À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Pascal Caubère.

Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?

Mon intérêt pour la prise de vue a démarré par un réel goût pour les images, très tôt à l’adolescence suite au décès de ma mère à l’âge de 16 ans. J’ai alors emprunté une caméra 8, puis super 8 et j’ai commencé simplement par filmer les fêtes et événements familiaux. Puis, avec une petite visionneuse et une colleuse à scotch, je montais mes images, y ajoutais une musique ou une voix off avec le projecteur super 8 sonore que mon père m’avait offert en 1976.

C’est cette «projection» dans l’âge adulte qui  m’a donné cette envie forte de filmer, de capter l’énergie de vie autour de moi avec toujours en tête la fameuse citation de Cocteau « Le cinéma, c’est filmer la mort au travail ». J’ai donc mis en images de petites fictions dans laquelle famille et copains suivaient mes « délires » de visions d’adolescent. Il faut préciser que j’ai eu la chance de baigner dans une famille d’artistes et de comédiens dont l’imaginaire collectif nourrissait ces petits films.

C’était une évidence :  j’aimais le cadre, les images, le montage, la projection, le son, avec l’immense plaisir des réactions diverses de mon entourage. Ces joyeuses expériences, je les retrouve(rai) tout le long de ma vie professionnelle.

« Bambou » réalisé par Didier Bourdon

Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

C’est dans mon école de cinéma que j’ai découvert les deux orientations cinéphiles fondamentales pour moi : le cinéma italien et le cinéma anglais. Plus précisément les films de Nanni Moretti («Bianca», «Journal intime», «La chambre du fils»…) et ceux de Ken Loach («Kes», «Ladybird» et le dernier en date «Moi, Daniel Blake» avec son grand directeur photo Barry Ackroyd). Ces deux réalisateurs sont devenus les influences les plus prégnantes dans mon travail.
Je suis un grand fan de ce cinéma ancré dans une réalité forte mise en image avec chacun leur style particulier.

Quelle a été ta formation initiale ?

Après un bac technique, j’ai trainé mes guêtres deux ans en fac de lettres (option cinéma) à Aix en Provence pour préparer Louis Lumière. J’étais totalement inculte. J’ai acquis pendant ces deux années une culture cinématographique et littéraire tout en continuant à filmer et monter mes réalisations en super  8.
En 1981, je suis entré à Louis Lumière (à l’époque c’était pour un BTS en deux ans). Là j’ai connu le bonheur car, malgré de gros défauts dans l’enseignement, je me suis retrouvé avec des personnes qui avaient cette même passion folle de technique et de cinéma.
Pour moi, la qualité première de ce métier est de pouvoir créer et réunir une «famille» dans un temps très court pour accomplir une œuvre commune, un film.

Sur le tournage d’une captation de théâtre à Avignon en 2016 avec Philippe Caubère, réalisée par Bernard Dartigue

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?

À 23 ans, en sortant de l’école, mon premier contrat a été pigiste pour FR3 avec une caméra 16mm en inversible. Je  filmais des événements sportifs le week-end.

En parallèle, je faisais des courts métrages, des films institutionnels etc. Puis dans la lancée, à 25 ans, j’ai fait mes deux premiers longs métrages, un film d’auteur, « L’homme imaginé » de Patricia Bardon, et un film série B érotique très mauvais ! J’avais ainsi fait le grand écart de tous les genres possibles…

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

J’ai oscillé entre films d’auteur (Grandperret, Nicotra, Bardon…), comédies à gros budget (Didier Bourdon, Marc Esposito…), et téléfilms. Ce côté « éclectique de l’image » m’a fait rencontrer un vrai réseau qui m’a permis de très bien travailler. J’ai pu expérimenter des configurations très variées dans des domaines divers (fictions, documentaires, films institutionnels, pub, théâtre, opéra etc…), ce qui m’a permis de faire des rencontres personnelles et artistiques fortes.

Sur le tournage de « Les 3 frères » réalisé par Didier Bourdon et Bernard Campan

 

J’ai tourné en 2019 un long métrage, le film d’auteur de Patricia Bardon « Nana ou les filles du bord de mer ». Le challenge technique de ce projet était de filmer avec une FS5 et un seul assistant-opérateur/électro. J’ai monté, étalonné et fabriqué le DCP de ce long métrage en très peu de temps. Ce fut une super expérience technique pour moi, l’occasion de monter et étalonner dans ma salle de montage équipée avec Davinci Resolve. Depuis deux ans je m’intéresse passionnément à la postprod et au workflow, j’ai d’ailleurs décidé de développer cette activité supplémentaire qui m’enrichit grandement dans mon métier de chef opérateur.
Parallèlement, depuis trois ans je travaille sur des séries, documentaires ou unitaires et j’enseigne la lumière à l’EICAR (j’aime le rapport avec les jeunes et l’idée de transmettre).

Le meilleur futur projet pour moi serait un joli film d’auteur, avec peu de budget, où je pourrai de nouveau assurer le suivi technique, ou une belle série bien écrite, car j’aime beaucoup ce format dans lequel on peut vraiment développer des partis pris de lumières originaux.

« Fui banquero » réalisé par Patrick Grandperret et Émilie Grandperret

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Tout m’inspire ! Mon œil est partout. Un livre, une expo, une photo, un tableau, une couleur, la nature, une pièce de théâtre… J’essaie ainsi à chaque projet, quel que soit le format, de cerner l’axe, la sensibilité de la direction artistique, pour qu’elle respecte parfaitement les désirs du réalisateur, de la production et de la finalité, écran TV ou cinéma. En ce sens, m’imprégner parfaitement du scénario est indispensable pour moi avant de pouvoir imaginer les images, faire des choix de lumière, de cadrages, suivre un axe visuel. Même si cela est subtil, voire invisible pour certains spectateurs ou même parfois pour nos partenaires artistiques, cela fait partie de la sensibilité du métier de chef opérateur.

