Dans un studio recréé pour l’occasion dans le gymnase d’un lycée de Toruń, le chef opérateur Cory Geryak donnait une Masterclass, présentée par notre partenaire Arri, où il éclaira deux séquences dans un décor de bar. Gaffer sur «Inception», ou encore «The Dark Knight Rises», il nous montra sa façon de travailler. Sa Masterclass a du refuser du monde, il nous a fallu déployer ruses et stratégies pour y assister.
Cory Geryak a suivi un long parcours dans la lumière en tant que gaffer («Her», Spike Jonze, 2014; «The Dark Knight Rises», Christopher Nolan, 2012; «Inception», Christopher Nolan, 2010) avant de passer à la direction de la photographie.
Tout le matériel lumière et caméra, captation comprise, provenait de Arri Rentals (mis à part quelques tubes Astera intégrés au décor). Une découverte Rosco SoftDrop® a pu être utilisée pour l’extérieur du bar, et a servi sous toutes ses formes puisque C. Geryak nous a présenté un setup lumière de jour et un de nuit, que son équipe et lui avaient prélighté la veille.
Le directeur de la photographie nous proposa deux plans, un large et un serré. Après une courte présentation, la caméra fut placée et il demanda à son pupitreur d’allumer un par un les projecteurs. Au fil de l’allumage, il fit quelques commentaires sur l’installation, puis des ajustements, verbalisant ainsi son fil de pensée pour le public.
La scène est tournée en Alexa 35 avec Signature Zoom 24-75mm. Le premier plan, large, en travelling latéral au 30mm, T4, ISO 800, 4600K. Le deuxième plan, serré, fixe, garde les mêmes réglages avec une focale de 40mm.
Cory Geryak commença d’abord par allumer sa découverte pour établir directement le fait que la scène était de jour, puis sa lumière du ciel et enfin son effet de soleil (keylight). « J’aime partir de zéro en commençant par le fond puis par le décor pour m’imprégner de l’environnement, puis finir par les acteurs une fois leurs mouvements placés. J’éclaire ici le décor comme j’éclairerais un décor naturel, par les fenêtres, en évitant de trop placer de sources au-dessus des murs pour garder un sentiment naturel. On est chanceux ici d’avoir un joli décor, ce n’est pas toujours le cas et il faut parfois choisir quoi montrer et quoi cacher, être judicieux avec ses axes caméra et sa lumière. Là, le bar a de jolies textures et j’aime les reflets dans les bouteilles, ce que les sources dures à l’extérieur font bien ressortir. On va même jouer le flare du soleil pour renforcer le sentiment qu’il fait beau dehors. »
Le soleil est ici décomposé en trois sources, des Orbiter avec un bol open face de 15° aux alentours de 5000K. L’un des Orbiter (2.B sur le plan de feu) dévoile des brillances dans les bouteilles exposées sur les étagères du bar. Un autre (2.C) éclaire le sol à travers la porte en verre. Le dernier (2.A), quant à lui, éclaire toute la scène, détourant d’une blacklight les personnages au bar et apparaît dans le champ au coin de la fenêtre.
La lumière du ciel est, elle, recréée à partir de trois Skypanel S60-C avec chimera au-dessus de la fenêtre depuis l’extérieur, aux alentours de 7000K, révélant des brillances froides au sol et sur le mobilier.
Lorsqu’une question est posée à C. Geryak à propos des ombres multiples sur ce type d’implantation lumière (ici, trois sources différentes créent la lumière directe du soleil et créent des ombres multiples au sol), il souligne la nécessité d’utiliser des drapeaux, dont l’usage pourrait, selon lui, être plus populaire en Europe!
Pour le plan suivant, C. Geryak cadre l’actrice en plan serré sur la gauche du cadre, faisant ainsi face à son interlocuteur en amorce sur la droite. Le changement d’échelle, et la proximité ainsi gagnée avec le sujet filmé, oblige le chef opérateur à quelques ajustements de lumière qu’il détaille et commente.
Dans cet axe, l’un des Skypanel (n°6.B sur le plan de feu ci-avant), crée des ombres peu flatteuses sur le visage de notre actrice; il choisit donc de l’éteindre, laissant uniquement l’autre Skypanel (n°6.A) créer une backlight sur le sujet. Devant le réflecteur en ¾ face de l’actrice, il vient rajouter, à 1 mètre environ, un cadre de diffusion (251, ¼ white diffusion), afin d’obtenir une lumière plus flatteuse sur son visage, dont le plan serré nous révèle davantage la texture de peau.
