À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Noémie Gillot.
Quand et comment t’es-tu intéressée à la prise de vue ?
Par la photographie, qu’André Bazin qualifiait d’« art embaumeur ». J’ai commencé la photo adolescente, de façon presque compulsive, comme pour lutter contre l’angoisse du temps qui passe. Mon vieux Nikkormat en bandoulière, je prenais des photos quasi quotidiennement et tout mon argent de poche passait dans le développement et les épreuves de lecture, aujourd’hui classées chronologiquement dans de nombreuses boites à chaussures.
À mes 18 ans j’ai fait l’acquisition d’un agrandisseur noir et blanc. Les longues heures passées dans la cuisine de mon mini studio transformée en labo, le nez dans les produits chimiques, ont occasionné pas mal de maux de tête.
Mais ce qui me plaisait avant tout, c’était la couleur, je ne jurais que par le travail de Nan Goldin. Par le biais d’un ami, j’ai donc réussi à m’infiltrer dans les labos de l’école des Beaux-Arts de Paris, et j’ai pu réaliser mes propres tirages couleur, que j’exposais dans des squats d’artistes.
A l’université Paris VIII, le hasard a fait que, faute de places disponibles, je n’ai pas pu m’inscrire dans la filière Photo que je souhaitais et que j’ai dû suivre un cursus en Cinéma. C’est ainsi que j’ai découvert qu’on pouvait, en quelque sorte, faire de la photo en mouvement…
« Guillaume à la dérive » réalisé par Sylvain Dieuaide
Quels films t’ont particulièrement marquée visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?
Je me rends compte que mes films de chevet (Cria Cuervos de Carlos Saura, L’effrontée de Claude Miller, Sans toit ni loi d’Agnès Varda, Freaks de Tod Browning…) ne sont pas forcément ceux qui m’ont le plus interpellé visuellement.
Je crois que j’ai pris conscience de l’importance de l’image au cinéma devant Delicatessen de Caro et Jeunet. Plus tard je me souviens avoir été marquée par l’atmosphère visuelle de Lost Highway de David Lynch.
Dans un genre différent, plus expérimental, j’ai été hypnotisée par Koyaanisqatsi (de Godfrey Reggio) et la musique de Philip Glass.
Mais mon vrai un choc pictural demeure, comme pour beaucoup d’opérateurs et d’opératrices, In the mood for love et tous les films de Wong Kar Wai éclairés par Christopher Doyle.
Clip « Coma Carole Anne » réalisé par Marco Dos Santos
Quelle a été ta formation initiale ?
Après une licence de Cinéma à Paris VIII, j’ai intégré la section Image de la Fémis en 2003.
Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que cheffe-opératrice ?
À la Fémis, puisque l’école permet de s’exercer au métier dans des conditions quasi professionnelles. À la sortie j’ai continué les courts métrages en tant que cheffe opératrice, en alternance avec d’autres tournages plus rémunérateurs où j’étais assistante caméra.
Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?
J’ai la chance de travailler sur des projets très divers, en fiction comme en documentaire. J’ai pas mal de courts métrages à mon actif et autant de clips musicaux, un peu de pub, quelques captations artistiques, et je travaille aussi en deuxième caméra. J’aime cette variété qui oblige à s’adapter à différentes contraintes. Le meilleur prochain projet ? Signer mon premier long métrage à l’image !
« Conversation avec un épouvantail » réalisé par Sylvain Dieuaide
Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?
Elles sont multiples : cinématographiques, photographiques ou picturales.
En préparation, j’aime partir en quête d’éléments visuels disparates pour constituer un moodboard cohérent qui facilitera le dialogue avec les réalisateurs et réalisatrices : une photo de Philip Lorca di Corcia, un tableau d’Edward Hopper, un screenshot de « Joker », et pourquoi pas des images personnelles…
Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?
La seule gaffe dont je me souvienne (j’ai une mémoire très mauvaise et surtout très sélective), c’est d’avoir voilé un magasin de BLIV (caméra 35mm) dans la précipitation d’un tournage en train. Ce que j’en retire : les accidents peuvent être bénéfiques, car c’est finalement le plan voilé qui a été monté.
Tournage de « Guillaume à la dérive« , réalisé par Sylvain Dieuaide
As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?
Je sombre dans des abîmes de doute dès que le téléphone ne sonne pas assez. Cette inquiétude s’évapore dès l’instant où je mets les pieds sur un plateau.
As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?
J’ai réalisé trois courts métrages, pendant et après mon cursus à la Fémis.
Je m’intéresse à la mise en scène et au jeu d’acteur, et certain.e.s réals apprécient de pouvoir en discuter.
Je n’exclus pas de repasser à la réalisation un jour, mais le temps et l’énergie qu’implique le fait de porter un projet du début à la fin a tendance à me décourager… J’aime trop tourner !
Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?
Ce que je n’aime pas :
Les moments de creux, sans visibilité.
La difficulté de concilier horaires de tournage et vie personnelle.
Le manque de préparation faute de moyens, sur certains films, qui finit toujours par se payer au tournage.
Ce que j’aime :
La diversité, la nouveauté : chaque projet, chaque équipe, chaque décor, chaque plan est différent… Comment se lasser ?
Sur un plateau, le sentiment de revivre avec toute l’équipe quelque chose qui rappelle nos jeux d’enfants : « Alors on dirait que tu serais la maman, et tu rentrerais par cette porte, et puis il ferait nuit et tu te mettrais à danser, etc »… Quelle chance de continuer à « jouer » une fois adulte !
Le côté « physique » de ce métier, faire corps avec la caméra.
Répéter un plan séquence compliqué, sentir la concentration de chaque membre de l’équipe, ajuster les timings, les mouvements, les déplacements… et finir par le rentrer à la perfection.
Travailler avec des réalisatrices et réalisateurs qui ont une vraie vision créatrice, un univers dans lequel je suis invitée à entrer.
Sur le tournage d’un épisode de « Le Meufisme » réalisé par Sophie Garric et Camille Ghanassia ©Alex Pixelle
Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?
Je lui dirais de ne pas se sentir inhibé.e par la technique, comme ce fut mon cas au début.
Noémie Gillot sur le site de l’Union des chefs-opérateurs
> Image de couverture : sur le tournage de « Pile Poil » réalisé par Lauriane Escaffre et Yvonnick Mulle
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