À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Marion Boutin.

Quand et comment t’es-tu intéressée à la prise de vue ?

Mon tout premier contact avec la prise de vue date d’un « forum d’orientation » au collège.
Plusieurs lycéens étaient venus nous parler des options et spécialités de leurs établissements respectifs. Je ressentais comme une pression énorme l’injonction à me projeter dans une voie, un choix de métier qui semblait devoir définir ma vie entière lorsque rien n’éveillait particulièrement mon intérêt. Jusqu’à ce que je croise les étudiants de cinéma-audiovisuel : tout à coup j’ai senti comme un appel d’air, une ouverture, la proposition de quelque chose de différent.
Je n’avais évidemment aucune idée de là où je posais les pieds et de jusqu’où cela m’emmènerait…

Quels films t’ont particulièrement marquée visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

En fait c’est plutôt l’inverse. C’est la pratique de tournage qui m’a poussée à m’intéresser à la photo des films. Mon éveil à l’image étant indiscutablement lié à mes études, le premier souvenir fort qui me revient est la découverte du Cabinet du Docteur Caligari. Je serais peut-être assez déçue en le revoyant, mais j’avais alors été fascinée par les décors peints, complètement tordus, et le personnage de César avec son maquillage contrasté, les yeux très noirs et la peau très blanche.

C’est amusant, en en parlant je m’aperçois que mes premières envies d’images reposent plus sur une esthétique globale très forte que sur un travail spécifique de directeur photo : je mentionne le décor et le maquillage avant de parler lumière et cadre !

Quelle a été ta formation initiale ?

J’ai terminé ma formation par Louis Lumière en option cinéma. Avant cela une troisième année de Licence cinéma, avant encore un BTS image, et encore avant une première année de Deug Archive et image (oui je sais le côté « archive » est un peu étonnant, cela a dû me servir une fois pour frimer dans une conversation – et pourquoi pas – mais il y avait des cours d’histoire du cinéma et de la peinture qui ont façonné mon œil et mes envies d’images).

Avec à l’origine bien sûr, cette fameuse option audiovisuelle au lycée, pour laquelle j’ai dû me battre car à l’époque la filière scientifique que j’ai suivie n’était pas jugée compatible avec des études de cinéma.
Beaucoup d’études au final, mais très complémentaires.

« Surplus Moto »  pub de Grégoire Louge  – production Hipolito Studio

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opératrice ?

J’ai fait mes premières armes en sortie d’école sur des fictions courtes, souvent auto-produites, avec peu de moyens et des horaires impossibles (mais bon, j’avais 25 ans et je portais manda et drapeaux sur mon dos dans le métro – depuis j’ai vieilli, j’ai découvert les notes de frais et le taxi…). C’était souvent épuisant, parfois frustrant, mais surtout très formateur de ne rien lâcher sur mon exigence à fournir des images de qualité, malgré le manque de moyens et les conditions difficiles. C’est une période où j’ai beaucoup progressé.

Mon premier vrai poste de chef-opératrice (pour autant qu’un vrai poste se définisse par une fiche de paie à la clef) je le dois à la rencontre avec le réalisateur Frédéric Massot et son chef-opérateur Philippe Brault. J’ai assisté ce dernier à la caméra sur un court-métrage du premier. Tous deux m’ont immédiatement accordé leur confiance, au point de me proposer de remplacer Philippe sur les films de Frédéric lorsqu’il n’était pas disponible. C’est avec eux que j’ai réellement appris le travail de l’image documentaire. Philippe, ancien Reporter de guerre, a l’habitude de travailler uniquement en focales fixes. Une méthode rigoureuse et exigeante que j’ai reprise à mon compte, non sans avoir beaucoup transpiré au démarrage !

« Borders – contrasting realities » Long-métrage de Ken Mc Mullen  – production Scape London

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

Mon parcours de chef-opératrice est assez éclectique. Beaucoup de courts-métrages, mais aussi du clip et de la pub. Ces dernières années, j’ai souvent collaboré avec des agences de communication sur des contenus de brand content. Je retrouve un vrai plaisir dans la simplicité des rapports et l’enthousiasme des équipes sur ce type de projet. J’ai également poursuivi mon travail sur des documentaires et, depuis trois ans j’accompagne des jeunes réalisateurs sur leurs premiers films dans le cadre d’une formation portée par l’association DEFI production.

Le projet idéal ? J’ai bien envie de retourner vers la fiction, la lumière me manque. Et tant qu’à faire, un film de genre, histoire de s’amuser un peu sur des thèmes non-réalistes.

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

Je me régale toujours quand je croise un film avec une vraie recherche sur la composition du cadre. Mon dernier coup de cœur a été Ida de Pawel Pawlikowski, mais j’ai aussi une grande fascination pour l’univers de Wes Anderson. Je ne pensais pas qu’il pouvait exister quelqu’un de plus rigide que moi, c’est un vrai plaisir à chaque plan.
De manière plus générale je trouve qu’il y a beaucoup de choses intéressantes chez les cinéastes coréens : une très belle attention au cadre, une douceur de la lumière, une élégance dans l’usage des couleurs…
Et en peinture, mon cœur se tourne définitivement vers l’âge d’or des Hollandais, même si je suis complètement frustrée : jamais je n’arriverais à retranscrire avec autant de fidélité la sensation de froid du soleil jaune de février.

