À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Nicholas Kent.
Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?
Quand j’avais environ 14 ans, je me suis approprié l’Olympus OM-1 de mon père et j’ai appris peu à peu à faire des photos argentiques. En parallèle j’ai commencé à réaliser des courts métrages avec le ciné-club de mon lycée. À Vancouver, où j’ai grandi, il y avait pas mal de tournages et grâce à un ami de mon père j’ai réussi à trouver un stage en régie sur un format court, j’avais alors 16 ans.
Ma première tâche était d’aider avec les chargements lumière/machinerie. Je suis arrivé en avance et pendant une demi-heure je me suis retrouvé seul avec le directeur de la boîte. Avant même de commencer à charger, il m’a proposé de m’embaucher pour le reste de l’été. Sur ce premier tournage j’ai fait de la régie, de la machinerie, j’ai même joué un petit rôle de cycliste en costume d’époque. J’étais désormais accro au plateau de tournage. J’étais surtout fasciné par l’équipe caméra et l’aura de magie qui se dégageait de cette camera 35mm. Cette première expérience a été extraordinaire et m’a permis de me familiariser avec le matériel.
Ma fascination pour les métiers de l’image mouvante était née.
En préparation d’un plan travelling en Moldavie sur “Les Oubliés” réalisé par Mihai Tarna
Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?
Comme j’ai grandi au Canada, j’ai surtout été exposé au cinéma hollywoodien. J’étais inscrit au ciné-club de mon lycée lorsque Matrix est sorti et ses effets visuels nous émerveillaient. À l’époque nous étions tous obsédés par les fonds verts ! J’étais aussi fasciné par le monde obscur des films de gangster – l’univers de Coppola et de Scorsese. Dans le même temps, je découvrais les films de Cronenberg et le cinéma indépendant américain, notamment Linklater et Todd Haynes. Puis petit à petit je me suis tourné vers le cinéma européen, surtout la France et l’Italie. La découverte d’ »Apocalypse Now » m’a amené à découvrir le travail de Storaro, qui m’a conduit à Bernardo Bertolucci. J’ai découvert Leos Carax un peu par hasard – parti en Suisse pour une année d’échange scolaire en terminale, une énorme affiche de Pola-X recouvrait le mur de la chambre que j’occupais. Son univers n’a cessé de me captiver depuis lors.
Quelle a été ta formation initiale ?
Après avoir passé mes étés sur des plateaux à Vancouver, j’ai décidé de tenter l’expérience européenne. Je me suis inscrit à l’EICAR pour une formation de 3 ans en section International. A l’époque, on tournait encore la plupart de nos projets en 35mm ou 16mm et c’était une excellente manière d’aborder la création d’une image. Ma passion pour les formats argentiques s’est encore renforcée tout comme la manière de travailler que cela implique. Je garde encore le souvenir de plein de projets ambitieux, d’une ambiance étudiante et cosmopolite et d’une production créative (ce qui a malheureusement changé depuis, de toute évidence).
Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?
Après ma formation, j’ai passé quelques années à travailler sur des projets très variés allant du court métrage au clip et au long métrage en passant par l’institutionnel. L’approche que j’avais adoptée consistait à tourner le plus possible aussi bien à la caméra qu’au réglage des lumières et aussi en faisant de la machinerie, surtout en pub. On peut dire que ma polyvalence a été ma spécialité. Au fur et à mesure, j’ai développé une envie de m’exprimer davantage et j’ai commencé à faire mes armes en tant qu’opérateur sur des courts métrages. Je travaille exclusivement en tant que chef opérateur depuis 2017, date de mon premier long métrage « Les Oubliés », le film du metteur en scène moldave Mihai Tarna (en cours de distribution).
Capture d’écran d’un début d’étalonnage pour “Les Oubliés” réalisé par Mihai Tarna
Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?
Jusqu’ici j’ai beaucoup travaillé sur des films qui exploraient des univers obscurs, cachés et parfois fantastiques. Pour moi l’immersion est un élément clé dans l’expérience cinématographique – mon but n’est pas de mettre en avant la qualité des images mais que la qualité des images et les choix faits lors de leur conception permettent au spectateur de se fondre dans l’univers du film et de s’oublier dans l’histoire. J’ai surtout travaillé sur des formats narratifs plutôt classiques mais (et c’est peut-être paradoxal) il me semble que les formats de séries pour les plateformes où on peut être plus libre dans la forme et le contenu sont porteurs d’un fort potentiel.
Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?
Cinématographiquement, je suis très admiratif des couleurs de Storaro, des cadres et mouvement de Benoit Debie, de la justesse de Matthieu Libatique et de la folle élégance de Christopher Doyle. À part le travail d’autres directeurs photos, j’aime bien m’inspirer de peintres et de photographes, dont notamment et plus récemment la collection de différents intérieurs peints par Villehelm Hamershoi. Pour un projet à venir je m’inspire des extérieurs nuits des expressionnistes anglais, en particulier John Atkinson Grimshaw. Pour moi, un des grands plaisirs de ce métier est de pouvoir toujours faire des découvertes lors de la préparation d’un projet.
Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?
