À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Thierry Deschamp.

Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vues ?

Mon père, qui vendait des magnétoscopes et des téléviseurs (et les réparait!) a toujours été un passionné de photographie. Possédant plusieurs boîtiers Nikon et pratiquant le labo photo noir et blanc, il me transmet le virus et à partir de 1980, à l’âge de 11 ans, je développe et tire mes photos noir et blanc. Je reste des journées et des nuits entières dans l’obscurité du labo. La pellicule me fascine : la naissance d’une image dans un bain chimique, la montée progressive des contrastes…
Toujours autour de l’activité de mon père, un deuxième élément  sera aussi déterminant : il s’installe à son compte et monte un vidéo club, qui rassemblera jusqu’à 7000 films !
Mon frère et moi devenons très jeunes conseillers pour l’achat des films. Mad Movies, dont nous étions abonnés, faisait partie de nos lectures. Je suis toujours très impressionné par les films de genre de l’époque :  leurs atmosphères, leurs lumières…

Moi à 10 ans !

Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

À cette époque de nombreux films me marquent inconsciemment : « Razorback » de Russel Mulcahy, « La Guerre du Feu » de Jean Jacques Annaud, « Evil Dead » de Sam Raimi, « The thing » et « Christine » de John Carpenter, « Playtime » de Jacques Tati, « Nosferatu » de Murnau…
Les films de genre me fascinent.

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai obtenu un bac professionnel de maintenance audiovisuelle (MAVELEC), puis effectué un BTS Audiovisuel Exploitation et Maintenance à Roubaix en 1991 (à l’époque, il y en avait quatre en France). J’ai enchainé ensuite avec la Maitrise Sciences et Techniques Audiovisuelles à l’université de Valenciennes.
Avec un camarade rencontré en BTS, nous avons décidé de suivre en candidat libre les cours de filmologie de Louisette Faraignaux à la fac de Lille 3, nous permettant ainsi de combler notre retard en histoire du cinéma ! Nous nous sommes enfin préparé au concours de la FEMIS, que nous avons réussi  tous les 2. Lui en son et moi en image (8e Promo).

Sur le tournage de « Demain nous appartient »  (juin 2021) réalisé par Sandra Perrin – production Telsete

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef opérateur ?

Après trois petites années en tant qu’assistant caméra, c’est un ami réalisateur, Pascal Vasselin, qui décide de m’imposer en publicité, avec la société Franco-American (dès 1999). A l’époque, les 2 producteurs Jacques Arnaud et Serge Fournier me prennent sous leur aile (Canal Sat, Danone, SNCF, Panzani etc).
Toujours en publicité je travaille par la suite avec la société Dissidents. En 2000, le réalisateur Gilles de Maistre décide de m’embaucher comme directeur photo sur son long-métrage « Féroce ».

« Pied’Bwa » court-métrage de Olivier Mehari  – Catwell production

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

Grâce à la diversité de mes formations, j’ai travaillé sur des types de projets très variés…
J’ai notamment travaillé sur de nombreux téléfilms, séries et quotidiennes (« Équipe médicale d’urgence« , « Profilage« , produits par Beaubourg Audiovisuel;  « Elodie Bradford » pour M6; « Interventions » pour TF1 produit par Gaumont TV, « Julie Lescaut » produit par GMT, « QI » pour Orange, « Demain nous appartient » produit par Newen), sur de nombreux clips (pour Grand Corps Malade, Arno, Lara Fabian, France Gall, la Star Académie) et sur pas mal de captations en direct (Johnny Hallyday au Parc des Princes, Dionysos, Arthur H, Asia, Manu Katché, Black M, Gaspard Proust, Jean Luc Lemoine, Vincent Moscato, Gad Elmaleh, Cléopatre de Kamel Ouali…)…

Pour moi, le meilleur prochain projet sera tout simplement le prochain projet, qu’il s’agisse de fiction, de captation ou de programme tv, du moment qu’il me permet d’éclairer des histoires et des personnages.

