À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Frank Barbian.
Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vues ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai baigné dans l’image. Mon père photographe m’a offert mon premier appareil à l’âge de 5 ans, j’ai grandi dans le labo photo, tourné mes premiers films Super-8 à 13-14 ans… « Faire des images » a toujours été une sorte de seconde nature pour moi. Quand j’y réfléchis, je trouve que ce n’est pas tellement l’achèvement technique de l’image qui m’intéresse, mais trouver le ton pour accompagner une narration et ses personnages qui me passionne le plus. Et de ce point de vue, dans mon cursus il y a eu d’abord cette envie de l’utilisation épique de l’image.
« Joncha – La Fine » clip réalisé par Guillaume Fizet – production Karus
Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?
Il s’agit certainement d’une multitude de films, d’une multitude d’influences qui ont façonné mon imaginaire telle une « socialisation ». Cette expression que tel ou tel film « a été une claque » m’a toujours laissé perplexe car cela donne trop d’importance à un seul film à un moment précis, et donc de façon trop éphémère… On est forcément exposé à l’influence des films avec lesquels on grandit et plus particulièrement à l’influence des films auxquels on commence à s’intéresser en tant qu’oeuvre cinématographique et non plus en tant que divertissement. Pour moi ça a été les films de Tarkovski, Godard, Wenders, Sautet et surtout Truffaut. C’est à travers ces films que je commençais à m’intéresser au travail des directeurs photo, que je commençais à connaître les recherches naturalistes de Nestor Almendros, à m’émerveiller devant l’impressionnisme cinématographique de Conrad Hall ou la sensibilité d’Edouardo Serra; enfin c’est la savante douceur de la lumière de Philippe Rousselot que j’affectionne particulièrement.
Quelle a été ta formation initiale ?
Ça m’a pris des années pour comprendre que finalement la formation la plus ancrée en moi a été celle de mon père. C’est en chambre noire, sous l’agrandisseur en déplaçant le masque, en décidant de ce qui serait finalement présent sur le tirage et de ce qui n’y figurerait pas que j’ai, depuis mon enfance, appris le sens du cadrage. Des décennies plus tard, sur un tournage, la caméra à l’épaule en plein dans la chorégraphie des acteurs, il est là, ce sens du cadrage inné, comme un réflexe. Mais aussi dans le documentaire: couper le redondant, le superflu afin d’orienter l’attention sur l’essentiel a été un enseignement précoce et inestimable qui aujourd’hui est devenu une intuition.
Après avoir tourné 4 fictions en Super-8 pendant mon adolescence, j’ai commencé mes études en cinéma à la Hochschule für Gestaltung à Offenbach en Allemagne. C’est une école qui se voit comme successeur du Bauhaus : l’enseignement commun de base incluait le dessin, la peinture, la sculpture et photographie, et à partir de la deuxième année le cinéma. On avait la chance d’avoir notre propre laboratoire 16mm noir et blanc où nous avons énormément appris à développer, étalonner et tirer nous même. Il n’y avait pas de technicien d’atelier, tout était autogéré par les étudiants, donc on était obligé d’assurer la maintenance des appareils. Quand tu as bossé la nuit dans des entrepôts pour te payer la pellicule et le tournage et que la machine s’arrête pendant le développement du négatif, tu n’oublieras plus ce que le bain de révélateur fait à ton grain et au voile…
« Turkmenistan 3D » réalisé par Rafael Ferré Sentis – production Tulipes & Cie
Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef opérateur ?
Les premières années, ça a été une bonne cinquantaine de court-métrages. Mais finalement ça ne compte que pour notre expérience personnelle comme chef-opérateur. On a l’impression que pour les milieux professionnels, la seule chose qui est retenue ce sont les formats longs et dans ce domaine, pour moi, c’était au moment de venir à Paris que ça commençait finalement à démarrer en Allemagne. Comme quoi « nul n’est prophète en son pays » ! J’avais présenté mon film de fin d’études à un petit festival et discuté avec un type qui se trouvait être un producteur de cinéma dont je connaissait les films. L’année suivante il me montre quelques images d’essai d’un « jeune turc-allemand fou furieux » et me demande ce que j’en pense. Je l’ai encouragé à travailler avec lui et l’année suivante nous avons tourné d’abord un court puis son premier long-métrage. Ce « fou furieux » s’appelait Fatih Akin et notre premier film en commun « Kurz und Schmerzlos (L’Engrenage)» a été présenté dans sa version restaurée devant les membres de L’Union fin septembre.
