À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Valérie Potonniée.

Quand et comment t’es-tu intéressée à la prise de vues ?

Je devais avoir 12 ans quand ma mère m’a offert mon premier appareil photo, c’était un appareil 6×6. Je me souviens que j’aimais que l’image soit carrée. Je faisais des photos de ma famille, parfois je mettais en scène mes frères, ma sœur ou mes parents… Puis j’ai appris à développer mes photos. Dans la chambre noire, j’étais fascinée quand la photo apparaissait. Nous avons même eu un labo photo à la maison que nous partagions avec ma mère. Je pouvais y passer des heures.
Ensuite, ado, j’allais au ciné-club pour enfants aux Tuileries, j’y entraînais une bande de copains puis je suis allée au ciné-club de mon lycée. Je me souviens des projection à l’époque en pellicule et des bobines de film en 35mn.
J’ai l’impression d’avoir  toujours aimé aller au cinéma, j’y allais sans mes parents, comme dans un espace de liberté à moi. J’avais le sentiment  qu’il y a avait un fil tendu entre moi et l’écran, qu’assise sur mon siège j’avais un lien particulier avec le film qui était projeté. Je pense que le cinéma m’a aidée à me construire. J’ai très vite compris que les réalisateurs affirmaient des points de vue avec leur film, que le cinéma était une fenêtre sur le monde.
Il y a aussi un événement qui m’a marquée : assez jeune ma mère m’avait emmenée voir un film de Bergman auquel je n’avais pas compris grand-chose, mais dont la beauté des images en noir et blanc m’avait marquée. En visionnant beaucoup plus tard «Persona» j’ai ressenti la même émotion, même si je n’ai pas réussi à me souvenir si c’est celui que j’avais vu quand j’étais plus jeune. 

Quels films t’ont particulièrement marquée visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

« Stranger Than Paradise » de Jim Jarmush (image : Tom DiCillo), sorti en 1984, m’a beaucoup marquée. J’étais jeune quand je l’ai vu. Ce film en noir et blanc, très contrasté, avec des longs travelling en voiture dans la ville, pour moi c’était très nouveau comme façon de filmer.  Je me souviens que le dernier plan du film est tourné dans un tel brouillard que l’on ne voit plus rien, tout est blanc comme un écran de cinéma où il n’y aura plus rien à projeter. Pour un dernier plan de film je trouvais ça génial.

« Stranger Than Paradise » de Jim Jarmush (image : Tom DiCillo)

Je pense que le film a une vraie écriture poétique, un peu comme la poésie  de Boris Vian : rien n’est conventionnel, c’est un cinéma qui s’invente.  Il y a peu de dialogues, le film se raconte avec les images et la musique. Cette oeuvre m’avait fascinée par sa liberté d’écriture et la façon dont il était tourné, avec des longs plans soit fixes soit des interminables travellings voiture. J’imagine que si je le revoyais aujourd’hui je n’aurais sans doute plus la même émotion, ni qu’il me fascinerait autant.
J’aime les images avec des choix esthétiques forts, comme dans ce film. Je crois que j’aime aussi les films en noir et blanc, car ils impliquent déjà une transposition de la réalité.
Je me souviens que quelque temps après la sortie du film, durant mes études à l’INSAS en image, j’avais rencontré à Bruxelles John Lurie qui était comédien et musicien sur ce film. Il était en tournée et nous avions organisé une interview avec Yves Cape (qui était étudiant à l’INSAS en même temps que moi). Ce jour là, j’ai eu l’impression qu’un jour je pourrai travailler moi aussi dans le cinéma, que cela m’était accessible.

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai travaillé pendant très longtemps comme première assistante opératrice sur des longs métrages. Je trouvais que c’était une place unique pour voir le film se construire, d’être juste à côté de l’objectif de la caméra… J’ai beaucoup aimé être assistante, voir les chefs op au travail, j’étais vraiment heureuse de faire ce métier.
Après de nombreuses années d’assistanat, j’ai voulu passer à la lumière et au cadre. J’ai fait une formation aux Atelier Varan (une école de documentaire) en 1999 à Paris, dans la lignée du cinéma direct à l’époque. Je voulais passer chef op en documentaire.

