Salman, Afghan de 22 ans ayant quitté ses terres pour rejoindre clandestinement la France, se prépare à passer une audition pour avoir ses papiers. Un portrait touchant de ce jeune réfugié et les souvenirs de son premier et unique match de Bouzkachi, le sport national Afghan.

Entretien par e-mail avec Lucie Baudinaud, cheffe-opératrice du film réalisé par Antoine Beauvois.

Peux-tu nous parler de ta collaboration avec le réalisateur ? Comment avez-vous abordé le tournage du film et avec quelles références visuelles ?

J’ai rencontré Antoine quelques semaines avant le début du tournage de façon assez classique. Il avait vu mon travail et par connaissances en commun il a proposé que l’on se rencontre. Il avait une idée précise de ce que l’on chercherait à mettre en œuvre visuellement et cela nous a conforté dans une envie commune de collaboration.

Antoine connait bien son sujet car le Bouzkachi et l’Afghanistan sont présents dans le parcours d’une partie de sa famille, ce qui lui a permis d’aborder cette pratique avec précision.

Il m’a montré des photographies principalement, nous avons regardé des photos souvent en noir et blanc qu’il aimait beaucoup. Sa grand-mère en avait prises en Afghanistan, il y avait aussi l’adaptation du livre de Kessel, les peintures de Delacroix où souvent le nombre de pattes de chevaux est supérieur à la normale pour créer un sentiment de chaos… ainsi que certaines envies storyboardées par un collaborateur artiste proche d’Antoine, Robin Salomé.

Aussi, pour les suivis de chevaux, Antoine avait une volonté forte que les plans soient stables, ce qui a représenté l’enjeu principal de mes recherches techniques.

Il y a deux principaux décors, Paris et l’Afghanistan. Comment s’est organisé le tournage ?

Nous n’avons pas pu tourner en Afghanistan et comme la pratique du Bouzkachi est extrêmement développée en Ouzbékistan, le producteur du film, Arthur, a décidé d’y déplacer les séquences afghanes là-bas. Toute l’attention du tournage était naturellement dirigée sur la partie ouzbek.
Un premier repérage fort chaotique nous a donné le « la » sur le travail à accomplir, tout en étant assez prometteur visuellement…
Les cultures sont très différentes et dans une économie de court-métrage, tout n’est pas simple. Il est difficile d’obtenir les arrangements qui sont le nerf de la guerre lorsque l’on part sur un projet aussi fragile financièrement qu’un court métrage… Car là-bas, personne ne comprend réellement la différence économique et la pratique du cinéma est très peu répandue sur le territoire.

C’est souvent vertigineux mais finalement c’est aussi l’occasion de questionner notre façon de fabriquer les films, de déterminer des priorités et de s’ouvrir à des cultures très riches qui viennent aussi alimenter l’imaginaire.

Nous avons pu travailler avec une société de machinerie russe bien implantée sur place, qui connaissaient bien le Bouzkachi et les « routes » sur place : c’est comme cela qu’une grue de 25m se retrouve transportée dans un ancien poids lourd de l’armée russe sur des terrains où même une Jeep avait du mal à circuler… Ou aussi que j’ai pu suivre les courses de chevaux caméra embarquée, Ronin à bout de bras à l’arrière d’un pickup, grâce à un système de sécurisation relativement optimal pour la situation… Ou encore que personne n’a été effrayé de voir 30 chevaux survoltés se disputer une carcasse de chèvre, parfois cognant de tout leur flanc sur la base de la grue de 25m !

En parallèle de cela, pendant la préparation, à chaque fois que nous nous rendions sur le décor, nous nous perdions et trouvions par chance un nouvel endroit pour tourner, que nous perdions le lendemain au profit d’un autre… Difficile d’imaginer que le jour J, tout et tout le monde serait prêt au rendez-vous avant le lever du soleil !

De retour en France, les 4 jours de tournage sont apparus très simples, en tous cas classiques dans leur mise en oeuvre. Mais avec un parti-pris esthétique fort pour certaines séquences… Comme lorsque la pièce est éclairée d’une couleur que l’on ne situe pas bien, entre le cyan et le bleu… J’aime beaucoup, ainsi que la pénombre, osée, que l’on ne peut pas totalement décider seule : Antoine me faisait totalement confiance et a appuyé ce choix jusqu’en étalonnage, sans crainte.

Quels ont été vos choix en terme de traitement d’image, sur le format scope notamment ?

L’envie première d’Antoine était de filmer les chevaux en scope. Cela m’a paru évident aussi à vrai dire… Nous avons fait des premiers essais en anamorphique, mais pour des questions financières et techniques, j’ai aussi voulu lui montrer du 2.35 sphérique. Les Cooke S3 nous ont tous les deux beaucoup plu, un petit côté chaud et vintage qui a convaincu instinctivement Antoine. Pour le look de l’image, j’ai proposé à Antoine une LUT Fuji aux essais, que l’on a continué d’appliquer au tournage. Elle n’était pas dosée à 100% mais permettait de poser la gamme de couleurs et contraste dès le montage, ensuite précisés en étalonnage.

Le film est tourné en décor naturel. Quelle était ta stratégie de mise en lumière ?

Pour la partie ouzbek, ma principale stratégie a été de m’assurer que le PAT serait tenu… J’ai donc passé la journée de la veille, par exemple, à placer des balises sur toute la route dans le désert pour que personne ne se perde… Mon seul projecteur étant le soleil, je ne pouvais pas tout à fait me reposer sur l’expression locale de notre guide/régisseur général (professeur d’histoire passionnant au demeurant) qui, à la question « Es-tu bien sûr que tout le monde va trouver cet endroit du désert » me répondait « C’est le jeu de la vie » !

Nos grands plans larges existent grâce à l’équipe. Lorsque l’on place la grue si haut, on voit une étendue sans fin de visiteurs avec leurs voitures venus voir par curiosité ce que l’on fait. Les cavaliers en ont marre de faire semblant de jouer, ils veulent un vrai Bouzkachi et viennent d’en lancer un plus loin… Et là, 3 personnes permettent à ce plan d’exister : Antoine ne panique pas, nous encourage et reste patient. Il y croit. Renaud, notre assistant réalisateur, qui ne parle pas un mot d’ouzbek, nous regarde serein et part rassembler les troupes… De son côté Arthur, notre producteur, s’est occupé de relancer un vrai Bouzkachi, en offrant la carcasse de chèvre au vainqueur… En 45 minutes, le champ était libéré, les chevaux et les « tchopendoz » (joueurs de Bouzkachi) prêts à entrer dans le champ de la caméra perchée sur sa grue…

Ensuite, pour la partie française, Antoine m’a très tôt guidé sur son envie esthétique. S’il ne voulait pas trahir la nature des décors sobres et impersonnels du foyer, il voulait que l’image soit au bon endroit : entre de la stylisation et la justesse à laquelle il tenait. Nous avons donc cherché cela, même lorsque le personnage est filmé entre 4 murs blancs…
J’ai conservé la même LUT, afin que la gamme de couleurs et les textures de peaux voyagent bien entre les deux pays. Une image prend son origine dans la rencontre avec le ou la réalisatrice, pas uniquement du chef-op…

__

Le Cercle d’ ALi
15′ – 2.35:1
Réalisateur : Antoine Beauvois
Production : H Rouge Production, Lionceau Films