« La grande ourse » court métrage de Kevan Stevens – production Koala

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Il y a bien cette fameuse fois où je pensais avoir lancé l’enregistrement et où ce n’était pas le cas : doigt engourdi par le froid, neige et buée partout sur la housse de pluie bricolée à la hâte qui retombait sur mon écran sur lequel je n’avais de toute façon pas affiché l’indication de REC…

Résultats : une dizaine de minute de « rushs inversés » au moins aussi passionnantes que des photos de fond de poche et parmi lesquels ne figurait bien entendu absolument pas LA SEULE IMAGE demandée par le client, à savoir l’arrivée de la course de ski (ce qui au final nous a différencié de manière assez originale de toutes les autres équipes présentes sur place qui, elles, ont réussi à filmer cette image).

C’était complètement mortifiant, d’autant plus que j’étais loin d’être une débutante, mais comme me l’a pédagogiquement rappelé la productrice, ce fut l’occasion de me remettre en mémoire la rigueur nécessaire au tournage de chaque plan.

« Varuo » clip de Jethro Massey – Autoproduction

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

Souvent. Dès que je sors de ma zone de confort en fait. Si l’on me propose un type de projet qui n’est pas dans mes habitudes, quand je rencontre un nouveau réalisateur… Je dois à chaque fois regagner ma propre confiance, il m’arrive parfois même de calculer depuis combien d’années je travaille l’image pour m’assurer de ma légitimité en tant que chef-opératrice.

Mais j’apprends petit à petit à ne pas accorder plus d’importance qu’ils n’en méritent à ces moments de doutes. S’il est salutaire de se remettre en cause, cela ne doit pas empêcher de croire en soi et d’avancer. D’autant plus que j’ai souvent été accueillie avec beaucoup de confiance et de bienveillance.

« Comme un jour de printemps » court métrage de Jean-Marc Le Bars –  production Théorème

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

J’ai toujours été attirée par la réalisation, mais sans chercher à en faire mon métier. J’aime trop l’image et comme il est déjà difficile de gagner ma vie en tant que chef-opératrice, j’essaye de ne pas disperser mon énergie.

Ce qui ne m’empêche pas de développer mes projets sur mes temps libres. Sans compter les films d’école sur lesquels nous jetterons un voile pudique, j’ai réalisé deux court-métrages autoproduits : Préface à l’interlude carnassier, une fable poétique et cruelle qui décrit la journée de Tristesse et de Colère et Déjeuner du Matin, adaptation sans parole du poème de Jacques Prévert.
J’aime bien cette forme de projet qui offre une grande liberté d’expérimentation, mais qui a malheureusement ses limites.
J’ai en développement un film d’animation Les Décentrés, produit cette fois-ci, que je co-réalise avec Damien Pelletier, graphiste et animateur. Il s’agit d’une dystopie autour d’un personnage qui refuse de quitter son lit. Nous portons le projet depuis quelques années déjà et avons bon espoir de le voir aboutir bientôt.

Curieusement (ou pas) plus j’avance dans la réalisation plus l’envie me vient facilement de confier l’image à d’autres chef-opérateurs. Même si la discussion autour de la lumière et du cadre reste forcément très technique, c’est aussi agréable de se reposer sur le savoir-faire des autres pour se concentrer sur la mise en scène.

« Les décentrés »  projet de court métrage de Marion Boutin et Damien Pelletier – production Les Valseurs

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

J’aime regarder les gens et restituer leur beauté à travers mon regard. Je ne parle pas de la beauté physique mais de la lumière intérieure de chacun. J’aime quand un cadre prend naturellement sa place, quand je sens que la position de caméra est juste, presque intuitivement. J’aime quand, après une journée de travail, je continue à percevoir d’où vient la lumière, comment elle se reflète et habille la pièce. J’aime quand mon œil travaille à percevoir le monde simplement et naturellement.

Je n’aime pas…  Les faux-semblants. Les relations qui semblent amicales en surface alors que nous marchons tous sur un fil en attente du moindre faux pas de l’autre. Les luttes de pouvoir et d’influences quand nous devrions tous travailler ensemble au service d’une œuvre. Le manque de respect, la hiérarchie… En fait je crois que je n’aime pas tout ce qui dans le milieu se rattache au monde du travail, mais je crois que c’est irrémédiable. J’ai parfois, assez naïvement, envie de plus de sincérité, de simplicité dans les fonctionnements professionnels…

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur/trice ?

Confiance, il y a plusieurs chemins possibles…

Marion Boutin sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture : « Comme un jour de printemps » court métrage de Jean-Marc Le Bars –  production Théorème