Équipe image sur le tournage de « L’Homme est une femme comme les autres » de Jean-Jacques Zilbermann, 1998 (image : Pierre Aïm). De gauche à droite: Agathe Grau (scripte) en haut Marie Sorribas (2e assistante caméra), je suis en bas (1ere assistante caméra), Alice Ormière (stagiaire scripte), un électro (dont je ne retrouve pas le nom), Béatrice Mermet (3e assistante caméra) – Photo ©Nathalie Eno


J’ai alors commencé à travailler à l’image pour une série de documentaires pour Capa Télévision, des projets pour la chaîne TEVA. Il s’agissait de documentaires courts, parfois des reportages, tournés en équipe réduite et il fallait aller vite.
Le passage de l’assistanat à la lumière n’a pas été simple pour moi.
En fait, en passant d’assistante à chef op, je me suis aperçue que le fait d’être une femme rendait les choses plus compliquées. J’avais 3 enfants et lorsque cela se savait, cela ne m’aidait pas, car on ne me pensait pas suffisamment disponible. Encore assistante, je l’avais déjà senti après la naissance de chacun de mes enfants: on me proposait moins de films à l’étranger par exemple. Les premières chefs op pionnières n’étaient pas loin devant moi, cependant je voyais bien qu’il y avait beaucoup d’assistantes caméra mais beaucoup moins de femmes chef op.
Dans les années 90, il y avait plusieurs freins à ta carrière quand tu étais une femme : être enceinte (je me suis aperçue un jour que je n’avais jamais vu de femmes enceintes sur un tournage, comme si la maternité n’avait pas de place sur un plateau de cinéma) et avoir des enfants (on pensait que forcément tu serais moins disponible). C’est une question dont on débat beaucoup à FALC (Femmes à la caméra).

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef opératrice ?

J’ai fait l’INSAS à Bruxelles option Image. J’ai eu la chance d’avoir Charlie Van Damme comme formateur et Pierre Lhomme qui était venu faire un workshop en 3e année. Pendant ces années d’études, une autre rencontre avec un chef op m’a particulièrement marquée : Henri Alekan était venu faire une master class avec Jean-Claude Carrière, et cette rencontre a été  fondatrice pour moi. Je buvais ses paroles, je me disais que le métier de chef op était le plus beau métier du monde.
En sortant de l’école, j’ai tout de suite travaillé sur des longs métrages, et c’est sur les plateaux de cinéma que j’ai le plus appris. J’ai fini l’école fin juin et le 1er juillet j’étais sur un long comme 2e assistante caméra avec Eric Gauthier, qui était alors 1er assistant opérateur (« Les exploits d’un jeune Don Juan » de Gianfranco Mingozzi, image : Luigi Verga).
Par la suite, j’ai fait une rencontre essentielle dans ma conception du travail d’opératrice avec Yann Le Masson (chef opérateur et réalisateur du film « Kashima Paradise » entre autres), dont j’ai été l’assistante. Puis j’ai  travaillé plusieurs années comme assistante sur des longs-métrages avec les chefs opérateurs: Dominique Brenguier, Pierre Aïm, Pierre Milon, Luc Pages, Pierre-William Glenn… qui m’ont permis de continuer mon apprentissage.