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Oh oui ! Beaucoup ! La gaffe la plus drôle, c’est lors de mon tout premier travail en sortant de l’école : je filmais en 16 mm avec une caméra Eclair un événement sportif, une course… Je charge mon magasin trop vite et un coureur me bouscule. Le côté récepteur de mon magasin s’ouvre sans que je m’en aperçoive ! Je continue donc de filmer alors que la pellicule sort du magasin… Jusqu’au moment où un spectateur me tape sur l’épaule pour me faire constater le problème !
Sinon, sans que ce soit à proprement parler des gaffes, il m’est arrivé sur des étalonnages de me laisser trop influencer par le réalisateur ou l’étalonneur et me retrouver déçu par le résultat final. Cette situation est toujours délicate car un rapport de force peut s’installer entre le réalisateur, la production et le chef opérateur….. Depuis, régulièrement, je me rappelle que rien n’est acquis et que l’erreur fait partie du métier, alors je reste toujours «méfiant» de la technique et aussi gentiment de mes coéquipiers mêmes si je les connais bien !

« Lebowitz contre Lebowitz« , réalisé par Olivier Barma

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

Sur la nature de mon travail : jamais. Je trouve ce métier formidable et tout l’art, pour moi, est de pouvoir le pratiquer le plus longtemps possible.

J’ai vécu ponctuellement des creux professionnels qui ont semé des doutes sur ma capacité à exercer ce métier, mais ces moments-là ont été constructifs car ils m’ont forcé à me remettre en question, à suivre des stages de perfectionnement en post-production ou autres (formidable AFDAS que je recommande aussi à mes assistants). Ils m’ont également permis de retravailler sur des petits projets, refaire du documentaire, etc.

J’ai eu la chance de pouvoir tenir le coup financièrement, je me suis toujours efforcé de conserver mon statut d’intermittent avec la chance de ne plus avoir d’enfants à charge.
En bref, il faut faire attention à son train de vie, être prudent…

As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?

Je ne sais pas si c’est le plus original, mais en tout cas c’est la situation technique la plus compliquée de ma carrière : cela s’est passé avec la série pour le cinéma « Le cœur des hommes » de Marc Esposito. Comme parti pris de réalisation il voulait absolument tourner le film à deux puis à trois caméras en permanence pour filmer ses quatre acteurs (Lavoine, Campan, Darroussin,et Darmon). L’univers de Marc et son scénario étaient très dense en dialogue avec beaucoup de séquences entre les quatre acteurs. En s’appuyant sur une mise en scène assez statique, il fallait pouvoir filmer les champs contre-champs, rapports à deux, à trois en même temps.

« Le cœur des hommes » réalisé par Marc Esposito 

 

Pour chaque séquence, chaque acteur devait jouer et être filmé afin de pouvoir apporter une certaine tension à la séquence. Cela a induit un système de lumière assez long à mettre en place, d’autant plus que les décors étaient parfois assez petits, avec une équipe caméra très conséquente, surtout que les deux premiers « cœur(s) » ont été tournés en 35mm!!! Une super école pour moi, avec des choses ratées et d’autres réussies, où l’on doit faire des choix draconiens sur les optiques (zooms Angenieux) et les lumières (déports, consoles lumière, led etc). Évidemment le troisième « cœur » a été filmé en numérique, donc plus facile à gérer, surtout à l’étalonnage. Tout cela m’a fait prendre conscience de ce que l’on perdait ou gagnait en filmant ainsi,  mais je pourrais en parler pendant des heures… Les deux caméras sont courantes en téléfilm et de plus en plus en long métrage lourd, mais il vaut mieux avoir un  réalisateur qui sait les utiliser !

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Je n’ai jamais eu de velléité de réalisation en fiction.
J’ai quand même réalisé un documentaire sur le travail de mon frère Philippe Caubère, comédien et auteur, avec pour matière des rushes accumulés pendant des années. Et en ce moment, je monte un documentaire sur ma marraine qui pourrait s’intituler « L’art de vieillir », le portrait d’une femme de 94 ans que je filme depuis de nombreuses années, tout cela en auto-production… Cela satisfait entièrement mon désir de réalisation.

Philippe et Pascal Caubère

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

J’aime faire partie de l’équation réalisateur/scénario/production.
Essayer de trouver les moyens techniques les plus adéquats pour réaliser un film, un téléfilm ou un documentaire, trouver le bon axe pour obtenir l’image juste.

Ce que je n’aime pas c’est le côté VIP du métier, devoir se vendre, mettre son travail en avant, «séduire» pour travailler.
Je n’aime pas non plus l’impossibilité de prévoir a minima mon agenda professionnel.

Sur le tournage de « Meurtières » réalisé par Patrick Grandperret

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?

D’aller au bout de ses rêves et de ses ambitions.

D’être curieux de tous les projets en sachant faire les compromis nécessaires entre l’intérêt artistique et l’intérêt financier.

Sur un projet, essayer d’aller toujours au-delà de sa fonction, en associant les divers intervenants du film, afin d’avoir une vision globale.

Dans ce métier, nos carrières dépendent des rencontres, de la chance et des choix. Alors ne jamais lâcher, toujours mordre pour pouvoir continuer ce métier le plus longtemps possible en s’amusant, tout en gardant une éthique professionnelle.

PS: Et de venir à l’Union des chefs opérateurs pour retrouver un état d’esprit de compagnonnage !

Pascal Caubère sur le site de l’Union des chefs-opérateurs