À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Malory Congoste.

Quand et comment t’es-tu intéressée à la prise de vues ?

Cela remonte à l’enfance. Je vivais dans une petite station balnéaire est le cinéma était au bout de la rue. Toutes mes vacances scolaires, je les passais à engloutir tout les films qui y étaient projetés: pas mal de blockbusters et de films « popcorn » des années 80. Je suis devenue une vraie fan de films de « monstres », et enfant, mon rêve était de travailler chez ILM pour y créer zombies, loups garous, vampires, aliens… Jusqu’à ce que je me fasse la réflexion suivante: « Le monstre qui me fait le plus peur est celui que je ne vois pas». À partir de là, j’ai souhaité devenir directrice de la photographie, afin d’être celle qui cache le monstre dans les ombres de l’image ou dans le hors champs de la caméra.
Car ce qui me plaisait c’était en réalité l’émotion générée par l’image.

Sur le tournage de « Le Somnambuliste » série réalisée par Jérémy Strohm (Centurion Films) – Mise en place d’une caméra subjective

Quels films t’ont particulièrement marquée visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

« Raging Bull », que j’ai eu la chance de découvrir adolescente en salle lors d’une rétrospective sur Martin Scorsese. Je n’avais jamais vu de combats de boxe filmés ainsi: le noir et blanc, les corps au ralenti et ce sang qui coule le long de la corde…. Je pense qu’à ce moment là, j’ai souhaité être celle qui était derrière la caméra pour capter ces images.

Le début d’ « Halloween: La Nuit des Masques » et sa prise de vue subjective, fut également une vraie révélation du pouvoir de la caméra.

Ensuite beaucoup de films mis en image par Philippe Rousselot ont marqué mon enfance et mon adolescence: « La Reine Margot »,« Et Au Milieu Coule Une Rivière », « Mary Reilly »…

Et bien sûr ou hélas : « La Maison du Diable » de Robert Wise, que j’ai découvert bien trop jeune, grâce ou à cause de l’émission La Dernière Séance. Je crains que l’ambiance terrifiante de cette maison qui prend vie m’ait marquée pour toujours.

« Ne nous soumets pas à la tentation » réalisé par Cheyenne Carron (Hesiode productions – Cheyenne Films)

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai étudié à l’ESRA Paris option Image. En parallèle de ma 3ème année, j’ai commencé à travailler comme électricienne. J’ai fait ce métier durant 3 années. Mais à l’époque le cursus électricienne puis directrice de la photographie n’était pas du tout la voie royale, j’ai donc cessé cette activité pour me former comme assistante OPV. J’ai alors vite rencontré le directeur de la photographie Antoine Marteau, dont je suis devenue la première assistante OPV.

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que cheffe opératrice ?

Durant toutes ces périodes de début de carrière, j’ai fait plusieurs court métrages comme directrice de la photographie, en parallèle de mon activité d’assistante. Puis en 2010-2011, Cheyenne Carron m’a proposé de travailler sur son long métrage, suite aux recommandations d’Antoine Marteau.
Peu de temps après ce film, j’ai totalement cessé l’activité d’assistante OPV, pour me consacrer au métier de directrice de la photographie.

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

Après ce premier long métrage, mon activité s’est vraiment diversifiée au travers des années avec toujours de la fiction mais également plusieurs clips, des publicités, des documentaires, du brand content.
J’ai eu l’opportunité de faire un second long métrage réalisé cette fois-ci par Cédric Prévost, que j’avais accompagné sur plusieurs de ses courts métrages.

Un peu par hasard, j’ai découvert les séries de formats courts tv et digitales, notamment grâce à Benjamin Busnel avec qui j’avais fait du clip. Il m’a embarqué dans l’univers décalé, créé avec ses 2 autres co-auteurs, de leur série « Le Département », qui a fini par sortir du digital pour être diffusée sur Canal Plus antenne.
Puis il y a eu la rencontre avec Jérémy Strohm autour du pilote d’une autre série digitale tout aussi décalée, « Le Somnambuliste », dont nous avons pu tourner la première saison l’an dernier pour arte.tv.

Mon meilleur projet, je pense que ce serait une saison 2 de cette série, « Le Somnambuliste », car j’ai pris énormément de plaisir dans cette aventure. Ou bien un des longs métrages en développement des réalisateurs et réalisatrices que je suis depuis des années, et qui j’en suis convaincue comportent tous les ingrédients que j’aime: une pointe d’humour, d’angoisse et beaucoup de folie.