Sur ce second plan, la fenêtre donnant sur la rue est prépondérante dans le cadre, et l’élément le plus lumineux à l’image. C. Geryak précise son goût pour un tel contraste, où les visages des personnages ne sont pas les parties les plus lumineuses de l’image. Sur le tournage de «Memento» (2000), le chef opérateur Wally Pfister avait donné à C. Geryak l’instruction suivante : des personnages dans le noir, oui, à condition qu’ils aient toujours une brillance dans les yeux. C’est surtout sur «The Dark Knight» et «The Dark Knight Rises» qu’il a appris à ne plus avoir peur du noir et du contraste, tant que les informations importantes ressortent.
Pour cet exercice, le directeur de la photographie travaille sans cellule, mais quelles sont ses habitudes de travail quant à la mesure de la quantité de lumière ? C. Geryak fait d’abord confiance à son œil; Il ajuste ensuite en scrutant le moniteur. Il a pour habitude d’éclairer avec toujours plus de puissance que nécessaire, et met un filtre ND 0.3 ou 0.6 devant l’optique avant même de commencer son travail. Cette méthodologie lui permet une certaine adaptabilité en cas de changements souvent motivés par une demande du/de la réalisateur·ice (l’usage d’un zoom à plus faible ouverture par exemple).
Les séquences de ce workshop sont filmées avec la Alexa 35, toute dernière caméra numérique Arri qui, comparée à la Alexa Mini, offre +2,5 diaphs de dynamique grâce au LogC4. Son implantation lumière serait, en pellicule, assez similaire. Il travaillerait à 400ASA pour une pellicule de 500ASA : surexposer d’⅓ de diaph permet d’atténuer le contraste pour baisser ensuite tout son signal afin de recoller ses noirs et obtenir des noirs profonds. « Pour tourner ce même plan serré en pellicule, j’aurais porté plus d’attention à la découverte, que j’aurais surexposé de 4 diaphs. Et j’aurais utilisé une cellule. »
Les mouvements des personnages sont, dans notre cas, pratiques par rapport à la lumière. Personne ne s’approche trop de la porte ou de la fenêtre, il n’y a pas de grande amplitude de mouvements, ce qui est rarement le cas lors d’un tournage réel, surtout si c’est un décor récurrent. La réduction de l’intensité lumineuse entre la fenêtre et le bar est ici très importante du fait que le soleil est recréé à partir d’une petite source peu puissante et proche de la fenêtre. « Dans un monde idéal, où on voudrait que la lumière vienne de plus loin et que le fall off soit moins important, je laisserais la porte être plus éclairée, puis ensuite, en avançant dans la pièce, le personnage commencerait à récupérer de la lumière venant de sources à l’intérieur, de la même direction que le soleil, pour finir au bar, sans soleil, dans un environnement différent, avec une lumière plus sculptée. »
« Si cette scène de jour avait dû se dérouler lors d’une journée pluvieuse, je n’aurais pas joué le soleil, mais plutôt des sources entrantes plus douces. Je me serais aussi plus reposé sur des sources intérieures. » Le chef opérateur dirige alors le pupitreur pour recréer, en quelques minutes à peine, un temps nuageux.
Après avoir éclairé le bar pour une séquence de jour, Cory Geryak propose les mêmes deux plans (travelling latéral large au 30mm, et plan serré fixe au 40mm; les deux à T2.8), mais avec une ambiance de nuit. La caméra est réglée à 3200K et 1280 ISO.
Cette fois, ce sont les lampes de jeu qui sont allumées en premier, pour pouvoir les renforcer, justifiant ainsi les sources. L’intensité des guirlandes ou des faux néons n’étant pas réglable, il ne faut pas que les autres sources paraissent trop lumineuses par rapport à celles-ci, au risque de nuire à la crédibilité de la scène. C. Deryak part donc de ces lampes de jeu pour équilibrer le niveaux des autres sources. « Je monte l’ISO à 1280 pour avoir un peu plus de diaph. Je fais ça par rapport aux guirlandes de Noël, je veux qu’elles paraissent le plus lumineuses possibles, mais je ne peux pas les rendre plus lumineuses qu’elles ne le sont, donc je règle mon niveau de base à partir de ça. »
Ici, la keylight est composée de quatre Orbiter avec nez optique en top, au-dessus du bar. En ajustant les serviettes posées sur le bar, le bounce de celles-ci éclaire judicieusement le visage de notre comédienne.
La découverte est ensuite allumée, éclairée depuis derrière, ne divulguant que les fenêtres des immeubles, qui semblent alors être allumées. Une entrée par la porte en verre est réalisée avec un L10-C dans des tons bleus.
