Jeanne emmène sa fille de six ans en week-end à Majorque. Mais très vite tout s’y avère à l’inverse d’une carte postale.
« Palma » a reçu le Prix du jury et le Prix d’interprétation féminine au Festival de Clermont-Ferrand 2021.
Entretien par e-mail avec Colin Levêque, chef-opérateur du film et Alexe Poukine la réalisatrice.

Avec Colin Levêque

Pouvez vous nous parler de votre collaboration avec Alexe Poukine ? Comment avez vous abordé le tournage et quelles références aviez vous choisies ?

La collaboration a été très simple, agréable, naturelle avec Alexe. C’était la première fois que nous travaillions ensemble, mais nous nous connaissions depuis quelques temps déjà. On s’était rencontré au moment du tournage de son documentaire « Sans frapper » et nous avions des amis en commun. Elle avait vu des films sur lesquels j’avais travaillé aussi je pense.

Le tournage a été simple à aborder, Alexe avait une idée très claire du dispositif qu’elle voulait mettre en place : une très petite équipe, très peu de matériel pour garder un maximum de temps pour la mise en scène, le jeu et une grande flexibilité technique.

Elle m’avait parlé d’un film que j’avais vu et que j’avais beaucoup aimé: « Le film de l’été » de Emmanuel Marre qui s’était tourné dans des conditions similaires à son dispositif, avec une identité formelle très forte. On avait aussi discuté des films d’Andrea Arnold, en particulier « American Honey » qui est évidemment une référence très ambitieuse de mélange entre légèreté technique apparente, exigence formelle et une mise en scène précise avec une grande liberté de jeu pour les comédiens.

Comment travailler avec une réalisatrice qui est aussi interprète principale et une enfant de six ans ?

Alexe avait fait appel à Delphine Girard, qui est réalisatrice, qui a suivi tout le processus du film, du casting au tournage. Delphine avait aussi été coach enfant sur des films et avait donc une expérience très précieuse pour ce film, et a pu accompagner Lua (la jeune comédienne) avec beaucoup de tact. Une grande confiance préexistait entre Delphine et Alexe avant le tournage et Delphine était en mesure de faire des retours de jeu très précis à Alexe et Lua puisqu’elle savait très bien ce vers quoi le film devait aller. Le fait d’être une petite équipe a beaucoup aidé Lua à être en confiance aussi je pense. Nous étions 5 sur le plateau (les 2 comédiennes incluses). Il pouvait m’arriver de faire des retours sur le jeu quand j’en sentais le besoin, mais une seule interlocutrice est un gain de temps sur le tournage.

 

 

Cette image pour illustrer la séquence la plus difficile à tourner pour les 2 comédiennes, avec beaucoup d’intensité et qui nécessitait une vraie justesse émotionnelle. Nous sommes restés plusieurs heures dans cette chambre à tourner plusieurs prises, à chaque fois un peu différentes. Cette séquence est très juste dans son évolution et est la pierre angulaire du film je pense. Nous avons allumé les 2 lampes de chevet sans rajouter de lumière pour pouvoir filmer dans tous les axes. L’important était que la technique prenne le moins de place possible pour que le jeu soit libre. Cette séquence illustre bien le dispositif du film.

Quels sont les choix, en terme de traitement d’image, qui ont été faits pour ce film intimiste ?

L’idée était d’être léger : je suis naturellement allé vers des optiques Zeiss High speed et j’ai tourné avec une Alexa mini.
Alexe voulait un rendu assez brut et coloré, une image pas trop « propre », sentir de la texture et peu d’artifices « fictionnels » ce qui sous-entendait un travail de lumière assez brut. J’avais préparé des LUTs en amont du tournage pour prévisualiser ce rendu et nous avons travaillé ensuite avec Miléna Trivier, l’étalonneuse, pour parfaire cette idée.
J’avais notamment cherché à me rapprocher d’images que j’avais tournées en pellicule, pour essayer de retrouver la texture, le contraste de l’argentique. J’ai exposé avec une base à 1600 ISO (ce que je fais à chaque fois quand je tourne en capteur S35 sur l’Alexa). La LUT n’est qu’une pâle copie du rendu pellicule, on est encore très loin de la qualité des couleurs, des teintes de peaux, de la profondeur des noirs… Mais il nous était inenvisageable de tourner ce film en S16mm, à cause de la quantité de rushes dont nous aurions eu besoin !
L’intimité s’est créée naturellement, car nous étions peu nombreux sur le plateau, le fait de tous être logé dans une maison pendant presque 2 semaines et de partager l’entièreté de nos journées y a sans doute contribué.

 

Voici 2 images issues de la nuit que nous avons passée à filmer la déambulation dans Palma. J’aime beaucoup cette séquence dans le film sans doute parce que rien n’était prévu si ce n’est de provoquer des rencontres fortuites, et je trouve que cela ajoute une véracité et une intensité au film qui va au delà de ce que peut dire un scénario par écrit (comme ce dialogue un peu surréaliste avec cet homme le long de la plage, qui n’aurait jamais pu être écrit tel quel). La nuit s’est terminée par le bain au petit matin qui était un super moment pour nous tous.

