Thomas se réveille à l’hôpital après trois ans de coma. Il ne se souvient de rien. Une psychologue lui apprend que sa famille a été assassinée et qu’il est le seul survivant du massacre. Elle aide le jeune homme à reconstituer ses souvenirs fragmentés. Des vérités insoupçonnables et des souvenirs terrifiants surgissent alors de ce labyrinthe mental. Pierre Baboin nous parle de son travail sur le nouveau film de Christophe Charrier diffusé le vendredi 28 octobre sur Arte.

« Le patient » n’est pas ta première collaboration avec le réalisateur Christophe Charrier. Quelle a été la première étape dans l’approche de la direction de la photographie pour raconter cette histoire ? Comment s’est construit votre travail préparatif sur le film, et est-ce que cette confiance de longue date vous a ouvert des champs d’exploration plus larges?

Christophe a tout de suite su qu’il voulait un film d’automne, dès lors, la palette de couleur, les niveaux de densité et l’ambiance sont assez vite apparus comme évidents. Ensuite, le choix des décors et de la région (Clermont-Ferrand) nous a permis d’affiner encore la direction artistique.

Durant la préparation, Christophe m’a nourri de références diverses, notamment « The Outsider » pour la silhouette sombre et l’ambiance, « Elephant », une photo, représentant un jeune homme assis la tête dans les mains contre le mur d’une pièce au fond d’un couloir, et nous avons commencé à accumuler des références visuelles et à créer un moodboard. J’aime ce procédé qui, en croisant des références différentes me permet d’appréhender petit à petit l’ambiance que souhaite le réalisateur. Le travail avec la cheffe déco Clémence Pétiniaud a été également essentiel car il permet une vraie cohérence. L’idée était de créer une image forte mais toujours ancrée dans le réel. Porter l’histoire sans être esthétisant, ni artificiel. Il fallait aussi que la photo soit intemporelle, non soumise à une mode quelconque, tant sur le choix des focales que sur la manière d’éclairer. L’histoire se passe à la fin des années 90 / début des années 2000 pour éluder les téléphones portables, mais elle pourrait se passer n’importe quand.

 

 

Christophe et moi avons travaillé ensemble sur d’autres projets et bien sûr sur son film « Jonas » (Arte). C’est très agréable de travailler avec un réalisateur qui vous fait confiance et que vous connaissez bien. Je sais tout de suite ce qui va lui plaire ou non, et mes propositions vont donc dans ce sens. On gagne du temps. Christophe est très fort pour partager sa vision et nous y faire adhérer. Il donne une vraie direction artistique, chacun trouve et occupe sa place. Quant à moi, en tant qu’opérateur, je suis chargé de traduire sa vision à l’image. Lorsqu’elle est claire, le travail se fait naturellement.

Je pense à l’inverse que cette confiance de longue date permet un travail plus fin et chaque fois plus abouti. Savoir exactement là où on veut aller me permet en revanche d’explorer de nouvelles façons d’y arriver, de donner des consignes claires à mes équipes, et d’aller ensemble dans une direction comprise de tous. Quand on travaille depuis longtemps ensemble, on va droit au but !

 

Ce film étant l’adaptation du roman graphique de Timothé Le Boucher, comment avez-vous appréhendé le rapport à l’œuvre originale et dans quelle mesure son imagerie initiale vous a-t-elle inspirée et accompagnée ?

Au niveau de l’histoire, Christophe s’est pas mal éloigné de l’œuvre originale. Le pitch est similaire mais les personnages ont des trajectoires différentes, certains ne sont pas les mêmes… Visuellement, des tableaux nous ont particulièrement marqués, notamment la chambre d’hôpital de Thomas, la silhouette sombre accroupie sur son lit d’hôpital, et la maison Grimaud. Ces images nous ont suivis pendant les repérages, puis évidemment lors du découpage technique que Christophe effectue sur les décors muni de son appareil photo. Certains plans ont été voulus très graphiques, très « cadrés » dans l’esprit de l’œuvre de l’auteur. A part ces quelques références, nous n’avons pas cherché à coller à l ‘originale, c’était plutôt un point de départ.

