À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Raphaël O’Byrne.

Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?

Adolescent j’ai beaucoup pratiqué la photographie, mon père avait un Nikon et nous avions un labo pour le développement et le tirage, j’ai donc passé de longues heures à me balader avec l’appareil pour photographier et dans cette chambre noire à remuer des cuves pour faire apparaître des images.

Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

Je ne me suis jamais vraiment intéressé à la prise de vue cinématographique en voyant des films. Ce ne sont pas les films qui m’ont amené à ce métier, ce sont les hasards de la vie, la rencontre d’un chef opérateur.

« La Religieuse Portugaise » réalisé par Eugène Green

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai appris sur le tas. Je ne connaissais personne dans le milieu du cinéma mais j’ai eu la chance, vers 20 ans, de rencontrer Lionel Cousin, un chef opérateur qui travaillait essentiellement en documentaire et qui m’a proposé de partir avec lui sur un film pour l’assister. A l’époque on tournait encore les documentaires en super 16, il y avait donc toujours un assistant pour, entre autres, charger et décharger les magasins. Il m’a montré comment fonctionnait une caméra, comment caler les optiques, faire les essais de fixité etc. J’ai démarré dans les années 90, juste avant la création de la 7 (future Arte), chaîne qui était très axée vers le documentaire de création, ce qui m’a permis de travailler sur de nombreux projets autour du monde. Mais cette formation a pris du temps, j’ai eu de longues périodes sans travail, passé six mois au Chili, et j’ai ensuite rencontré Etienne de Grammont, un autre chef opérateur avec qui j’ai commencé à collaborer en parallèle.

J’ai donc été formé par le documentaire, petites équipes de 3 ou 4 personnes. Puis, par l’intermédiaire d’Olivier Bory, un assistant qui travaillait en fiction, j’ai eu l’opportunité de faire un long-métrage comme second assistant caméra. J’ai fait quelques longs-métrage comme second tout en continuant à travailler sur des documentaires. À vrai dire je n’ai pas trop aimé me retrouver dans de grosses équipes, en vase clos, j’ai toujours eu plus d’affinités avec le documentaire, plus ouvert, par contre financièrement le long-métrage était plus sûr, beaucoup d’heures d’un coup et moins de stress financier. Le dernier chef opérateur que j’ai assisté est Ned Burgess (également membre de l’Union), nous avons fait plusieurs documentaires ensemble, j’ai parfois assuré une deuxième caméra avec lui ou l’ai remplacé sur certains projets. C’est aussi grâce à lui que j’ai rencontré des réalisatrices et réalisateurs avec qui j’ai collaboré par la suite en tant que chef opérateur.

Ma formation sur le tas a été une voie idéale pour moi : apprentissage d’un métier très jeune, voyages, premiers salaires, sans parler du partage et de la complicité avec les opérateurs qui m’ont formé, une initiation à la vie qui a été beaucoup plus qu’un simple apprentissage technique. Je profite de l’occasion pour les remercier chaleureusement une nouvelle fois ici.

Lorsque j’ai arrêté l’assistanat, le numérique avait déjà envahi le marché avec comme conséquence directe la suppression trop souvent généralisée de l’assistant caméra (à part quelques exceptions), la plupart du temps je partais et je pars toujours seul à l’image sur les documentaires. Je suis bien désolé de ne pas pouvoir à mon tour offrir à un jeune le chemin que j’ai eu la chance de pouvoir suivre.

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?

Mon passage d’assistant caméra à chef-opérateur s’est fait par le documentaire. Assez naturellement j’ai signé mon premier film à la caméra en 1995, « Sous un toit de Paris », réalisé par Emmanuel Laurent avec qui j’avais travaillé en tant qu’assistant caméra avec Lionel Cousin et Etienne de Grammont.

Il y a eu aussi un autre événement qui m’a fait passer à la caméra. Dans les années 90, je prenais des cours de tabla, percussion indienne, à cette occasion j’ai découvert le ghatam, un instrument de percussion de l‘Inde du sud qui m’a beaucoup intéressé. J’ai fait des recherches, écrit un projet de court-métrage et j’ai obtenu une aide à l’écriture du CNC pour la réalisation de ce film. Après plusieurs voyages de repérages nous avons trouvé un peu d’argent, une Aaton prêtée par le labo Neyrac, et quelques bobines de pellicule, ce qui nous a permis de partir en tournage. Ça a aussi été pour moi l’occasion de passer à la caméra (et à la réalisation).

« Yati » réalisé par Raphaël O’Byrne

Mon passage au long-métrage de fiction s’est fait en 1999 avec « Toutes les nuits », le premier long-métrage d’Eugène Green que j’avais rencontré par l’intermédiaire de Philippe Martin, producteur des Films Pelléas.

