Présenté à Camerimage édition 2020, La Llorona, fiction de Jayro Bustamante, est mise en image par Nicolas Wong Diaz.

Dehors : le Procès

Nous sommes au Guatemala en 2013 lors du procès de Rios Montt, un  dictateur qui a été au pouvoir de 1981 à 83. Durant ces 18 mois, chaque mois plus de 3000 personnes étaient assassinées ou portées disparues, toutes issues de la communauté Maya Ixils. On compte environ 125 000 morts pendant son mandat.
C’est ce que l’on appelle un génocide.

Le procès a réellement eut lieu, un film documentaire a été tourné à cette époque « El buen Cristiano » par la réalisatrice guatémaltèque Izabel Acevedo et mis en image par Pamela Albarrán.
Suite au procès, le dictateur est condamné par la cour pour génocide et crime contre l’humanité. On dit que pour qu’un pays puisse se reconstruire il faut que justice soit faite, mais le jugement sera suspendu par la Cour Constitutionnelle pour vice de procédure : Rios Montt est acquitté et peut rentrer chez lui.
Au final, la justice aura été arrachée aux victimes.

Jayro Bustamante fait partie d’une génération des cinéastes qui ont grandi dans les années 80 pendant la dictature de Rios Montt au Guatemala. L’histoire du génocide, le procès qui a eu lieu contre Rios Montt et son absolution sont des sujets présents dans le cinéma contemporain guatémaltèque. La société a du mal à se confronter à ce terrible passage, la blessure est toujours ouverte et ces jeunes cinéastes ont besoin d’en parler.

Dans La Llorona, le procès est superbement filmé : deux camps s’affrontent, les survivant.es  (surtout des femmes) d’un coté, les anciens militaires et leur familles de l’autre côté.
Les uns sont blancs, les autres issus de la communauté Maya Ixil. Le réalisateur filme avec sobriété les deux camps, on est dans le « réel ». Bustamante affirme avoir recherché une esthétique cinématographique en isolant les personnages durant les scènes de procès. À l’image, Nicolás, a alors créé une atmosphère avec beaucoup de contraste. Les têtes se fondent dans l’obscurité, les murs deviennent invisibles, infinis.

La Llorona

Dedans : la maison, le réalisme magique

Monteverde, dans le film (le réalisateur a transformé le nom de Rios Montt pour le rendre universel), est enfermé avec sa famille dans sa propre maison. Il représente tous les militaires/dictateurs qui ont commis des génocides et des atrocités contre la population civile. Arrive Alma et avec elle une nouvelle dimension du réel: le Réalisme Magique (courant littéraire notamment représenté par García Márquez, et en particulier  dans le roman 100 ans de solitude).

L’arrivée d’Alma ouvre aussi un nouvelle perspective esthétique pour le  film : l’image devient onirique. Alma, la Llorona, en robe blanche, dans l’eau, sous l’eau, devient  fantomatique, réelle mais porteuse d’un monde plus métaphysique : les souvenirs enfouis remontent, les fantômes des Mayas assassinés se rapprochent…

Dans la nuit, Alma pleure ses enfants assassinés, mais seuls les coupables l’entendent.

La narration change et le travail de l’image aussi. Les nuits bleues découvrent un monde parallèle, quelque chose de surnaturel pénètre dans l’image. On ne sait plus quand on se trouve dans le réel et quand on bascule dans le surnaturel, le film devient poésie. C’est beau à couper le souffle. Le chef opérateur Nicolás Wong, contacté par Pamela Albarrán raconte : « Le film est un hybride de plusieurs genres cinématographiques (drame, horreur et réalisme magique), souvent les films d’horreur font appel à beaucoup d’artifices visuels très connus. Nous voulions nous éloigner de cette convention en cherchant un look plus sobre, plus intimiste qui puisse mieux exprimer ce mélange des genres.

The Omen (Richard Donner, 1976 ), The Witch ( Robert Eggers, 2015) et le travail de Gregory Crewdson ont été nos références pour définir l’ambiance, les mouvements de caméra et les atmosphères de couleur.   

Les mouvements de caméra ont été définis en fonction du point de vue de l’histoire ; même si nous sommes à l’intérieur de la maison du général ( la maison du mal ), le regard n’appartenait pas à la famille, le regard était celui  d’Alma, son arrivée devait être ressentie comme un mauvais présage. Pour donner une dimension fantomatique à l’image, elle devrait bouger très peu et d’une façon presque imperceptible.
Nous n’utilisons que des travellings et des zooms très lents en arrière et en avant, avec l’idée d’accentuer le rythme de l’esprit qui s’immisce, qui hante les personnages. Les seules séquences où la caméra bouge plus librement sont celles des rêves de Carmen, la femme du général ».

Dans la vraie vie, l’action se déroulait dans une grande maison, presque immense. Finalement la production a dû se rabattre sur une maison plus petite, le défi étant de donner à cette maison des dimensions plus importantes. « La solution a été de ne pas voir les mêmes espaces plus de deux fois, on utilise des portes, des meubles, et des éléments en arrière et avant plan pour créer de la profondeur dans l’image ».

Montées sur Alexa Mini, Nicolás a choisi des vieilles focales anamorphiques japonaises pour leur texture et leurs aberrations : ces distorsions sur les bords du cadre donnent la sensation que les murs de la maison bougent, respirent.

