À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Renaud Personnaz.

Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?

J’aurais tendance à répondre « jamais ». Ou « toujours », c’est pareil. Aussi loin que je me souvienne, c’est le cinéma et non « l’image » qui m’a intéressé (le mot est faible, passionné serait plus juste), d’abord en spectateur cinéphile. Puis, un beau jour, j’ai vu L’acrobate de Jean-Daniel Pollet (ce n’est ni Citizen Kane ni Apocalypse Now) et je me suis dit « Le cinéma, c’est bon à voir, mais ça ne doit pas être mal à faire, aussi ».
Par la suite, j’ai découvert la farandole des métiers qui participent à la fabrication d’un film et j’ai assez vite compris que les métiers de la prise de vue y occupaient une place privilégiée : on y transforme des mots en lumières, on y danse avec des êtres humains… Jamais je n’ai pu considérer la prise de vues comme une fin en soi. Pour moi elle est une des facettes de la réalisation.


« Tous les rêves du monde » réalisé par Laurence Ferreira Barbosa

Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

Encore aujourd’hui, il est rare que j’aille voir un film parce que tel opérateur y a travaillé. Et jamais je n’ai apprécié un film à l’aune de la « beauté de l’image ». En revanche, j’ai toujours été sensible aux réalisateurs dont on reconnaît l’image de film en film, quels que soient les opérateurs avec lesquels ils ont travaillé, et aux opérateurs qui, au long de leur carrière, ont su s’adapter aux styles divers des cinéastes avec lesquels ils ont collaboré. Pour les mêmes raisons, j’aime les films dont le travail de l’image ne peut pas être dissocié de la réalisation elle-même.

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai vu des films au cinéma.
J’ai aussi passé un an au département cinéma de l’Université Paris VIII où, grâce au peu de matériel disponible et à des enseignants généreux, j’ai pu tourner plein de petites choses atypiques avec un groupe d’amis très enthousiastes.
Ensuite j’ai fait l’École Louis Lumière.
Quand j’en suis sorti, j’ai commencé à apprendre mon métier.


« Le divan de Staline » réalisé par Fanny Ardant

 

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?

C’est par le documentaire que j’ai commencé à être opérateur. Parallèlement, j’ai longtemps été cadreur sur des longs métrages, principalement en Italie, où le cadre et la lumière sont plus dissociés qu’en France. Ça a été pour moi une grande chance, mais maintenant, quand je travaille en fiction, je ne suis jamais plus à l’aise que quand je cadre.

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

J’ai travaillé essentiellement sur des longs métrages, tant en fiction qu’en documentaire.

Quant aux projets… la meilleure nouvelle serait qu’il y en ait un prochain. Ce n’est pas pour demain (j’écris sous confinement). Ce que je souhaite, c’est qu’on puisse à nouveau faire des films les uns près des autres, sans se réfugier chacun dans un coin derrière des masques, des écrans et des télécommandes.


« La variabile umana » réalisé par Bruno Oliviero

 

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Même si elles peuvent être très stimulantes, les références picturales ont rarement été déterminantes dans mon travail sauf en cas de citation délibérée : elles servent souvent à constituer un bagage commun avec le réalisateur mais sont souvent trompeuses et, à l’approche du tournage, elles perdent de leur pertinence. D’autre part, comme j’ai tendance à considérer que notre métier relève autant des arts du temps que de l’espace, j’accorde au moins autant d’importance aux suggestions sonores que visuelles (musiques, sons…). Par ailleurs, chaque projet m’incite à m’intéresser spécifiquement à des domaines bien particuliers (politiques, scientifiques, sociaux…) qui peuvent suggérer des idées visuelles. Mais avant tout ce sont bien les mots, imprimés sur les pages du scénario, dits par le réalisateur ou la réalisatrice, qui font naître la plupart des idées de lumière et de cadre. Évidemment, les repérages recèlent une grande part des suggestions artistiques nécessaires aux choix photographiques, et voir les acteurs répéter est souvent une grande source d’images.

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Lors du tournage du premier long métrage auquel j’ai participé comme assistant-opérateur, le directeur de la photo, qui me connaissait à peine, m’a proposé d’aller voir au cinéma un film dont il avait fait l’image et qui venait de sortir. C’était le vendredi de la première semaine d’un tournage épuisant, à Naples en plein été, à la séance de 22 h 30. Au bout de dix minutes, j’ai senti mes paupières se fermer sans pouvoir les en empêcher. Quand je les rouvris, la salle se vidait de ses spectateurs, j’avais la tête posée sur l’épaule de mon chef-op.

Il ne semble pas m’en avoir trop voulu : j’ai participé à six autres films avec lui et il m’a appris une grande part de ce qui, jusqu’à aujourd’hui, fait ma pratique d’opérateur.

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

J’évite de passer sur les tournages d’amis auxquels je ne participe pas : je m’y sens bête, inutile, et je me demande toujours comment on peut déployer autant de temps et d’efforts pour faire un film, aussi beau soit-il.


« La variabile umana » réalisé par Bruno Oliviero 

 

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Il m’est arrivé de réaliser quelques documentaires, de façon ponctuelle. La première fois c’était en 16 mm, avec un budget modéré mais une équipe de cinq personnes et je ne faisais pas l’image. C’était formidable. Par la suite, les contraintes économiques m’ont poussé à filmer moi-même. J’ai apprécié les deux configurations pour des raisons complètement opposées, évidemment.

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Ces jours-ci, j’ai envie de dire que ce que j’aime le plus tient aux contacts (entre les membres de l’équipe, avec les personnes filmées) et à la transmission (entre les générations).


« Paroles de nègres » réalisé par Sylvaine Dampierre

 

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?

Aucun en particulier. Je commencerais par lui demander ce qui l’intéresse dans ce métier.

Renaud Personnaz sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture: « Paroles de nègres » réalisé par Sylvaine Dampierre

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Post-Scriptum
Sur cette photo empruntée au livre Prises de vies – Émulsions d’Éric Pittard, on voit au travail l’opérateur Michel Tommasi et l’ingénieur du son Antoine Bonfanti, auprès de qui j’ai énormément appris. J’aime y voir la complicité à l’œuvre, l’échange malgré les filtres, le cinéma en train de se faire.