« Le Somnanbuliste » série de Jérémy Strohm (Centurions Films)

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Tout dépend du projet. Nous vivons actuellement dans un monde tellement riche en images, que mes sources viennent de partout.
J’aime pouvoir bien préparer les films sur lesquels je travaille: je peux passer beaucoup de temps en recherche visuelle, que ce soit dans ma vidéothèque, sur internet, dans ma bibliothèque ou dans mes archives personnelles.
Photographies, peintures, clips vidéo, longs métrages d’hier et d’aujourd’hui, courts métrages, séries tv et digitales, publicités, images d’archives. Je passe tout en revue, jusqu’à trouver la bonne texture, les bonnes teintes, le bon format, le bon cadrage…

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Je pense à l’un de mes derniers projets. Ce n’est pas vraiment une gaffe, mais une erreur d’appréciation qui m’a fait réfléchir sur mon fonctionnement.

Le cahier des charges du client était très écrit et le dispositif technique déjà quasi rédigé. Avec le réalisateur, nous étions plutôt d’accord avec ce dispositif: tout à l’épaule, focales fixes et Easyrig, le tout au ralenti. L’équipe était vraiment très légère et je n’avais qu’un assistant et beaucoup de déplacements. J’allais donc pointer moi-même la majorité du temps.
Mais nous filmions des enfants et en apprenant leur très jeune âge, je me suis dit que j’aurais été plus confort avec un stabilisateur et une Alexa Mini car je me doutais que j’allais certainement filmer en continu.
Le budget étant serré et l’équipe limitée, je n’ai pas suivi mon instinct. Sur le tournage, nous avons rentré les plans, le client était content, mais j’ai passé la journée dans l’inconfort.
À la fin de la journée, j’ai évoqué mes regrets et cette autre configuration envisagée. Peut être qu’elle n’aurait pas fonctionné dans notre budget, mais j’aurai dû la proposer car une semaine plus tard, mon dos s’est bloqué. Rien de grave mais je m’étais fait mal.

Avoir le bon outil est essentiel pour la qualité et la performance de notre travail mais également pour la pérennité de notre capital physique. Savoir le proposer, voire l’imposer, est nécessaire.
Cela même si les contraintes financières nous mettent face à des choix kafkaïens.

« Love Bug » long-métrage de Cédric Prévost (Arts Premiers)

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

J’ai eu deux grosses périodes de doute. La première juste avant ma transition d’assistante à DOP, il y a plus de 10 ans.

J’avais pour projet de m’expatrier pour démarrer ma carrière de directrice de la photographie, car je craignais de ne pas pouvoir m’épanouir et trouver ma place auprès des productions de fictions françaises. J’avais à cœur de travailler sur des projets de films de genres, ou à l’univers décalé avec la « réalité ». Les propositions en France sur ce type de productions que ce soit en courts, en longs, ou en séries étaient proches du néant.
Je suis toutefois restée, en me disant que le changement pouvait arriver, car la France offrait un volume de productions très important par rapport à beaucoup d’autres pays européens.
J’ai fait des rencontres, je me suis ouverte à beaucoup d’autres univers, à d’autres projets visuels. Je me suis épanouie différemment. J’ai fait des projets auxquels je n’aurais jamais songé et vers lesquels je ne serais jamais allée de moi-même.

Toutefois ce sentiment est toujours un peu resté. Et il y a un an, la crise du COVID aidant, il est réapparu fortement.
La série « Le Somnanbuliste » est alors rentrée en production, coupant net mes doutes. Du coup j’ai préféré rentrer à l’Union, plutôt que de partir !

« Le Somnanbuliste » série de Jérémy Strohm (Centurions Films)

Ma réflexion actuelle est que notre secteur est en pleine mutation, ici, en France. Les lignes bougent. La diversité est demandée par beaucoup et à tous les niveaux. Je pense qu’une diversification des projets et des profils qui les réalisent serait réellement bénéfique et enrichissante pour notre industrie.
L’arrivée des plateformes remet en question beaucoup de choses et j’ai l’espoir que cela puisse remuer l’ordre établi dans le bon sens.
Si c’est le cas, je souhaite faire partie de cette mutation. On verra si l’avenir me donnera raison.

As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?

J’ai travaillé sur un projet architectural pour le National Cowgirl Museum de Fort Worth au Texas: Un système de projection immersive, intégré dans l’architecture musée.

