Il est courant dans nos professions de travailler loin de chez nous, dans des pays étrangers, avec des équipes locales. Chaque fois que cela arrive, nous découvrons de nouvelles personnes, parfois de nouvelles amitiés se créent par delà les frontières et chaque fois, ce qui fait lien, ce qui nous rassemble malgré nos cultures différentes, c’est la pratique commune de nos métiers, de notre passion !
Et quand, une fois le dernier plan mis en boîte, nous retournons chez nous, c’est avec le souvenir gravé dans notre mémoire du tournage qui restera intimement lié au pays qu’il nous a donné l’occasion de découvrir, aux visages de nos collègues qui ont partagé avec nous un épisode souvent intense de notre vie.
Jusqu’à il y a quelques jours, l’Ukraine était pour moi l’un de ces pays qui rimait avec un tournage heureux auquel j’ai eu l’opportunité de participer en 2008.
À l’époque, Vladimir Poutine (ou plutôt son homme de paille Dmitri Medvedev) semblait plus intéressé par la Géorgie que par l’Ukraine… Même si certains de mes collègues ukrainiens, les plus pessimistes, regardaient ce qui ce qui se passait en Ossétie du Sud avec inquiétude.
À l’époque, Kiev et Kharkiv étaient les destinations figurant sur le plan de travail du tournage de “L’affaire Farewell” dont j’étais l’un des pointeurs…
À l’époque, on tournait encore en 35mm la plus grande partie des longs-métrages et je me souviens avoir appris à mon assistant, Dima, à charger l’Aaton 35 (ce qu’il détestait, lui qui avait l’habitude des Moviecam, les seules disponibles à Kiev!). Contrairement à nombre de ses collègues, Dima ne parlait pas anglais… Et refusait de parler russe avec notre scripte française russophone car il disait que sa langue était l’ukrainien, que son pays était l’Ukraine. Il aimait tellement son pays… Il m’a offert plusieurs bouteilles de vin ukrainien qu’il était ravi de me faire découvrir.
À l’époque, l’Ukraine pensait relancer ses studios datant de l’ère soviétique et nous avons pu les visiter pour prendre quelques projecteurs, faire notre prépa, charger nos camions – des camionnettes de postier réagencées en camion caméra (hyper efficace… Le meilleur du monde!).
C’était plein de poussière mais ça sentait le cinéma ! Nos jeunes électros et machinos travaillaient pour la compagnie de location de matériel Illuminator. Sous la houlette de leurs chefs Sacha et Micha, ils abattaient un travail de titan. J’ai encore le T-shirt Illuminator dans mon placard au milieu de la pile de T-shirt Kodak… celui-ci a un goût amer ces jours-ci, mais a pris une valeur inestimable à mes yeux.
À l’époque, il n’était pas rare de repartir en équipe réduite faire des retakes de plans manquants quelques mois après le tournage et qu’un assistant teste une caméra sur place une semaine avant. J’ai eu cette chance d’être envoyé faire des essais pendant six jours chez Illuminator… La Moviecam était calée et je n’avais pas le droit de retoucher les optiques donc en quelques heures ce fut bouclé et j’eus la joie de pouvoir visiter Kiev avec mes amis du tournage et de me faire écraser par eux lors d’un mémorable karaoké. Jan, l’assistant vidéo d’origine polonaise, qui se plaisait à dire que les frontières, on s’en fout et Lena, l’habilleuse, qui connaissait Kiev comme sa poche et qui s’est prise au jeu du guide non-officiel.
À l’époque quand je parlais avec Micha, le deuxième assistant mise en scène, parfaitement bilingue en anglais du haut de sa petite vingtaine, il me disait que l’Ukraine dans l’UE ce n’était qu’une histoire de quelques années… Enfin c’est ce qu’il espérait, pour pouvoir à son tour un jour voyager pour son travail. Il m’a donné rendez-vous à Paris dans quelques années sur le tournage d’une pub sur les Champs-Elysées !
Et aujourd’hui… Aujourd’hui, l’Ukraine se retrouve pour son plus grand malheur au cœur d’une actualité effroyable.