J’en ai fait plein, j’ai l’impression d’en faire à chaque projet, et j’essaye de les noter pour ne pas les répéter, d’au moins être original et innovateur dans mes erreurs. Mais je pense que celle qui m’a le plus marqué a été une erreur très humaine, pas du tout technique. J’avais beaucoup travaillé à la préparation d’un projet avec le réalisateur, jusqu’au point de modéliser les plans en 3D pour aider à la conception des décors qui devaient être construits. Sur le plateau, nos repères étaient fondés sur la recherche de cadres à l’aide d’un chercheur de champs, qui permettrait de conserver une réelle cohésion et un sens commun de la recherche au sein de notre binôme (réa et chef op).
Nous avions pris du retard pour des raisons indépendantes de notre volonté. Je me suis permis de lancer l’installation du plan au stade des prévisualisations et sans passer par l’étape de la recherche en commun (au chercheur). Tout de suite, notre relation de confiance été perdue : je l’avais détruite. Sur le moment je n’ai pas compris, mais avec le recul j’ai réalisé que c’était quelque chose de sacré. C’est là que j’ai vraiment compris que la préparation d’un film n’est qu’un point de départ pour permettre davantage de création sur le plateau. Et aussi que tout le monde à des manières différentes de travailler, et que ce sont souvent ces différences qui rendent les projets intéressants.
Une installation de nuit avec la grue sur ponton flottant pour “L’Etang d’Or” réalisé par Valérian Denis
As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?
Je pense qu’en tant que freelance, on est tous sujets à des doutes dès que l’on se trouve entre deux projets. J’ai appris il y a longtemps à accepter cette sensation de vide et de profiter du temps libre dès que j’en ai.
As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?
En tant qu’ancien machiniste, j’ai une affinité particulière pour certaines installations de voitures, je me souviens notamment d’un tournage pour une pub BMW où on devait suivre des cyclistes dans les collines au-dessus de Nice sur environ 300km. Il n’est pas utile d’entrer dans les détails, mais en gros il y avait un combi van, 4m de trilite, une tête stab de chez MARNY et quelques sangles. C’était une belle manière de les suivre et les résultats ont été stupéfiants, compte tenu de l’installation plutôt bricolée.
Installation avec tête Marny pour une pub BMWxRapha Travel réalisé par Alvaro Ramirez
Ce qui me vient à l’esprit ce sont aussi les tournages maritimes auxquels j’ai participé à plusieurs reprises. D’abord en tant qu’assistant caméra sur le film « Naufragé Volontaire » de Didier Nion (avec la très belle photo de Gilles Arnaud) qui nous a fait travailler pendant 3 mois en pleine mer sur un radeau de 2mx1,20m avec seulement un Aaton Penelope. Puis l’an dernier j’ai travaillé sur le court métrage de Valerian Denis, « L’Étang d’Or » également avec un Penelope et sur un étang. Forcément l’expérience du long m’a permis d’anticiper un certain nombre de choses et nous avons dû, avec l’aide du chef machiniste Titouane Savart, installer une petite grue (Panther Variojib) sur une barge flottante construite à l’aide de cubes plastiques avec encore une tête Marny au bout. C’était vraiment une configuration parfaite qui nous a permis de trouver tous les emplacements voulus, du ras de l’eau jusqu’à une belle hauteur, tout en gardant une bulle parfaite.
L’équipe de “L’Etang d’Or” sur le travelling ponton
As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?
Au tout début, quand j’ai commencé à travailler sur des plateaux, j’avais des envies de réalisation et j’ai réalisé quelques courts au Canada avant même d’intégrer l’école de cinéma. C’est en arrivant à l’école que je me suis plus axé sur la technique de l’image et que j’ai découvert ce puissant rôle d’accompagnateur qui est celui du directeur de la photographie. Dernièrement, j’y suis revenu à une petite échelle en réalisant quelques petits films de mode éditoriale. Ce furent des expériences intéressantes mais je ne pense pas pousser vers des projets plus construits, du moins pour le moment. Pour l’instant je suis plus à l’aise dans un rôle d’amplificateur et d’actualisateur d’idées que dans celui d’originateur d’idées.
Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?
J’aime parler d’histoires, de philosophie, d’idées, d’images. J’aime être sur un plateau et travailler avec une équipe pour créer et faire aboutir un projet en commun. J’aime être dans des endroits insolites et faire des choses improbables dans le cadre d’un projet (on a quand même beaucoup de chance parfois…). J’aime les gens uniques que ce métier m’a amené à rencontrer.
Je n’aime pas quand les égos et les personnalités nous divisent et nous empêchent de créer. Les contraintes de ce métier qui prend souvent le pas sur nos vies privées me pèsent parfois.
Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?
Apprends à utiliser tes outils et n’oublie jamais que ce sont seulement des outils (aussi jouissifs soient-ils). On a tellement d’outils à notre disposition, il y a tellement d’histoires à raconter et chacune à sa manière, il n’y a pas d’interdits. Le plus important c’est de raconter l’histoire de la manière qui te semble la plus vraie, la plus cohérente.
Nicholas Kent sur le site de l’Union des chefs-opérateurs
> Image de couverture : retour à la pagaie en pleine golden hour sur “L’étang d’Or” réalisé par Valérian Denis
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