Le show consiste en une arrivée de chevaux sur 9 écrans de projections HD, leur course démarrant du lointain jusqu’aux abords des écrans, à dire a une échelle 1:1. Pour ce faire, nous avons tourné en 8K avec la RED Helium S35, afin de pouvoir faire passer les chevaux d’un écran à l’autre. Chaque plan tourné correspondait à deux écrans projetés.

National Cowgirl Museum – concept de la projection

L’espace pour réaliser cette performance devait être assez vaste. Or à cette période, au Texas, aucun studio suffisamment grand n’était disponible pour accueillir notre tournage. Nous avons dû recréer un configuration studio fond noir dans l’enceinte du ranch: un borniolage massif, le changement de l’ensemble du sable au sol pour un mélange de compost plus sombre à l’image, et un tournage de nuit.
Le bâtiment ne permettait pas d’accroche lourde sur les structures et j’avais défini un espace uniquement éclairé en toplight en milieu de course. Nous avons donc mis en place 5 ballons hélium Airstar pour couvrir cet espace mais les points d’encrages ne devaient pas perturber la vision des chevaux durant leur course. Ce fut donc un peu plus délicat à mettre en place que ce que nous pensions!
Au final, quasiment 10 jours de préparations pour 5 prises du même plan car évidemment les chevaux se sont très vite lassés de notre petit manège. Les premières prises étaient les bonnes.

National Cowgirl Museum

C’était une superbe expérience, la production exécutive sur place était vraiment géniale et le travail avec le gaffer en amont et sur place a été très agréable. C’était pour le coup une configuration de tournage très confortable.

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Pas de moi-même. Mais j’ai malgré tout 2 projets en écriture.

Un court métrage, que j’ai écris il y a des années: suite à sa lecture une amie m’a poussé pour qu’on le co-réalise, tout en gardant mon poste à la lumière sur le projet.
Pour l’autre film, il s’agit d’un documentaire sur lequel je devais initialement être chef opératrice mais le sujet me touchant personnellement, le producteur m’a proposé d’en assurer la réalisation.

Pour le moment les deux projets sont repartis en écriture, faute de financement. Je ne sais pas s’ils verront le jour. Ce sont plus des projets personnels qui me tiennent à coeur qu’une réelle envie de passer à la réalisation.

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

Commençons par ce que j’aime:

– Pouvoir passer d’un tournage très léger ici à un autre à l’autre bout du monde, beaucoup plus lourd et totalement à l’opposé techniquement.

– Découvrir des univers que je n’aurais pas pu imaginer seule, en multipliant les rencontres.

– Accompagner avec justesse les réalisateurs et réalisatrices dans leur univers en trouvant la « bonne couleur » du film que nous faisons.

– Être toujours dans un renouvellement technologique et en évolution permanente.

Ce que je n’aime pas:

– Le manque de maîtrise de la qualité de diffusions de certains de mes projets dans le circuit digital. Les paramètres de diffusion sur le web et les plate-formes sont trop nombreux pour pouvoir actuellement solutionner cela. Et j’avoue être assez frustrée de cette réalité.
Mais je compte travailler sur le sujet au sein de l’Union.

– Être parfois mise dans une case à cause de mon genre. Le fait d’être une femme fait qu’on m’a parfois prêté, sans même avoir vu mon travail, un regard dit « féminin ». Un terme qui pour moi dans ce contexte est totalement incompréhensible: le regard d’une ou d’un chef.fe opérateur.trice n’est ni féminin, ni masculin. Il est personnel. Le genre ne devrait pas rentrer en ligne de compte car derrière ce terme de « regard féminin », se cache dangereusement autre chose:  le fait que certains sujets ne sont pas accessibles aux femmes dans notre métier. Or nous savons tous qu’un homme chef opérateur peut tout à fait mettre en image, voire sublimer la maternité, l’enfance ou des portraits de femmes. Tout autant, une femme cheffe opératrice saura mettre en image, voire sublimer un match de boxe, une course de voiture, une scène de guerre.
Le genre n’a rien à voir là-dedans: que l’on soit homme ou femme, c’est notre métier de savoir faire cela. Il me semble irrationnel de penser autrement. Mais sur ce sujet aussi, je suis optimiste et j’ai bon espoir que les esprits changent.

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant.e chef.fe opérateur.trice ?

De se nourrir constamment d’images, d’univers, d’ambiances, de pratiquer dès que cela est possible, en multipliant les rencontres.
Et de ne pas omettre de vraiment bien connaître tous les outils à sa disposition, pour savoir faire les bons choix technologiques sur chaque projet.

Malory Congoste sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture : « Le Somnanbuliste » série de Jérémy Strohm (Centurions Films)