Je me demande souvent ces derniers jours ce que font mes collègues de 2008, eux qui étaient pour la plupart des jeunes trentenaires, des enthousiastes convaincus, des passionnés de cinéma, des professionnels sérieux et compétents… Eux qui aujourd’hui sont appelés à prendre les armes contre un ennemi si puissant, eux qui n’ont plus le droit de quitter leur territoire, eux qui dorment peut-être dans le métro de Kiev où nous avons tournés de si belles images…
Je ne peux que saluer leur courage et celui de tout un peuple face à cette situation inacceptable.
L’Union des Chefs Opérateurs apporte son soutien à la population ukrainienne et aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel qui doivent poser les caméras pour prendre les armes.
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ENGLISH VERSION
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It is common in our occupations to work far from home, in foreign countries, with local teams. Every time it happens, we discover new people and new friendships are created over borders, and every time the common practice of our jobs – of our passion ! – brings us together, despite our different cultures.
Once the last shot has been shot, we return home with the memory of this shooting engraved in our minds, intimately linked with the country we had the opportunity to discover, and with the faces of colleagues with whom we shared an often intense chapter of our lives.
Until a few days ago, Ukraine was one of those countries for me, and echoed with the memory of a happy 2008 shooting.
At that time, Vladimir Putin (or rather his front man, Dmitry Medvedev) seemed more interested in Georgia than in Ukraine… Even if some of my more pessimistic Ukrainian colleagues were worryingly looking at what was happening in South Ossetia.
At that time, the filming schedule was leading us to Kyiv and Kharkiv for the filming of « Farewell », for which I was one of the focus pullers…
At that time, most of the feature films were still shot in 35mm, and I remember teaching my assistant, Dima, to load the Aaton 35 (which he hated, as he was used to Moviecam, the only 35mm camera available in Kyiv !). Unlike many of his colleagues, Dima did not speak English… And refused to speak Russian with our Russian-speaking French script supervisor, because he said that his language was Ukrainian, and his country Ukraine. He loved his country so much… He offered me several bottles of Ukrainian wine that I was happy to discover.
At the time, Ukraine was thinking of re-launching its Soviet-era studios, and we were able to visit them to pick up some of our light gear, to do our prep work, to load our trucks – which were postal trucks re-purposed as camera trucks (super efficient… The best in the world!).
It was full of dust, but it smelled like movie-making ! Our young gaffers and grips worked for the local equipment rental house, named Illuminator. Under the leadership of their bosses Sacha and Micha, they did a great job. I still have the Illuminator T-shirt in my closet, among the pile of Kodak T-shirts… This one tastes bitter these days, but has now become priceless to me.
At the time, it was not uncommon to go back on set with a smaller crew, a few months after the principal photography was completed, to reshoot some missing takes, and to hire a camera assistant in order to test a camera on location a week beforehand. I was lucky enough to be sent to Illuminator for six days of testing… The Moviecam was already set up, and since I was not allowed to touch up the lenses, the work was done in only a few hours, and I had the joy of being able to visit Kyiv with my friends from the shooting – and to be crushed by them, during a memorable karaoke night. Jan, the Polish-born video assistant, who liked to say that we don’t give a fuck about borders, and Lena, the on-set dresser, who knew Kyiv like the back of her hand, and took on the role of an unofficial guide.
At the time, when I was talking with Micha, the 20 years old second assistant director, who was perfectly fluent in English, he told me that Ukraine joining the EU was only a few years away… At least that’s what he was hoping for, and to be able to travel for his job, one day. He even requested to meet in Paris a few years on, working on the set of a commercial on the Champs-Elysées !
And today… Today, Ukraine finds itself at the core of terrible news.
These last days, I wonder what my colleagues of 2008 are doing now. Most of them were thirty-year-olds enthusiastic people, passionate about movie making, serious and skilled professionals… And they are now called to take up arms against such a powerful enemy, unable to leave their territory. They may be spending their nights in the subway of Kyiv, where we filmed such beautiful images…
I can only salute their courage, as the courage of an entire people in the midst of this intolerable situation.
The United Cinematographers Organization supports the Ukrainian population, and the film and broadcast professionals who have to put down their cameras to take up arms.
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