En l’espace d’une longue soirée, Héléna et ses amies sont amenées à réévaluer leurs rapports aux autres, à en comprendre la subtilité, et à s’ouvrir à l’inattendu.
Conversation par e-mail avec Cécile Bodénès, chef opératrice du film.
Les cadrages et la lumière sont très discrets, presque effacés. Quelle a été ta motivation de chef-opératrice pendant ce tournage?
C’est un film qui s’est fait avec très peu de moyens, juste une région, la Loire Atlantique. Comme beaucoup de courts métrages tu me diras… Pour la réalisatrice, Marjolaine Grandjean et le producteur, David Tuil, il était important de payer tous les membres de l’équipe. Les moyens techniques étaient par conséquent restreints : une Sony FS5 avec enregistreur externe, une série d’optiques Canon CN-E et quelques projecteurs (Kinoflo, Lucioles et un peu de LEDS).
Tous les interprètes sont non professionnels, c’était leur première expérience.
Notre choix avec la réalisatrice était de mettre la priorité sur la direction d’acteurs. Dans certains de ses films précédents, elle avait été échaudée par une présence trop forte de la technique qui l’avait empêchée d’aller au bout de ce qu’elle voulait.
C’est sans doute une des raisons de cette discrétion.
Et c’est un choix payant, j’aime beaucoup ce film centré sur les personnages, son personnage principal Héléna.
Une autre raison vient sans doute de ma pratique de mon métier. J’exerce majoritairement en documentaire, plus particulièrement en documentaire d’immersion, où la magie peut opérer si nous arrivons à faire oublier notre présence aux personnes que nous filmons.
Ça m’amuse de me dire qu’en voyant une fiction dont je signe l’image on trouve mon travail discret alors que les retours sur l’image que je fais en documentaire est qu’elle se voit – ou en tout cas se distingue de ce que l’on voit habituellement en documentaire.
Aviez-vous (la réalisatrice et toi) des références en termes d’image ?
Les deux références pour ce film étaient les films de Jacques Rozier, plus particulièrement « Du côté d’Orouët » avec l’excellent Bernard Menez et « Le plein de super » d’Alain Cavalier.
Nous cherchions à faire un film « d’époque ». J’entends par là celle où la réalisatrice avait l’âge de la protagoniste, puisque c’est un film d’inspiration autobiographique.
C’était d’autant plus présent dans notre travail que la réalisatrice et moi nous sommes rencontrées quand nous avions 18 ans, étudiantes à Nantes, et que ce tournage marquait nos retrouvailles, 20 ans plus tard.
On a donc cherché, imaginé la couleur de nos 18 ans !
Une suite du film est prévue, nous retrouverons Inès Leluel dans un Paris estival. J’espère un tournage l’été prochain. Nous chercherons la couleur de nos 25 ans.
Le film est tourné en décors naturels. Quelle était ta stratégie de mise en lumière, commune à tous ces lieux ?
Le défi pour moi sur ce film était la continuité en lumière. Réussir à respecter, en 10 jours de tournage, la chronologie de l’histoire, tout se passant un soir du 14 juillet, entre 18h et 6h du matin. Il me semble réussi.
Alors si on doit parler de stratégie, ce serait beaucoup de repérages et un plan de travail qui tient surtout compte de la lumière mais là j’enfonce des portes ouvertes !
Il semble que ce film choral ait été tourné avec une caméra, si ça avait été possible aurais-tu préféré tourner avec plusieurs caméras en simultané ?
Ça ne me serait jamais venu à l’esprit de tourner à plusieurs caméras. L’idée que ça puisse faire gagner du temps au tournage est pour moi une erreur. Il en résulte souvent une absence de choix à la mise en scène.
Certains plans de visages restent en tête, comme ceux de la mère de Mathieu ou les derniers plans sur l’héroïne du film. Peux-tu nous parler de ces deux exemples ?
La séquence avec la mère de Mathieu a failli être coupée au montage donc c’est amusant qu’au final ce soit une des images qui te reste.
Peu de chose à dire pour ce plan, j’ai travaillé pour cette séquence avec un drapeau et un réflecteur, une source pour l’intérieur. Je pense que ce qui donne de la force à ce plan se joue entre le champ et le contre champ. Le plan sur Héléna est presque dénué de couleur tandis que celui sur la mère est acidulé.
Le casting du personnage est très réussi. La femme qui joue ce rôle est la patronne d’un restaurant où la réalisatrice a déjeuné pendant la préparation du film. Elle lui a tout de suite proposé le rôle.
Inès Leluel qui joue le rôle d’Hélèna a d’ailleurs aussi été repérée lors d’un casting sauvage.
On en arrive à parler du dernier plan du film.
C’est un plan où apparaît le lien entre le personnage, Héléna, l’interprète, Inès, et la réalisatrice, Marjolaine. Au montage, toute la fabrication, la mise en scène du plan, a été conservée dont un recadrage, pas toujours simple pour une chef opératrice de voir, dans le film terminé, ce qui pourrait être vu comme un défaut de fabrication. Mais on sait bien qu’une fois tournés les rushes ne nous appartiennent plus.
Et puis surtout il y a ce moment magique pendant le tournage où le visage de la comédienne est éclairé par l’écume des vagues et là il n’y a plus rien à dire, juste à regarder.
Ce plan m’a bouleversé. J’y voyais une sorte d’adieu à une certaine période de sa vie, le sentiment serein d’une page qui se tourne, la paix qu’elle fait avec elle-même… Tout le film nous prépare à ce plan.
Est-ce que la magie que tu évoques, avec la grande vague par exemple, illustre l’adage que la chance sourit aux gens bien préparés ?
Oui préparer, écouter la réalisatrice et lui faire confiance dans un moment tel que celui-là même si en tant qu’opératrice ça me met en difficulté, mais je tiens le plan. Cette manière de travailler est nourrie par les documentaires en immersion auxquels je participe.
Une fois gagnée la confiance de la comédienne, on est prêt à capter ce moment, cette lumière.
Ce que tu racontes de ce plan est très touchant et très vrai. Le fait qu’il soit le dernier que nous ayons tourné lui apporte une grande intensité. C’était la dernière prise du dernier plan, le dernier jour de tournage. C’était une course contre la montre avec la lumière, nous tournions un effet aube au crépuscule. C’est peut-être pour cela que l’équipe et la comédienne y ont mis autant de choses.
Ça me plaît que tu aies choisi deux plans de visages, je pense que c’est ce que j’aime le plus filmer. La période que nous traversons m’interroge donc beaucoup sur la pratique de mon métier, on en parle avec d’autres chefs-ops au sein de l’Union.
Comment le style de ce film s’inscrit-il dans ta filmographie ? Penses-tu que les réalisateurs font appel à toi pour un style d’image particulier?
J’ai fait mes classes sur les plateaux de fiction en tant qu’assistante caméra, ma filmographie de chef-opératrice est surtout faite de documentaires. Je rencontre par conséquent des réalisateurs.trices qui aiment le documentaire et qui s’en nourrissent. La frontière entre fiction et documentaire devient de plus en plus poreuse.
Ce qui amène des réalisateurs.trices à travailler avec moi, c’est toujours une rencontre.
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“Juste à Nantes” est sélectionné dans la compétition nationale.
Cécile Bodénès est membre de l’Union des Chefs Opérateurs.
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