela permettait aussi, à l’inverse, d’ancrer le flash-back de son ordination dans un décor d’église beaucoup plus traditionnel.


Et puis ce collège nous permettait de regrouper un nombre assez improbable de décors dans le plan de travail : l’église du père Foucher, la sacristie, mais aussi le couloir du crématorium, le hall du tribunal, et l’extérieur du pensionnat de Thomas. Une belle optimisation.
Globalement, nous avons conservé un certain esthétisme sobre et intemporel dans le filmage des institutions ecclésiastiques (le presbytère, le diocèse), sans doute pour coller au conservatisme de l’Eglise.
Au contraire, la paroisse du père Foucher avec tous ces vitraux modernes bariolés (pas toujours facile à gérer d’ailleurs en termes de colorimétrie !), comme le campement des gens du voyage, avec les guirlandes, les phares de voitures, le feu, la fumée… nous ont permis d’explorer des univers plus vivants et plus colorés.

A la base j’avais prévu d’éclairer au ballon la séquence nocturne de la plage où Thomas se dispute avec Charlotte et plonge dans la mer. Malheureusement le vent s’est levé soudainement ce soir-là, et je me suis retrouvée à devoir filmer des plans larges sur la plage de nuit, avec seulement un 4kW en réflexion et deux SkyPanels… Sur le coup je n’en menais pas large, mais finalement je ne trouve pas inintéressant le fait que la mer soit une étendue noire, opaque et menaçante, dans laquelle s’engouffre l’adolescent. Cela nous amène assez naturellement à la scène symbolique « hommage » à Persona de Bergman, dans laquelle Thomas émerge de l’obscurité pour faire face à l’image rétro projetée de son père fantasmé.

Comment as-tu différencié les séquences de narration classique des séquences plus oniriques, de rêve ou de flashbacks ?

Pour les séquences plus oniriques : cette noyade, le rêve de Charlotte au tout début du film, le moment où Thomas se scarifie dans la salle de bain, et le flash-back de l’ordination du père Foucher à la toute fin… J’ai tenté de changer légèrement la texture de l’image, que ce soit en jouant avec le flou, la vapeur, la diffusion ou même le ralenti, sans pour autant changer radicalement le style car ce n’était pas le souhait de Virginie.

Dans l’une des séquences, au crématorium, pratiquement toute la narration est prise en charge par la lumière: comment cela s’est-il décidé ?

Je crois que ce plan séquence est mon préféré du film, parce qu’il est un peu énigmatique. Virginie avait dès le départ une idée très claire de ce qu’elle voulait ; sa référence était une photo de Meryl Streep prise par son fils Henry Wolf. On y voit le visage de l’actrice traversé verticalement au niveau de son œil par un rai de lumière très net, comme si une porte entrouverte laissait passer un filet de lumière vive.


Dans le film, la crémation a lieu hors-champ, nous ne voyons que le couloir qui mène au four, puis une fois la porte refermée, la combustion du cercueil se joue uniquement au son et grâce à l’effet de lumière qui inonde le visage de Charlotte.
Le plan est cadré au steadicam par Marc Benoliel pour pouvoir passer de l’autre côté de la porte. Avec mon chef électricien Adrien Chata, nous avons opté pour un projecteur de scène automatique, avec des couteaux motorisés. Il a fallu caler minutieusement la découpe sur la lucarne de la porte, puis programmer à l’iPad le rythme d’ouverture et de fermeture. Karin Viard devait se placer précisément pour que le rai de lumière apparaissent exactement sur son œil. Comme nous avions bien pensé cet effet en amont et pris le temps de tester le projecteur, ce plan compliqué a finalement été tourné assez rapidement.

Comment as-tu collaboré avec Marine Lepoutre, la coloriste du film ?

C’était la première fois que je travaillais avec Marine Lepoutre et ça s’est merveilleusement bien passé. Dès la préparation nous avons échangé sur le dossier « mood » du film, puis nous avons créé des luts à partir des images tournées en essais chez TSF avec les comédiens et quelques éléments de décor. Il y en avait une petite dizaine qui me permettaient de jouer sur le contraste, la densité ou la colorimétrie de chaque scène. Finalement à l’étalonnage, nous sommes assez peu revenues sur les intentions de départ, sauf par exemple pour refroidir des intérieurs, car la présence de bougies et de bois dans de nombreux décors (les bancs de l’église, le mobilier du diocèse) avait tendance à rougir certains plans.

Magnificat est ta première expérience en tant que directrice de la photographie sur un long-métrage, qu’est-ce que cela t’a apporté en termes de compétences, de connaissance et de vision artistique ?
Est-ce que cela a changé ta manière d’aborder ton métier pour tes futurs projets ?

Ça a confirmé le fait qu’une bonne prépa est la clé pour que le tournage se passe le mieux possible. J’ai découvert que de tourner un film avec des moyens et une équipe technique expérimentée, c’est finalement bien plus facile et confortable que d’enchainer les courts-métrages fauchés où il faut sans cesse faire des concessions et user de système D ! Donc j’étais plutôt émerveillée et ravie de pouvoir enfin travailler dans des conditions professionnelles « normales », et je me suis sentie très vite à ma place.
J’étais évidemment assez anxieuse avant le tournage, et pour ce premier long, beaucoup m’avaient conseillé de m’entourer de techniciens aguerris, de « vieux d’ la vieille ». Mais j’ai préféré m’écouter et faire appel à des compagnons de galère de longue date (notamment mon premier assistant caméra et mon chef électro) et je fus heureuse de constater que cette « prise de risque » n’en n’était pas une, tant je me suis sentie soutenue et accompagnée tout au long de l’aventure.
Enfin, ce premier long m’a évidemment apporté énormément en termes de confiance en moi. Suffisamment pour en tourner un second dès l’année suivante en tout cas, et avec encore plus de plaisir 🙂

Un immense merci à la réalisatrice Virginie Sauveur, aux producteurs et à toute l’équipe, et particulièrement à l’équipe image :

à la caméra : Adrien Manant, Adrien Scheffer, Nina Richard
à l’électricité : Adrien Chata, Florian Desobeaux, Telma Langinieux (et aux renforts Julien Malichier et Bastien Leroux-Rebut)
à la machinerie : Eric Fodera et Félicien Forest
à la 2ème caméra : Romain Le Bonniec, Simon Roche
au Steadicam : Guillaume Quilichini, Marc Benoliel
à l’étalonnage : Marine Lepoutre
à la post prod : Julie Lescat et United postprod

Merci aussi infiniment à TSF : Frédéric Valay, Laurent Kleindienst, Danys Bruyère, Aurélien Branthomme, Aurélien Taquet, Serge Graber, Catherine Viejo, Franck Techer et toutes les équipes, pour leur accompagnement précieux !