Le spectateur est plongé dans les pensées labyrinthiques de ce jeune amnésique qui essaye de reconstituer la triste réalité du jour du crime. Vous avez effectué un énorme travail dans la construction d’un espace mental en constante évolution. Peux-tu nous en dire plus sur vos réflexions autour de la mise en image de ces cheminements de la pensée ? Sur les transitions entre le souvenir et la réalité, entre le jour et la nuit et sur la suggestion de l’absence ?

Dès les premières minutes du film, nous apprenons que Laura, la grande sœur de Thomas est portée disparue. Il y a effectivement l’absence de cette sœur qui plane tout au long du film. Un personnage en remplace un autre, la mémoire se déforme, le cadre se vide. L’obsession de Thomas pour sa sœur nourri et oriente ses souvenirs. A sa sortie du coma il est désorienté. Ses souvenirs se mélangent et évoluent au fur et à mesure de son travail avec sa psychologue. Il pénètre même dans ses souvenirs « en temps réel » et les façonne, aidé de sa psy.

C’est un va-et-vient permanent entre souvenirs en partie fabriqués et réalité présente, les temporalités changent. Le cheminement de Thomas peut l’amener de son souvenir récurent à celui de la nuit du meurtre, impliquant un changement de temporalité dans une continuité de lieu. Il a donc fallu faire tomber la nuit et l’orage sur un passage de porte depuis un extérieur jour par exemple. Outre la complexité technique pour y parvenir, notre objectif était de créer un espace-temps mobile, et perdre le spectateur. Changer de souvenir au sein d’un même plan, ou au cours d’une séquence. Garder le point de vue de Thomas a été notre obsession et tout le découpage a été pensé en ce sens. Les aller-retours de flashback / souvenirs ont été travaillés pour se fondre et se mélanger. Mais c’est Thomas qui se souvient, c’est donc son regard qui détermine le point de vue de la caméra. On ne montre jamais quelque chose qu’il n’aurait pas pu voir.

 La pièce vide de la maison Grimaud, au bout de ce long couloir sombre, était une façon de donner de l’importance à la déambulation de Thomas dans ses souvenirs, comme une errance, un labyrinthe. Ce couloir résonne avec celui de l’hôpital dans lequel il séjourne. Il y a dans ce film tout un jeu entre ce qui se passe à l’hôpital dans le temps présent et les souvenirs que certains objets / situations évoquent. Un peu comme dans un rêve où un son extérieur peut orienter ce qui se passe dans le rêve.

 La fameuse silhouette sombre, en sweat à capuche noir, oppressante par sa présence répétée et impromptue, comme des flashs hallucinatoires, est omniprésente. Elle n’existe que dans la tête de Thomas.

 

Avez-vous mis en place un workflow particulier pour vous aider à maitriser la complexité des différents espaces-temps ?

Je travaille en général avec une seule LUT par film. Sauf lorsqu’il y a des temporalités ou des lieux que l’on souhaite traiter très différemment. J’aime bien l’idée d’un « jus » global par film. Évidemment, l’étalonnage nous permet d’apporter des variations chromatiques pour rythmer le film, mais au visionnage des daillies, on est dans une ambiance forte et uniforme, dans le ton du film. Je trouve important que le diffuseur, la production et la mise en scène puissent se sentir « dans le film » à la vision de ces daillies. Avec Thibaut Pétillon, mon étalonneur, nous avons utilisé les images des essais filmés avec les comédiens, costumes, éléments de décors… pour créer une LUT assez complexe afin de trouver la chroma et le contraste du film. Cette LUT, dont il existe deux versions (celle utilisée sur la caméra pour le tournage est un peu plus droite) se révèle assez proche de l’image finale du film.

 

Dû à son long coma, le personnage de Thomas est incapable de se déplacer seul et est souvent alité. Il y a un réel jeu sur l’horizontalité et la verticalité dans la composition. Comment avez-vous appréhendé cette question ?

Déjà il y a la question du format. Le scope est un format horizontal, et Thomas passe en effet une bonne partie du film alité. C’est naturellement assez adapté. Mais au-delà de ces considérations, le scope offre du décor autour des personnages. Thomas siège au milieu d’un cadre qui le dépasse. Même sur les gros plans, les décors existent. Il était important pour ce film de faire exister ce qui se passe autour de notre personnage. Le contexte.