Lorsqu’il s’attaque au plan serré, C. Geryak demande à son pupitreur de passer les S120-C en rouge, pour justifier les néons du même côté.
C. Geryak explique comment il travaille avec un pupitreur. « Ça donne une certaine flexibilité pour changer une gélatine rapidement par exemple, c’est très pratique. Mais il peut facilement être dépassé sur un gros plateau. J’ai déjà eu plusieurs pupitreurs car il y avait beaucoup trop de changements à faire ». Puis, observant le retour, il choisit d’agrandir la surface de réflection sur le bar, tout en commentant les changements de lumière sur le visage de l’actrice.
Comme pour l’ambiance jour, on lui demande alors, en pellicule, comment il aurait exposé l’entrée de nuit : « Moins trois diaph, je pense ». Et pour une Lune, comment fait-il? ¼ ou ½ CTB et ¼ plus green sur des HMI, répond-il. Lumière dure, douce? « Ça dépend, il n’y a pas une seule façon de créer la lumière de la Lune, ça dépend de l’émotion à transmettre. »
Face à ces questions précises, C. Geryak ajuste sa lumière, montre que l’élaboration de son image est une construction progressive. Il fait comprendre au public attentif qu’il n’y a pas de formule magique ni de recette pré-établie pour faire de la lumière; ce qui compte, c’est l’émotion qui doit passer, et l’histoire à raconter : c’est avant tout de mettre les images au service d’un récit.
Un grand merci à notre partenaire Arri pour sa collaboration aux illustrations de cet article.
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On a bar set built in a Torun high school gymnasium, cinematographer Cory Geryak gave a Masterclass, presented by our partner Arri, where he demonstrated his approach to lighting two scenes. Because the gaffer of « Inception » and « The Dark Knight Rises » was showing his working method, the masterclass had to refuse a lot of people, so we had to use our wits and strategies to attend.
Cory Geryak had a long career in lighting as a gaffer (« Her », Spike Jonze, 2014; « The Dark Knight Rises », Christopher Nolan, 2012; « Inception », Christopher Nolan, 2010) before he became a cinematographer.
All the lighting and camera equipment, including the recording, came from Arri Rentals (except for a few Astera tubes integrated into the set). A Rosco SoftDrop® backing has been rigged for the exterior of the bar, and was used in all its forms as C. Geryak presented us with day and night lighting setups, which his team had pre-lit the day before.
The director of photography demonstrated two shots, one wide and one close up. After a short presentation, the camera was set up and he asked his lighting board operator to turn on each light one by one. As the lights were turned on, he made a few comments about the set up, then made some adjustments, all while expressing thoughts to the audience.
The scene was shot on an Alexa 35 with Signature Zoom 24-75mm. The first shot, wide, side tracking at 30mm, T4, ISO 800, 4600K. The second shot, close up, static, keeps the same settings with a 40mm focal length.
Cory Geryak started by lighting his backdrop to directly establish the fact that the scene was daylight, then he turned on his skylight and finally his sunlight effect (keylight). « I like to start from scratch beginning with the background, then the set, to feel the environment, and finally finish with the actors once their positions are set. I light the bar here like I would light a real location, through the windows, not placing too many sources above the walls to keep a natural feel. We are lucky here to have a nice set, it’s not always the case and sometimes you have to choose what to show and what to hide, to be judicious with your camera angles and your lighting. Here, the bar has nice textures and I like the reflections in the bottles, which the hard sources outside bring out well. We’ll even play the flare of the sun to reinforce the feeling that it’s bright outside. »
The sun is broken down into three sources, Orbiters with a 15° open face bowl at around 5000K. One of the Orbiters (2.B on the lighting plan) reveals shines in the bottles displayed on the bar shelves. Another (2.C) illuminates the floor through the glass door. As for the last one (2.A), it illuminates the whole scene, outlining the characters at the bar with a blacklight and appearing in the shot at the corner of the window.
The skylight is recreated using three Skypanel S60-Cs with chimeras above the window from the outside, set at around 7000K, creating a cooler glow on the floor and furniture.
When C. Geryak was asked about multiple shadows on this type of set up (here three different sources create direct sunlight and therefore, multiple shadows on the floor), he emphasized the necessity to use flags, which he thought might be more popular in Europe!
For the next shot, C. Geryak framed the actress in a close up on the left side of the frame, thus facing her interlocutor on the right, shot over the shoulder. The change of shot size, and the closeness to the actress, requires a few adjustments to the light, which he comments on in detail.