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

Comme je l’ai dit, j’ai beaucoup travaillé et travaille encore en documentaire, souvent sur des films liés à la culture et en particulier à la musique classique, en captation de spectacles (opéra, danse, musique classique) et en fiction sur des longs-métrages, comme ceux du réalisateur Eugène Green dont j’ai fait tous les films. Je termine en ce moment le tournage du troisième long-métrage du réalisateur tchèque Vàclav Kadrnka.

Le meilleur prochain projet ? Il n’y a pas de meilleur projet, j’ai la chance de travailler sur des films qui m’intéressent tous autant les uns que les autres, souvent avec des réalisatrices et réalisateurs que je connais depuis longtemps et avec qui j’ai des affinités mais aussi avec d’autres que je rencontre, comme Vàclav en ce moment. Des belles rencontres et des voyages, je n’en demande pas plus.

« Le fils de Joseph » réalisé par Eugène Green © Sarah Blum

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Plus jeune je me suis beaucoup intéressé à la photographie mais n’ai jamais été très cinéphile. La musique reste ma première source d’inspiration artistique. Je ne peux dissocier mon apprentissage de l’image de mon apprentissage musical, j’ai toujours eu la sensation que l’écoute et la pratique d’un instrument, en l’occurrence la percussion, formaient aussi mon regard. L’image et le son, dans mon cas, se sont toujours renvoyés la balle, chacun étant l’apprenti ou le moteur de l’autre, il s’agit toujours, dans les deux cas, d’une question d’attention, d’énergie, de rythme, d’équilibre et de plaisir.

Cette sensation a été très évidente lorsque, adolescent, j’ai vécu une année au Caire ; j’ai découvert et me suis intéressé à la langue arabe et à son écriture. Je prenais des cours de calligraphie et écoutais souvent des cassettes de récitations du Coran. Il m’est apparu évident que l’écoute de ces voix, leurs rythmes, la justesse de leurs intonations, leurs silences, leur beauté, m’aidaient à tracer les lettres et à trouver l’équilibre visuel des lignes sur la page blanche.

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Oui, il y en a eu plusieurs, toujours très instructives !

Tournage dans une prairie : en voulant fixer la plaque de décentrement sous la caméra, la vis m’échappe et disparaît dans les herbes, oups ! Impossible de la retrouver, fixation de la caméra sur la tête avec une sangle… Instruction : toujours avoir une vis de secours dans la poche quand on tourne dans une prairie avec des hautes herbes (ou fixer la plaque de décentrement avant de partir) !

En documentaire et en super 16, surtout pendant des entretiens, les bobines de 122m peuvent défiler très vite, et souvent le rechargement dans le « changing bag » se fait dans des situations pas toujours très confortables. Pour gagner du temps dans cette opération je chargeais et déchargeais les bobines en même temps, je chargeais la nouvelle bobine côté débiteur, et déchargeais la bobine exposée côté récepteur en utilisant la même boite. Il m’est arrivé, dans la précipitation, d’oublier de décharger et de mettre en boîte la bobine exposée, résultat, après avoir chargé la bobine vierge j’ouvre, à la lumière du jour le côté récepteur du magasin pour faire la boucle et m’aperçois que la bobine exposée est toujours là, oups ! Je referme le magasin en moins de deux en me décomposant et en espérant que la lumière du jour n’a pas trop touchée l’image et, pas fier, le signale à l’équipe. Résultat en projection : un halo rouge intermittent plus ou moins « acceptable » sur le côté de l’image, le même que mon appli 8mm me propose aujourd’hui sur mon mobile ! Instruction : rester vigilant et concentré quand on manipule de la pellicule (ou du matériel), quelles que soient les conditions dans lesquelles on travaille…

Tournage de « La Religieuse Portugaise », réalisé par Eugène Green

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

Je n’ai jamais eu de doutes quant à mon engagement dans cette profession, ça a toujours été un cadeau de faire ce métier, je me sens bien dans ce que je fais et j’y prends beaucoup de plaisir (mis à part quand je me coince le dos !). Mais oui bien sûr, des doutes, lorsqu’il n’y a plus de projets à l’horizon, que l’avenir est incertain, ce qui est souvent le cas. Les doutes et les interrogations sont constants, aussi en tournage, techniquement : doute de faire le bon choix, ai-je bien fait de couper à ce moment-là, de me mettre ici plutôt que là, d’avoir fait ce choix d’éclairage, de cadre… Mais le doute est toujours moteur et dans les faits on n’a pas vraiment le temps de douter, il faut y aller, c’est l’intuition qui prend le dessus et qui vous pousse. Quant au milieu professionnel que je côtoie depuis quelques années maintenant, je ne peux pas dire que j’ai des doutes, j’ai plutôt une certitude, la certitude de ce que j’espère partager humainement avec mes collaborateurs. Et comme dans n’importe quel milieu professionnel, on rencontre toutes sortes de personnes avec lesquelles on a plus ou moins d’affinités, mais la nature fait souvent bien les choses.