Christophe est un réalisateur qui aime le mouvement et qui met en scène en conséquence. Le défi pour Erik Bonnaire, mon chef machiniste résidait dans la précision quasi chirurgicale des mouvements qu’il a eu à effectuer. Dans la chambre d’hôpital de Thomas, malgré l’espace réduit, nous avons réalisé des plans à plus de 180° autour du lit. Ce format horizontal est très adapté aussi pour des confrontations entre deux personnages.

La verticalité se trouve plus dans la narration. La chambre vide en haut, celle de Thomas en bas. Et ces escaliers, maintes fois empruntés !

 

En termes de technique, comment s’est fait le choix de l’équipement ?

J’aime beaucoup la Sony Venice pour la richesse de ses couleurs, sa dynamique et son ergonomie. Le choix s’est fait assez vite pour ces raisons générales, en sachant que j’attache beaucoup plus d’importance aux optiques qui donnent un vrai style à l’image. Je vous défis de sortir d’une salle de cinéma et de dire à coup sûr que vous reconnaissez le style de telle ou telle caméra, alors que pour les optiques, cet exercice est possible !

Nous avons travaillé avec Transpa comme partenaire. Je suis allé faire des essais préparatoires avec Baptiste Brandily, mon assistant caméra afin de déterminer les optiques que nous allions utiliser. Nous avons comparé des Master Anamorphique, les Signature Prime, ainsi que les Optimo Prime. J’ai assez vite senti que les Optimo seraient adaptés pour ce film. Cette nouvelle série était assez courte car toutes les focales n’avaient pas encore été livrées, mais leur rendu chaud et rond, ainsi que ce petit charme m’a séduit. J’ai croisé plus tard, les ingénieurs d’Angénieux qui étaient dans les locaux de Transpa pendant les essais caméra, ils nous ont montré des versions customisées. En effet cette série peut être modifiée par le loueur en changeant des modules avant ou arrière afin d’obtenir des rendus différents. On peut même changer la forme de l’iris afin d’avoir par exemple un bokeh ovale ou triangulaire ! Ces options n’étaient pas encore disponibles mais je trouve le concept prometteur.

Nous avions un défi à la lumière, c’était de créer une nuit d’orage sur des plans séquences qui pouvaient commencer porte ouverte sur de l’extérieur jour, et qui continuaient jusqu’au premier étage en fausse nuit. Nous avons pour se faire utilisé des machines à éclairs couplées à des skypanel et des Vortex, le tout reliés en DMX sur tablette. Mickael Radke, mon chef électricien a fait créer par son équipe différents programmes associant les nombreuses sources afin de les lancer de façon aléatoire pour qu’il n’y ai pas de répétition dans les effets.

 

Le tournage du « Patient » de Christophe Charrier a été pour moi l’occasion de relever des défis, et l’ambition de ce projet m’a porté. Je suis très fier de ce film. J’espère qu’il vous plaira !

 

Le film sera disponible en replay sur Arte jusqu’au 26 novembre 2022, puis disponible sur Netflix monde à partir du 30 Novembre 2022.

Pierre Baboin sur le tournage du film ©Fanny de Gouville

 

Teaser

 

  • Réalisation : Christophe Charrier
  • Scénario : Elodie Namer, Christophe Charrier
  • D’après le roman graphique « Le Patient » de Timothé Le Boucher
  • Production : Stromboli Films, ARTE F
  • Productrice : Juliette Sol
  • Image : Pierre Baboin
  • Montage : Stéphanie Dumesnil
  • Musique : Alex Beaupain
  • Avec : Txomin Vergez (Thomas), Clotilde Hesme (Anna Kieffer), Rebecca Williams (Laura), Audrey Dana (Betty Grimaud), Stéphane Rideau (Marc Grimaud), Matthieu Lucci (Dylan), Alex Lawther (Bastien)
  • Costumes : Marine Galliano
  • Décors de film : Clémence Pétiniaud
  • Chargée de programme : Isabelle Huige
  • Pays : France
  • Année : 2022