À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Yann Gadaud.
Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?
Quand j’étais gamin avec mon grand-père, ma sœur et mes cousins, nous faisions des petits films l’été. Cela nous a beaucoup amusé pendant nos vacances. Puis j’ai commencé à me projeter les bobines Super-8 que mon grand-père avait filmées quand il était jeune. Le battement de l’image, la mauvaise fixité, le grain. J’ai découvert, à ce moment-là, la dimension magique du cinéma.
Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?
Je crois que la première fois que j’ai pris une claque c’est devant « La Porte du Paradis » de Michael Cimino. Évidemment. Tout est tellement grandiose dans ce film. Il y a une sorte de style décomplexé dans la photo de Vilmos Zsigmond qui a beaucoup plu à l’étudiant que j’étais. Beaucoup de diffusion, des plans très très démonstratifs avec les centaines de figurants, des entrées de lumières très marquées, des costumes et des paysages magnifiques. Ce film m’a vraiment fait voyager et je me suis dit que c’était ça le boulot du chef-op : faire voyager le spectateur dans un univers singulier.
Je me soigne, mais il est vrai que j’ai un fort penchant pour les films où la lumière se voit ! Où l’on joue avec…
“ Where Horses Go To Die ” long métrage de Antony Hickling
Quelle a été ta formation initiale ?
Je reformulerais bien la question « formation initiale » en « parcours initial ».
J’ai fait un BTS Image puis j’ai commencé ma « vraie » formation comme assistant caméra sur des films et des téléfilms. Parallèlement je faisais aussi l’électro et le machino sur des plateaux de télévision, car ma curiosité m’a toujours poussé à ne pas m’enfermer dans une case. J’ai donc travaillé à des postes et sur des types de tournages différents, et aussi réussi à trouver des chefs à l’aise avec ça.
Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?
J’ai commencé sur des projets courts et puis une année j’ai enchaîné un premier long métrage, puis une série documentaire comme chef-op.
Pour le long métrage « Kickback » je passais après des grands noms de l’AFC mais le réalisateur, Franck Phelizon, souhaitait sortir des sentiers battus en choisissant un jeune chef-op. Il y avait un gros casting et un peu de moyens et comme j’étais jeune et un peu fou j’ai dit banco direct, sans réfléchir. Il y a eu tellement d’aventures sur ce tournage ! J’y ai beaucoup appris sur mon métier et sur ce monde baroque du cinéma.
Pour la série documentaire, ce fut aussi une autre très belle rencontre. Alexis de Favitski m’a appelé pour l’aider à tourner une série documentaire scientifique pour Arte, sur la thématique de la tectonique des plaques (« La valse des continents »). Mon parcours dans la fiction l’intéressait car il voulait faire des plans à la grue, au steadicam, au drone, au cable-cam, au Ronin et des time-lapses des étoiles. Nous n’étions que deux, et on devait prendre une vingtaine de fois l’avion. J’ai eu le plaisir de constater qu’avec du matériel bien choisi et de la bidouille, on pouvait réussir à mettre en scène un plan « hollywoodien » à chaque séquence. Nous tournions dans des paysages à tomber par terre. Ces films m’ont donné le goût d’aller filmer des personnes et des histoires très loin de chez moi.
“ La Fève Tonka du Vénézuela ” d’Alexis de Favitski – production : Z.E.D
Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?
J’ai réussi à travailler sur beaucoup de projets très différents : fictions, docus, pubs, captations musicales.
Je finalise en ce moment deux projets de fiction : « Down in Paris » mon deuxième long-métrage avec Antony Hickling, produit par H&A Films, et « Kurt », un pilote de série où j’ai remplacé Christophe Larue (que je remercie), mobilisé sur un autre film. Ce pilote est réalisé par Gérard Guerieri et produit par Injam.
“ A Kurt Story ” de Gérard Guerrieri – production : Injam
Rétrospectivement, je me rends compte que j’ai une inclination particulière à travailler pour des réalisateurs de fiction qui ont des univers très marqués, baroques, bizarres et atypiques. J’aime travailler avec des réalisateurs qui s’attachent particulièrement au travail de l’image et en comprennent les problématiques. Ils sont plus enclins à faire des choix esthétiques forts et remarquables.
Quant à mon prochain projet idéal, j’adorerais retourner dans les paysages que j’ai découvert pendant « La valses des continents » pour y tourner un film d’aventure. Les grands espaces, la jungle, le désert. Ces décors sont très inspirants.
Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?
Le cinéma forcément, la peinture impressionniste mais aussi les courts-métrages.
Je passe beaucoup de temps à préparer les films. Je suis beaucoup d’artistes, de photographes, de DOP, de scénographes sur Instagram. Je m’inspire de toutes les images glanées au cours de mes recherches pour confectionner un carnet d’intentions à chaque nouveau projet, ce qui me permet souvent de trouver la bonne idée pour une séquence.