« Rain, Anne Teresa de Keersmaeker », réalisé par Louise Narboni

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Je suis très tôt passé à la réalisation. Encore assistant, nous avions acheté avec Lionel Cousin une caméra 16mm Arri ST. Mon premier court-métrage, « L’impromptu de St Géry », a été tourné un été avec 3 ou 4 bobines, c’était surtout pour moi l’occasion d’utiliser cette caméra. Par la suite il y a eu « Yati » un autre court-métrage tourné en Inde, expérience très marquante et fondatrice que j’ai évoquée plus haut. Le film, dont j’ai assuré l’image et la réalisation, a eu une belle vie : prix dans des festivals, achats de chaînes françaises et étrangères. Suite à cette aventure mon producteur à l’époque, Philippe Jacquier / Sépia productions, m’a encouragé à continuer dans la réalisation. J’ai écrit un autre court-métrage, « L’ombre portée », qui a eu l’aide du CNC et que j’ai donc réalisé en assurant toujours l’image. En 1998, j’ai co-réalisé avec Philippe Le Goff un documentaire tourné en Arctique sur des traditions inuits, et en 2001 José Chidlovsky, producteur des Films à Lou, m’a proposé de réaliser un portrait du photographe Henri-Cartier Bresson, portrait qui s’inscrivait dans une série commandée par Arte. À la suite du film sur Cartier-Bresson, j’en ai réalisé un autre pour la même série sur le dramaturge Valère Novarina. En 2008 j’ai eu une nouvelle aide du CNC pour réaliser un moyen-métrage, « La partition », qui était à l’origine un projet de long mais qui n’a pas trouvé de financement dans ce format. C’est une fiction dont j’ai confié l’image à Sylvain Verdet qui était mon chef électro sur les films d’Eugène Green et qui avait déjà un œil à la caméra. Ce film sur lequel j’avais travaillé plusieurs années n’a pratiquement pas eu de vie, une expérience très décevante qui ne m’a pas encouragé à continuer, d’autre part je ne peux pas dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à diriger des acteurs. Depuis il y a eu quelques occasions de revenir à la réalisation documentaire mais qui ne se sont pas concrétisées, soit pour des questions financières, soit pour des incompatibilités de planning avec mes projets comme opérateur. Je n’ai jamais envisagé d’arrêter d’être assistant ou chef opérateur pendant ces expériences de réalisation, elles se sont présentées d’elles-mêmes, désir personnel ou propositions de producteurs, mais je dois dire que quand j’étais assistant j’ai parfois senti une certaine réticence dans le milieu quant à cette double casquette, comme s’il fallait rester dans sa branche : ça m’a toujours étonné, je crois que c’est très français. J’ai donc depuis longtemps navigué entre l’image et la réalisation, sans me poser de questions, la réalisation étant toujours restée une activité secondaire.

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître j’aime ne pas savoir ce que je vais faire le mois prochain (même si ce n’est pas toujours facile à vivre et que parfois je ne fais pas grand chose le mois prochain). J’aime rencontrer une réalisatrice ou un réalisateur que je ne connais pas, me retrouver du jour au lendemain dans un lieu, un pays, une culture qui m’est inconnue, face à une situation totalement inattendue, à une personne que l’on rencontre sans rien connaître d’elle et dont on découvre l’univers, le quotidien, si loin du nôtre. J’aime travailler à l’étranger, entendre des langues que je ne comprends pas, et pratiquer celles que je connais un peu. J’aime l’ouverture au monde et la richesse qu’offre le documentaire, son côté très instinctif aussi, presque animal pour ce qui concerne la prise de vue, s’adapter à une situation, trouver la bonne place, la bonne distance, se faire accepter par ceux que l’on filme malgré « l’agression » que peut représenter l’acte de filmer. J’aime aussi le travail d’équipe de la fabrication d’un film, contrairement à la photo qui vous laisse solitaire.

En fiction cela fait plus de 20 ans que je travaille avec Eugène Green, cette collaboration sur le long terme m’est très précieuse, encore un beau cadeau de la vie.

Le travail d’un chef opérateur/directeur photo sur un documentaire, une captation de spectacle ou une fiction est très différent, j’aime pouvoir passer de l’un à l’autre.

Enfin j’aime aussi le temps libre que me laisse ce métier pour faire autre chose, de la musique par exemple.

Je n’aime pas quand le cinéma fait son cinéma.

Sur le tournage de « Le fils de Joseph » réalisé par Eugène Green

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?

Ne pas refuser une proposition de travail quand elle se présente : même si le projet n’a rien de passionnant, on a toujours quelque chose à apprendre. Développer des projets personnels, tourner, peu importe le support, ne pas avoir peur de ne pas savoir, de se tromper, ne pas se protéger en faisant semblant, rester soi-même, suivre ses intuitions et sa nature.

Raphaël O’Byrne sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture: portrait de Raphaël O’Byrne © Sarah Blum