Sur le tournage de « Houna » réalisé par Badria El Hassani

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

J’ai essentiellement travaillé sur des documentaires. Pour Capa Télévision avec la réalisatrice Françoise Cros de Fabrique, pour « L’œil et la Main » sur France 5 (notamment un projet avec Alice Diop « Premiers amours »). Je travaille surtout dans des circuits alternatifs sur des projets avec peu de moyens, diffusés à la télévision ou en festival, dans une économie très précaire.
J’ai récemment travaillé sur une série de 5 portraits de jeunes du 18e arrondissement de Paris, des jeunes gens magnifiques aux parcours inspirants. Nous avons beaucoup tourné dans la rue, il fallait aller vite et tourner essentiellement en lumière naturelle.
J’ai aussi fait l’image d’une partie du film « Pierre Rabhi au nom de la Terre » de Marie Dominique Dhelsing.
Pour un prochain film, j’aimerais partir sur un documentaire qui sortirait en salles, avec un peu plus de moyens. En attendant, le prochain tournage se passera au Maroc, dans un village de pêcheurs près de Kénitra, et c’est enthousiasmant. 

À Rabat, sur le tournage de « Houna » réalisé par Badria El Hassani

Est-ce que tu souhaiterais travailler sur un film de fiction ?

Oui, comme le dit Charlie Vandamme, je pense que «la lumière est une des interprètes d’un film». J’adore lire un scénario, visualiser le film et rentrer dans l’univers du réal. Dans ce cas, il me faudra réapprendre à travailler avec une plus grosse équipe. 

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

J’ai beaucoup de sources d’inspiration : les films que je vois, les expos photos, de peinture, la lumière naturelle aussi… Par exemple, le jour où je suis rentrée dans la Sagrada Familia à Barcelone et que la lumière du soleil passait à travers les vitraux, j’ai ressenti une grande émotion, un moment de lumière presque mystique…
Pour le cadre, ma plus grande source d’inspiration c’est « Le petit fugitif » de Morris Engel, Ruth Orkin et Raymond Abrashkin (DOP Morris Engel). Ce sont deux photographes qui ont fait ce film et chaque plan est parfaitement cadré. Le film est tourné à l’épaule en mode documentaire mais c’est une fiction, une  « caméra personne » suit le personnage du film, Joey, qui déambule à Coney Island. Les réalisateurs ont filmé le petit comédien de 7 ans dans une fête foraine, il y passe 2 jours d’errance au milieu de la foule, sous la pluie, dans la nuit… C’est magnifiquement filmé, sans artifice, chaque plan est une respiration et il en émerge une certaine magie de l’instant.

« Princes et princesses de la street » image et réalisation Valérie Potonniée

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Non, pourtant j’ai dû faire plein de gaffes. D’ailleurs je pense que c’est en me trompant que j’ai le plus appris.

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

Beaucoup, même en répondant à ces questions.

Sur le tournage de « Houna » réalisé par Badria El Hassani – Photo ©Asma Hammouche

As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?

Non, je fais des projets avec peu de moyens et les dispositifs que je trouve sont toujours simples. 

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Parfois je réalise des films documentaires. Dans ce cas je prends une petite équipe, un cadreur, un preneur de son, un monteur, un fixeur si c’est à l’étranger… mais je fais toujours la lumière. J’éclaire toujours les docus que je réalise. 

«La réussite est un long parcours: Loil » image et réalisation Valérie Potonniée

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

J’aime et je suis même fascinée par les équipes de tournage. Je trouve magique que tant de personnes, dans des corps de métiers si différents, artistes, techniciens, ouvriers, arrivent à si bien travailler ensemble pour le même film.
Je n’aime pas ne pas savoir quand sera le prochain projet. 

Quel conseil donnerais-tu à un/une aspirant chef opérateur ?

Il faut tourner, tourner, faire des images.
Je pense aussi que c’est très formateur de travailler comme électro. Je suis contente car je travaille aussi dans des écoles supérieures d’audiovisuel et je vois de plus en plus de filles qui veulent travailler comme électro, et c’est vraiment un bon chemin pour faire de la lumière.
Il faut aussi faire les bonnes rencontres. Mais surtout: il n’y a pas qu’un seul chemin pour devenir opérateur/opératrice, il y a autant de parcours que de personnalités.

Valérie Potonniée sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture : «La réussite est un long parcours: Loil » image et réalisation Valérie Potonniée