Entre 2010 et 2019, seulement 11% des longs métrages de fiction ont été signés par une femme à l’image. Et contre toute attente, aucune augmentation n’est perceptible sur cette période.

Contexte

En mars 2021 paraissait la dernière étude prospective du CNC sur la place des femmes dans l’industrie cinématographique. Cette étude est un outil concret et nécessaire pour objectiver les inégalités existant entre les femmes et les hommes dans notre industrie et ainsi commencer à les combattre. Toutefois, la direction de la photographie s’y retrouve noyée dans l’ensemble des métiers de la prise de vues. Le chiffre de 27,8% de femmes à l’image présenté dans l’étude nous a semblé très supérieur à la proportion de directrices de la photographie que nous constations dans les génériques des films de cinéma.

Premiers résultats

Avec le Groupe Parité de l’Union des Chefs Opérateurs, nous avons recensé les films éclairés par des directrices de la photographie parmi les longs métrages de fiction majoritairement français agréés par le CNC sur 10 ans de 2010 à 2019.

Le résultat est encore plus bas que ce à quoi nous nous attendions : en moyenne, seulement 11,2% des films sont photographiés par des femmes. Le chiffre oscille entre 8,4% et 15,6% selon les années, et contre toute attente, aucune augmentation n’est perceptible sur cette période.

Ces pourcentages sont très loin des 27,8% de femmes à la prise de vues que présente l’étude du CNC, cela confirme que les femmes du département image sont cantonnées à des postes d’assistantes.

Résultats par budget de production

Les budgets prévisionnels moyens des films éclairés par des femmes sont deux fois plus bas que ceux éclairés par des hommes. De nouveau, pas d’évolution manifeste sur les 10 ans de notre étude.

Plus le budget des films augmente, plus le pourcentage de femmes à l’image diminue. Ainsi sur les films avec des devis dépassant les 5 millions d’euros (devis moyen pour les films avec des hommes à la direction de la photographie) il n’y a plus que 4,34% de femmes directrices de la photographie.

Résultats par genre réalisateur/réalisatrice

On note un pourcentage de 22,9% de femmes à la direction de la photographie lorsqu’il s’agit d’une femme à la réalisation. Lorsqu’il s’agit d’un réalisateur, ce pourcentage descend à 8,3%.

L’augmentation du nombre de réalisatrices se révèle un levier précieux néanmoins relatif.

Pourquoi changer les choses ?

La constance des résultats est la suivante : jusqu’en 2019, 90% des films de fictions cinéma en France sont mis en image par des profils masculins.

Constat que l’on peut élargir sur l’ensemble des fictions françaises, car en écho à notre étude, l’observatoire européen de l’audiovisuel vient de publier un rapport qui couvre l’ensemble des fictions télévisées européennes de 2015 à 2019, dont le ratio de directrices de la photographie ne dépasse pas les 8%. Ce même taux est relevé pour les fictions françaises à la télévision sur 2019 par l’étude faite par l’INA et l’association “Pour les femmes dans les médias”.

Sommes-nous tous en accord avec le caractère alarmant de ces chiffres et de ce qu’ils révèlent ?

Le point de vue de notre groupe est qu’au-delà des données statistiques, et de l’égalité homme/femme, la parité est un enjeu de diversité des regards posés sur le monde et donc de richesse cinématographique. Pourquoi le cinéma et l’audiovisuel français continuent-ils de se priver de 50 % des talents à sa disposition ?

De plus, le cinéma étant une industrie, il peut tirer de réels avantages économiques et stratégiques en plaçant les femmes aux postes de direction. Les différents rapports au niveau international montrent en effet que la parité est un atout économique: 75% des entreprises attentives à la mixité dans les postes à responsabilité observent une augmentation de leurs bénéfices de 5 à 20%. Par ailleurs cela pourrait se traduire en terme d’image pour les productions cinématographiques; nul doute que celles qui auront mis en place la parité dans la constitution des équipes de tournage amélioreront grandement leur réputation auprès des différents guichets de financement, notamment les télévisions et les plateformes de streaming, qui sont déjà très attentives à la question.

QUE FAIRE POUR CHANGER LES CHOSES?

Depuis 2019 le CNC accorde un “bonus parité” de 15% de soutien aux films qui atteignent la parité sur les huit postes d’encadrements suivants : réalisation, direction de production, direction de la photographie, chef.fe opérateur son, chef.fe costumes, chef.fe décorateur, monteur.se et auteur.trice. Cette unique mesure ne sera certainement pas suffisante.

La sous-représentation des profils féminins pour la direction de la photographie est due à de multiples facteurs :

– Le problème de représentation dans l’imaginaire collectif des femmes à des postes techniques et physiques qui engendre un manque de confiance de la part des productions, des réalisateurs.trices et des directrices photo elles-mêmes. Il y a matière à valoriser les cas de films qui vont contre ce présupposé à l’instar du Reframe Stamp hollywoodien, mais aussi à encourager la diversité des représentations iconographiques dans la documentation professionnelle et estudiantine.

– Le manque de diversification des profils créatifs dans les productions de courts-métrages qui servent de terrain d’apprentissage et de porte d’entrée potentielle au long-métrage. Ils passent néanmoins sous les radars des statistiques et pourraient faire l’objet d’une vigilance particulière.

– Le passage vers la parentalité plus difficile pour les femmes que pour les hommes : l’inégalité actuelle des congés maternité et paternité dans le cadre de l’intermittence du spectacle reste à étudier. Le développement de modes de gardes plus adaptés à nos métiers est aussi une solution à creuser.

– Des critères d’éligibilités à la sélection de festivals peuvent être une piste incitatrice.

– Enfin, la politique des quotas, ébauchée en termes incitatifs avec le bonus parité du CNC, pourrait être appliquée plus largement et éventuellement de manière obligatoire, comme c’est le cas chez France Télévisions. Car même si les quotas sont des mesures clivantes, leur efficacité est prouvée à bien plus court terme que n’importe quelle autre mesure incitative.

Il est aujourd’hui urgent de mener de front un travail sur l’ensemble de ces freins, car malgré le vent de changement soulevé par le mouvement #MeToo sur l’industrie mondiale du cinéma et de l’audiovisuel depuis six ans, les chiffres eux ne changent pas et les blocages persistent.

La route vers la parité et, de fait, vers la diversité, reste très longue.

Gertrude Baillot, Malory Congoste, Nicolas Contant, Pascale Marin, Yoann de Montgrand, Thomas Favel