Dans son film, Bustamante se sert de la mythique légende méso-américaine de la Llorona (une sorte de dame blanche) comme une métaphore de l’Amérique Latine, la «Terre Mère» qui pleure ses enfants disparus.
Pour lui, ce personnage incarne une sorte de justicière. « Comment venge-t-on un génocide ? Qu’est-ce que tu fais quand la justice de ton pays ne fonctionne pas ? Tu fais appel aux fantômes et au réalisme magique ».

Caméra : Alexa Mini, tourné en Arriraw Open Gate
Optiques : Cineovision anamorphiques, vieux zoom Angénieux 25-250
Étalonneur : Tony Orozco

La Llorona fait partie de la section «Contemporary World Cinema» à Camerimage.  

 

VERISON ANGLAISE

Camerimage 2020 : La Llorona, when reality is dark, the search for beauty through magic

Shown during Camerimage  2020, La Llorona, a feature by Jayro Bustamante, is photographed by Nicolas Wong Diaz.

Outside : the Trial

This is Guatemala in 2013 during the trial against Rios Montt, a dictator who was in power from 1981 to 83. During those 18 months, every month more than 3000 people were murdered or disappeared. Under his mandate, approximately 125.000 people were killed, all of them from the Mayan Ixil community. This is called genocide.

The trial actually took place, a documentary film was shot at that time « El buen Cristiano » by Guatemalan director Izabel Acevedo and photographed by Pamela Albarrán. Following the trial, the dictator was condemned by the court for genocide and crimes against humanity. It is said that in order for a country to rebuild itself, justice must be made. But the judgment was suspended by the Constitutional Court for procedural irregularities. Rios Montt was acquitted and able to return home. In the end, justice has been taken from the victims.

Jayro Bustamante is part of a generation of filmmakers who grew up in the 1980s during the dictatorship of Rios Montt in Guatemala. The history of the genocide, the trial that took place against Rios Montt and his absolution are subjects that are present in contemporary Guatemalan cinema. Society still has difficulties confronting this terrible period, the wound is still open and these young filmmakers need to talk about it.

In La Llorona, the trial is beautifully filmed, with two sides confronting each other, survivors (mostly women) on one side and the former soldiers and their families on the other.

Ones are white, others are from the Maya Ixil community. The director films with sobriety the two camps, we are in « reality ».  He says he wanted a cinematographic aesthetic by isolating the characters during the trial and his cinematographer created an atmosphere with a lot of contrast. Heads are melt into the darkness, the walls become invisible, infinite.

La Llorona

Inside : the house, the magic realism

Monteverde in the film (the director changed the name of Rios Montt to make it universal) is locked up with his family in his own house. He represents all the military/dictators who committed genocide and atrocities against the civilian population.
Alma arrives and with her comes a new dimension of reality. The magic realism (a literary current notably represented by Garcia Marques, especially in his novel 100 years of solitude).

This opens a new aesthetic for the film : image becomes dreamlike. Alma, the Llorona, in her white dress, in the water, under water, becomes ghostly, she is real but carries a more metaphysical world, the buried memories come back, the ghosts of the murdered Mayans come closer…

Alma in the night mourns her murdered children, but only the guilty ones can hear her.

The narrative changes and so does the work of the image. The blue nights reveal a parallel world, something supernatural enters the image. We no longer know when we are in the real and when we switch to the supernatural, the film becomes poetry. It’s breathtakingly beautiful. The cinematographer Nicolás Wong, contacted by Pamela Albarrán, says: « The film is a hybrid of several cinematic genres (drama, horror, and magic realism), often horror films use a lot of well-known visual artifices. We wanted to move away from this convention by looking for a more sober, more intimate look that could better express this mix of genres ».

The Omen (Richard Donner, 1976), The Witch (Robert Eggers, 2015) and the work of Gregory Crewdson have been our references in defining the mood, camera movements and color atmospheres.   

The camera movements were defined according to the point of view of the story; even if we are inside the general’s house (the house of evil), the gaze did not belong to the family, the gaze is the one of Alma, her arrival must have felt like a bad omen. In order to create a ghostly dimension in the frame, she would have to move very slightly and almost imperceptibly. We only used very slow dolly shots and zooms back and forth as a way to accentuate the rhythm of the spirit entering, haunting the characters.  The only sequences where the camera moves more freely are those of the dreams of Carmen, the general’s wife ».

Originally, the story takes place in a large, almost immense house. Eventually the production had to shoot in a smaller house, the challenge was to give this house a larger dimension.  « The solution was to not show the same spaces more than twice. We used doors, furniture, and background and foreground elements to create depth in the image ».

Mounted on Alexa Mini, Nicolás chose old Japanese anamorphic lenses for their texture and aberrations : these distortions on the edges of the frame give the sensation that the walls of the house move, breathe.

Bustamante uses the mythical Mesoamerican legend of the Llorona (a sort of White Lady) as a metaphor for Latin America « Mother Earth » who mourns her missing children. For him, this character is a sort of vigilante. « How do you avenge a genocide ? What do you do when the justice of your country doesn’t work ? Well, you appeal to ghosts, to magical realism ».

Camera: Alexa Mini, shot in Arriraw Open Gate
Optics: Cineovision anamorphic, old zoom Angenieux 25-250
Colorist: Tony Orozco

La Llorona is part of the « Contemporary World Cinema » section at Camerimage.