In this angle, one of the Skypanels (n°6.B on the lighting plan above), creates unflattering shadows on the face of our actress; he therefore chooses to turn it off, leaving only the other Skypanel (n°6.A) to create a backlight on the subject. In front of a foam core bounce, ¾ in front of the actress, he adds a diffusion frame (251, ¼ white diffusion) at about 1 meter, in order to obtain a more flattering light on her face, because the tight shot reveals more of her skin texture.
In the second shot, the window overlooking the street is prominent in the frame, and the brightest element in the image. C. Geryak mentions his preference for this contrast, where faces of the characters are not the brightest parts of the image. On the set of « Memento » (2000), cinematographer Wally Pfister gave C. Geryak the following instruction : yes characters faces can be dark, as long as they still have an eye light. It was especially on « The Dark Knight » and « The Dark Knight Rises » where he learned not to be afraid of darkness and contrast, as long as the important information stand out.
For this exercise, the director of photography worked without a light meter, but what is his usual method of measuring the amount of light? C. Geryak trusts his eye first; he then adjusts by looking at the monitor. He usually lights brighter than necessary too, and puts an ND 0.3 or 0.6 filter in front of the lens before he even starts working. This allows him a certain level of adaptability in case of changes requested by the director (shooting with a smaller stop for example).
The sequences of this workshop are filmed with the Alexa 35, the latest Arri digital camera which, compared to the Alexa Mini, offers +2.5 stops of dynamic range thanks to LogC4. His lighting set up would be, on film, quite similar. He would work at 400ASA for a 500ASA film: overexposing by ⅓ of a stop allows him to reduce the contrast and then lower his entire signal to get deeper blacks. « To shoot that same close up shot on film, I would have paid more attention to the backdrop, which I would have overexposed by 4 stops. And I would have used a light meter. »
The movements of the characters are, in this case, practical in relation to the light. Nobody gets too close to the door or window, there’s not a large range of motion, which is rarely the case in a real shoot, especially if it is a recurring set. The fall off between the window and the bar is very important here because the sun is recreated from a small, not very bright source near the window. « In an ideal world, where we would want the light to come from further away and the fall off to be less extreme, I would let the door be brighter, and then as the character moves through the room, she would start to pick up light from sources inside, coming from the same direction as the sun, and ends up at the bar, with no sun, in a different environment, with a more sculpted light. »
« If this daytime scene had to take place on a rainy day, I would not have played the sun, but rather softer sources coming from outside. I also would have relied more on interior sources. » The cinematographer then directs the lighting board operator to recreate, in just a few minutes, a cloudy day.
After lighting the bar for a daylight scene, Cory Geryak presents the same two shots (wide, side tracking with a 30mm, and close up, static, with a 40mm; both at T2.8), but with a nighttime look. The camera is set at 3200K and ISO 1280.
This time, the practicals are turned on first, so that he can justify them. Because the intensity of the Christmas lights or fake neon lights cannot be dimmed up or down, the other sources must not appear too bright in comparison, at the risk of damaging the credibility of the scene. C. Deryak therefore starts with these practicals to determine the brightness of the other sources. « I increased the ISO to 1280 to get a little more stops. The reason I did this was because of the Christmas lights, I want them to be as bright as possible, but I can’t make them any brighter than they are, so I set my base level from that. »
Here, the keylight consists of four Orbiters with lekos above the bar. Then by adjusting the napkins on the bar, he bounces light back onto our actress’ face.
The backdrop is then lit from behind, showing only the windows of the buildings, which seem to be lit from inside. A light stream through the glass door is made with an L10-C in blue tones.
When he sets up the close up shot, C. Geryak asks his lighting board operator to switch the S120-C to red, to justify the neon lights on the same side.
C. Geryak explains how he works with a lighting board operator. « It gives some flexibility to change gels quickly for example, it’s very convenient. But they can easily get overwhelmed on a big set. I’ve already had several lighting board operators because there were too many changes to make. Then, observing the monitor, he chooses to enlarge the bounce surface on the bar, while commenting on the changes of light on the actress’ face.
He was then asked, like the daytime scene, how he would have exposed the night scene’s blue light beam if it were shot on film : « Minus three stops, I think ». And for moonlight, what does he use? ¼ or ½ CTB and ¼ plus green on HMIs, he replies. Hard light, or soft light? « It depends, there’s no one way to create moonlight, it depends on the emotion you want to convey. »
Faced with these specific questions, C. Geryak adjusts his light, shows that the development of his image is a gradual construction. He reveals to the attentive audience that there’s no magic formula or pre-established recipe for making light; what counts is the emotion that must be conveyed, and the story to be told: it is above all dedicating the images to the service of a story.
A great thank you to our partner Arri for their collaboration on the illustrations of this article.
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