Ensuite ça s’est enchainé avec mon second long, « Les Enfants de la Colère » de Winfried Bonenegel, qui a été présenté en compétition à Venise et des téléfilms pour des chaines allemandes.
« Kurz und Schmerzlos (L’Engrenage) » de Fatih Akin – Wüste Film
Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?
Au début, ça a été quasiment exclusivement de la fiction, d’abord pendant mon adolescence puis au cours de mes études, et par la suite moitié en France, moitié en Allemagne, en tout une cinquantaine de courts, puis des longs et des téléfilms. Beaucoup de premières réalisations, d’abord souvent auto-produites, puis produites par des sociétés de production bien établies comme Lazennec ou la Wüste-Film. Parallèlement, pour nourrir ma famille, j’ai commencé à travailler sur des reportages puis sur des films documentaires au fil des années. Ce qui fait qu’actuellement je travaille plus en documentaire en France mais plus en fiction en Allemagne. Mon but a toujours été de travailler en fiction en France, donc si on me pose la question du prochain projet : un beau scénario de long, une première réalisation (car je suis très à l’aise dans cette configuration) quelque part dans le sud de la France (pour ma passion de la lumière naturelle!).
Sur le tournage de « Do Not Disturb » réalisé par Winfried Bonenegel
Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?
Je me nourris évidemment de toute sorte de forme artistique, peinture, sculpture, architecture, installation, photographie, danse ; mais depuis les débuts j’ai considéré que l’essence de notre travail à l’image était la lumière, trouver la bonne situation, la bonne ambiance qui révèle le sens d’une scène. Ensuite travailler la direction, le caractère, le contraste et la couleur en fonction de la mise en scène est pour moi tellement plus important que trafiquer des LUTs ou des courbes. Il y a différents moyens de chercher ses inspirations pour la lumière: étudier la peinture, analyser l’éclairage d’autres films, la photographie… Mais la plus étonnante ressource sera toujours la lumière naturelle dans toutes ses innombrables expressions – c’est une source inépuisable si on l’observe attentivement. Elle nous parle de bien plus que de simple luminosité: selon son angle d’incidence elle nous parle du temps qui passe, de l’éphémère et de fragilité. Ou au contraire elle nous communique son immuable force, parfois sa brutalité quand elle tombe à la verticale avec de très fortes contrastes. Puis la lumière diffuse, sans direction, qui nous prive de tout repère et peut déstabiliser. J’essaie donc de sonder quels souvenirs évoquent certaines situation de lumière, car ces souvenirs sont souvent commun avec ceux du public et les susciter est un moyen très fort d’impliquer émotionnellement le spectateur dans le film.
Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?
Sur mon premier long, on avait besoin d’un petit plan de coupe du métro qui entre en station, un plan latéral des fenêtres qui défilent rapidement. Entre deux décors on descend donc vite fait dans une station, le train arrivant je plante le pied, pose mon diaph, cadre et déclenche. Un petit plan de coupe vite fait. Sauf qu’au retour du labo on voit les fenêtres défiler et en plein milieu bien visible le reflet de la caméra et de toute mon équipe. J’avais l’air bien ridicule et j’ai dû le refaire. Cela m’a enseigné qu’il n’y a pas de petit plan et qu’il faut prendre le temps de réfléchir à son installation, prendre le temps de bien regarder ce qu’on est en train de filmer, peu importent les conditions sous lesquelles on tourne.
« Les Enfants de la Colère » long métrage réalisé réalisé par Winfried Bonenegel – production Next Film
As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?
Même dans les moments les plus difficiles, et il y en a des tonnes, je n’ai jamais douté de ma vocation, à aucun moment je n’ai réfléchi à faire autre chose, même s’il se trouve toujours dans notre entourage un abruti, frustré de son propre métier, pour nous dire qu’il serait peut-être temps d’arrêter d’insister. Créer les images d’un film sera ma passion jusqu’à la fin de ma vie.