Le format 1.33:1 est un peu à contre-courant en ce moment, pouvez-vous nous parler de ce choix ?

Pour moi ce n’est plus vraiment un format à contre-courant, il y a un retour de ce format et il est souvent associé au film d’auteur. Depuis la trilogie de Gus Van Sant, les films d’Andrea Arnold justement, ou « Ida » et « Cold war » encore plus récemment, pour ne citer que ces films, le format 1.33:1 est de plus en plus présent. En ce qui nous concerne, le choix était assez clair pour Alexe, et ce format avait du sens pour accentuer une certaine proximité, se concentrer sur les visages, le portrait, et l’isolement des personnages dans le cadre. La dimension esthétique du format 1.33:1 plaisait à Alexe.

Le film est tourné totalement en décor naturel. Quelle était la stratégie de mise en lumière ?

La lumière naturelle était une donnée de base du dispositif. Le choix des décors et de leur orientation ainsi que l’organisation du plan de travail selon le lever et le coucher du soleil ont été des données importantes pour l’image. Il m’est arrivé d’ajouter une petite source pour certaines scènes, mais rarement. L’idée était plutôt de placer le cadre dans une direction qui tirait profit des directions de lumière naturelle, et là-dessus, Alexe m’a laissé beaucoup de libertés, c’était très agréable. Etant donné que j’étais seul, je n’avais pas beaucoup de temps pour faire de grands changements de lumière alors l’idée était plus d’enlever de la lumière que d’en rajouter (éteindre une lampe, ajouter un drap noir etc…).

Les murs de l’appartement étaient très clairs donc plutôt que d’allumer la lumière intérieure, j’ai ajouté un projecteur dans la cage d’escalier à l’extérieur, en réflexion, ce qui créé une lumière douce et contrastée et  permet de garder un aspect tamisé, qui correspond bien au moment intime qui suit entre Alexe et Lua au petit matin.
J’aime bien cette direction de lumière. Alexe étant réalisatrice, jouer devant la caméra n’était pas une évidence pour elle. Je la trouve très photogénique  sur cette image.

Avec Alexe Poukine

Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec votre chef-opérateur ? Comment avez vous abordé le tournage et avec quelles références visuelles avez vous travaillé ?

Je savais que j’avais envie de faire ce film avec une équipe très réduite (nous étions cinq ou six selon les jours). Il fallait donc trouver un chef-op qui soit aussi cadreur, pointeur, électro, machiniste, un peu accessoiriste, un peu chauffeur, un peu régisseur… Je voulais travailler par improvisation et essayer de capter le plus possible ce que le réel amenait comme imprévu. Colin est assez rompu à cet exercice, car, comme moi, il a fait des documentaires.
En partant avec une si petite équipe, je savais que chacun.e aurait un très grand rôle dans la mise en scène. On est tou.te.s, d’une certaine façon, auteur.ices de ce film.

Colin et moi sommes partis tous les deux à Majorque quelques jours un mois avant le tournage pour choisir ensemble les décors et les comédiens espagnols. On a fait des essais filmés, et c’était très précieux, car on s’est aperçu ensemble par exemple que, contrairement à ce que j’avais imaginé (et qui marchait très bien à l’écrit, mais pas du tout cinématographiquement), la mère ne pouvait pas errer seule dans la nuit sans que cela ne devienne ennuyeux voire poseur. On a donc cherché qui elle pourrait rencontrer au cours de cette longue nuit d’errance.

Je me souviens qu’avant de tourner, on avait parlé des films d’Andrea Arnold et d’Oslo 31 août, de Joachim Trier. Mais ce sont des cinéastes auxquels je pensais à cause de leur sensibilité, pas parce que je voulais que mon film ressemble aux leurs. J’ai l’impression qu’on cherche des références surtout pour se rassurer. Je sais qu’au moment du tournage, ce qui compte – en tout cas pour moi – c’est ce qui se passe émotionnellement entre les personnages, et la façon dont on arrive à le restituer en images et en sons. On n’a pas essayé de faire « comme… ».

Comment réaliser et jouer en même temps ?

Ce qui était compliqué, c’était la sensation de devoir faire deux mouvements contradictoires : jouer requiert une sorte d’oubli de soi, un lâcher prise, alors qu’en réalisant, on est plutôt dans le contrôle.

On avait décidé que je ne regarderais pas les prises au fur et à mesure, parce que j’avais peur que le jugement que j’allais porter sur moi-même m’inhiberait complètement. Je regardais les rushs, un peu vite fait, le soir. Mais ce qui m’a permis de jouer, c’est que je faisais complètement confiance à Delphine Girard qui avait, entre autres choses, le rôle de me dire ce qu’elle pensait du jeu. C’est aussi elle qui parlait du jeu à Lua Michel, qui joue le rôle de Vanya, car je ne voulais pas qu’elle ait plusieurs interlocuteurs.

J’ai l’impression que mon rôle de réalisatrice s’est concentré avant et après le tournage. Pendant, c’était l’équipe qui réalisait.

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Palma
40′ – 1.33:1
Réalisation : Alexe Poukine
Production : Kidam et Wrongmen