Sur le tournage de « Demain nous appartient » (juin 2020) réalisé par Sebastien Perroy avec François Addler et Eric Marcol au cadre – production Telsete

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Mes inspirations sont multiples mais elles sont tout d’abord tributaires de l’humeur et de l’instant présent. Elles demeurent très ancrées dans la culture cinématographique acquise au cours de toutes ces années.
Je suis un opérateur qui revendique sa cinéphilie, très marqué par des cinéastes qui se voulaient cinéphiles (Wenders, Jarmuch, Scorsese, Spielberg…).
J’aime l’idée de travailler en collaboration avec les réalisateurs autour de références cinématographiques et picturales : un tableau, un extrait de film sont le point de départ de mon travail…

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Je me souviens d’une anecdote très drôle au final, qui m’est arrivée il y a pas mal d’années.
Je collabore depuis 20 ans avec Gérard Pullicino, réalisateur de télévision.
Gérard avait vendu l’idée, à l’occasion d’une captation de M Pokora, de réaliser un clip en duo avec Robbie Williams.
Je me charge notamment de filmer tout le backstage, caméra à l’épaule (arrivée des artistes, discussions autour de la scène…). En fin d’après-midi, lorsque le monteur de Gérard regarde les rushes, il se rend compte que j’avais passé mon temps à filmer le manager de Robbie Williams et non Robbie Williams lui-même !
Ce fut très embarrassant, mais Gérard Pullicino ne m’en a jamais voulu. On en rit encore maintenant.

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

On connaît tous des doutes à un moment donné de sa vie, à propos de son travail.
Avons-nous donné le meilleur de nous-mêmes ? Sommes-nous à la hauteur du projet en cours ?
Je suis quelqu’un de pragmatique et dans ces moments-là, ma famille, ma femme et mes enfants me ramènent souvent à l’essentiel, comme mes parents ont pu le faire eux-mêmes auparavant.
Notre milieu professionnel, comme tant d’autres, est constitué de belles personnes qui méritent d’être rencontrées et de mauvaises qu’il faut savoir éviter.

Sur le tournage de « Demain nous appartient » (septembre 2019) réalisé par David Lanzmann avec Maud Becker et Hector Langevin – production Telsete

As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?

J’ai le souvenir de deux tournages aux dispositifs compliqués.

Le premier était un clip de Lara Fabian réalisé par Gérard Pullicino, en fond vert 360 degré avec 11 tableaux différents enchaînés. L’artiste traversait les différentes époques de sa vie dans un seul mouvement. Ce fut un énorme barnum !

Le deuxième a été le tournage du spectacle Louboutin pour le Crazy Horse en stéréographie 3D, réalisé par Bruno Hullin, produit par Kabo. Il a fallu réadapter à l’échelle la petite scène du Crazy-Horse Paris sur un grand plateau. La stéréographie a été gérée par l’équipe de feu Alain Derobe.
J’ai reconstitué toutes les ambiances lumières du spectacle à l’échelle et géré toutes les vidéoprojections sur les corps. Ce fut une expérience géniale !

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Oui, depuis pas mal de temps, et je le fais très progressivement.
J’ai réalisé il y a longtemps une petite publicité très rigolote qui vantait les mérites d’un groupement de créatifs de pub qui voulaient encourager les projections de court-métrage à Paris…
Je réalise depuis 3 ans une petite série low-cost pour TF1 (« Petits Secrets Entre Famille et Voisins« ) et je viens d’achever la co-écriture d’un projet de documentaire façon « Chef’s Table » avec un très bon ami réalisateur, Martin Day.
La réalisation est pour moi le prolongement évident du métier que j’exerce depuis plus de 20 ans.

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Depuis que je suis directeur de la photographie, je n’ai jamais eu l’impression d’aller travailler. Je fais ce que je sais faire et rien d’autre. Je m’amuse autant qu’au début de ma carrière et autant que lorsque je recréais avec mon frère des scènes de films que nous venions de voir…
Bref, ce métier est tout ce que j’aime et c’est celui que je voulais faire depuis mon adolescence.
Ce que je déteste par dessus tout dans ce métier c’est les fins de tournage : c’est toujours très triste de quitter un projet…

Sur le tournage de « Crimes parfaits » réalisé par David Ferrier – production Salsa et FTV Studio

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef opérateur ?

En fait deux conseils :
– La route est longue et l’impatience ne mène nulle part: il faut rester soi-mème et kiffer ce que l’on fait.
– Le travail provoque les opportunités, et finit toujours par payer un jour.

Thierry Deschamp sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture : sur le tournage de « Demain nous appartient » – production Telsete