À coté j’ai souvent enseigné la cinématographie dans différents écoles de cinéma mais je considère cette activité presque comme faisant partie du métier.
Par contre, il faut bien dire que notre milieu professionnel est profondément malade en ce qui concerne les abus de pouvoir, le népotisme et donc la manière dont les équipes sont trop souvent constitués. Hormis le fait que cela représente une certaine violence sur le marché du travail et dans les relations humaines, ça rend surtout les films mauvais et ça commence à se voir.
« Licence to Cheat » téléfilm réalisé par Uli Möller – production FFP New Media / ZDF
As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?
Peut-être le dispositif le plus original qu’il m’ait été donné de concevoir était la construction d’un studio d’extension de décors (set extension) pour la société de création de jeu Crytech. Ils avaient développé un logiciel de production virtuelle (FilmEngine) qu’ils présentaient lors de la conférence FMX. Ce dispositif comprenait un studio à fond vert large, une installation motion capture et un système de camera tracking (nCam), le tout relié à leur logiciel. Avec le superviseur VFX américain Rob Legato, nous avons exploré les possibilités de tournages virtuels en faisant évoluer des acteurs dans un décor virtuel : une pilote qui rejoint son vaisseau spatial, qui est en train de se faire réparer par un robot joué par un autre acteur en motion capture. Pendant que je suis l’action avec la caméra à l’épaule ils montent dans le vaisseau virtuel, puis le réalisateur actionne une maquette sous le dispositif motion capture (puppeteering) et dans mon viseur le vaisseau s’envole avec l’actrice et le robot embarqué (sauf qu’en réalité tout le monde était encore là devant mon fond vert). Le tout en direct et en temps réel. Fascinant de voir fusionner la réalité physique des acteurs et de la caméra avec le monde virtuel.
As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?
Non et je ne le ferai jamais. C’est un travail extrêmement différent et complémentaire au nôtre. J’ai du réaliser pendant mes études et ça m’a inspiré énormément de respect, mais je suis trop attaché à cet aspect de notre travail qui est de traduire en images ce qui relève de l’imaginaire du réalisateur, montrer l’invisible et finalement raconter ce qui n’est écrit nulle part.
« Jamil » réalisé par Michele Gentile – production Little Big Talents
Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?
Je commencerais par ce que je n’aime pas pour finir sur la passion.
Ce qui me révolte dans notre milieu, ce sont les clichés de toutes sortes : ces gens qui sont toujours tellement sûrs de savoir comment ça doit marcher, comment on doit faire ou pas faire, les gros bras sur le plateau qui savent mieux, qui s’étonnent de la fille électro, du chef-op qui n’a pas de moto et ceux qui sont convaincus qu’un fils d’acteur est forcément meilleur réalisateur qu’un inconnu venu de nulle part. Toutes ces certitudes tuent des gens, mais elles tuent surtout le cinéma.
Mais tout cela n’arrive pas à perturber une passion qui est profondément ancrée et qui se déploie à chaque fois ainsi : au début il n’y a que les mots, quelques indications aussi, tels que INT/jour, EXT/nuit etc. À chaque lecture de scénario viennent des images mentales, des intuitions quant à la genèse du film, son apparition/révélation dans le monde visible. Ce sont nous, les chef-opérateurs, qui sommes à l’oeuvre dans cette apparition. Philippe Rousselot disait: « Si l’image ne fait pas sens, elle élargit le domaine dans lequel le sens se manifeste, elle lui donne sa force et son intensité. » Voir naître ce sens à travers mes images est la source d’une passion qui ne s’estompe pas.
Sur le tournage de « Jamil » – production Little Big Talents
Quel conseil donnerais-tu à un/une aspirant chef opérateur ?
Fuir les réseaux sociaux, sortir et tourner, tourner, tourner !!!
Frank Barbian sur le site de l’Union des chefs-opérateurs
> Image de couverture : « Lexi – G.O.T.F. » clip réalisé par Martin Geisler – production Karus
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