Je suis attentif au travail de Roger Deakins, surtout ses scènes non-naturalistes. Je prendrais pour exemple la scène de l’arrivée du soldat dans le village en ruine dans le film 1917. Le personnage progresse dans un paysage complètement désolé et n’est éclairé que par des fusées de détresse qui dansent dans le ciel. Est-ce vraiment crédible de tirer des fusées de détresse à ce moment-là de l’histoire ? Qui les tire ? On s’en fiche un peu mais cela crée un jeu d’ombres et de lumières totalement magique. L’audace et l’épure de ce genre de dispositif m’inspirent énormément.
“ The Gypsy woman told my mother ” de Yannick Panarotto – production : Hokum Factory
Je suis aussi admiratif du travail de Jean-Paul Rappenau sur le rythme et le tempo qu’il essaie d’imprimer dans ses films. Cela ne se résume pas qu’à une histoire de montage : c’est aussi un travail minutieux sur le blocking des acteurs, le cadrage et le découpage des séquences.
Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?
Le réalisateur de « Kickback » me donne à lire le scénario de son film et je l’appelle juste après la lecture pour lui donner mon sentiment et lui faire quelques remarques. Là, il me dit qu’il passe dans un tunnel et qu’il me rappelle juste après. Il ne m’a jamais rappelé.
Je peux dire encore merci à ma copine qui m’a poussé à remballer ma fierté et faire des pieds et des mains pour retrouver la confiance de ce réalisateur et finalement faire son film. Dorénavant je suis extrêmement prudent au moment de faire les premiers retours sur un scénario. Je le lis plusieurs fois, je me rédige trois ou quatre pages de notes. Je prends bien soin de relever les choses positives en premier lieu puis je fais quelques suggestions. Je me réserve ensuite le droit de transmettre ou non ces notes au réalisateur.
As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?
Oui comme tout le monde surtout quand je ne travaille pas. Mais j’en profite pour me perfectionner sur Da Vinci Resolve.
“ The Abbetors ” clip d’Aurus feat Sandra Nkaké réalisé par Laurent Aspesborro – production : La Patate Sauvage
As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?
Oui : un plan que nous avons installé avec Alexis de Favitski lors d’un tournage documentaire sur la récolte de la fève Tonka dans la jungle vénézuélienne.
Nous avions presque fini notre journée, il nous restait encore 2 heures de marche sous une chaleur étouffante avec le matos sur le dos. Mais nous avons décidé d’installer un cable-cam entre deux arbres et y avons accroché un Ronin. L’idée était de rassembler en un plan toutes les étapes du ramassage et de l’écossage de la sarrapia, le fruit de la fève Tonka. Tous les ouvriers se sont enthousiasmés à l’idée de faire un vrai plan de cinéma et je crois qu’il ne nous a fallu que deux prises pour le rentrer. Ce fut un moment magique car malgré la durée du plan, tout était parfait. Le cadre, les « comédiens », la lumière de fin de journée. Il y avait quelque chose de fort et d’unique à faire du cinéma au cœur de la forêt amazonienne avec ces ouvriers.
As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?
Je me demande constamment où s’arrête le travail du chef-opérateur et où commence celui du réalisateur. Cette limite n’est vraiment pas la même selon les réalisateurs, j’essaie donc de l’évaluer à chaque nouvelle rencontre pour déterminer mon espace de liberté. Du choix du découpage au choix des décors, des costumes, ou encore des horaires de tournage : il y a tellement de paramètres qui impactent l’esthétique de l’image.
De manière générale, si ce que l’on filme est naturellement beau et juste pour l’histoire, cela rend le travail de la lumière, du cadre et de l’étalonnage beaucoup plus simple. Pour le chef-op, tout l’enjeu est alors de faire prendre au réalisateur, lors la préparation, les bonnes décisions.
Sinon je co-écris en ce moment un court-métrage avec Laurent Aspesberro. C’est très long mais très enrichissant et c’est aussi la promesse d’un beau voyage : l’histoire se passe sur l’île de la Réunion.
“ Un Coup pour Rien ” court métrage de Matthieu Morandeau
Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?
C’est vraiment le seul métier qui peut te faire faire 6000Km en avion, 2 jours de pirogue, et 10 heures de marche pour aller filmer des huîtres fossilisées au milieu de la jungle, alors qu’une semaine plus tard tu te retrouves sur un plateau à filmer une modèle ukrainienne pour vendre des shampoings. Ce métier nous permet aussi de rencontrer des gens que l’on n’aurait jamais croisé autrement, et de rentrer très vite dans leur vie.
Par contre, je n’aime pas quand le téléphone ne sonne plus : je commence alors à gamberger sur le sens de ce métier, même si je sais qu’il faut être patient et s’enthousiasmer pour chaque projet que l’on nous propose.
Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?
Il faut s’y mettre tôt ! Car le chemin peut être très très long…
Il n’y a pas de petits projets. Je suis aussi programmateur pour un festival de courts-métrages, je visionne donc une centaine de courts-métrages par an et constate qu’il y a beaucoup de talents dans notre pays. Mais sachez que la compétition est très rude, donc assurez-vous de trouver des projets et des réalisateurs qui vous permettent de mettre la barre très haut. C’est souvent plus une question de parti-pris que de moyens !
Yann Gadaud sur le site de l’Union des chefs-opérateurs
> Image de couverture : “ The Gypsy woman told my mother ” de Yannick Panarotto – production : Hokum Factory
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