À travers une collection de portraits questions/réponses, l’Union présente les membres de l’association. Aujourd’hui, Kevin Avedissian.

Quand et comment t’es-tu intéressé à la prise de vue ?

À 18 ans. J’ai été intrigué par l’objet, un Nikon FE2, qui appartenait à mon père. Il ne s’en servait plus. Je lui ai emprunté et j’ai fini par le garder. J’ai fait mes premières armes en développant, scannant et tirant numériquement.
J’ai ensuite acheté un petit bridge numérique avec lequel j’ai mis en image un village d’Iran pour un livre édité par mon père, les mémoires de mon arrière grand-père. J’ai pris beaucoup de plaisir en réalisant ces clichés qui servaient, pour la première fois de ma vie, un récit.

Sur le tournage du film “Les Vagues” réalisé par Jeanne Dantoine

Quels films t’ont particulièrement marqué visuellement, au point de t’intéresser spécifiquement au travail de l’image ?

À 19 ans, j’ai été marqué par les films de Stanley Kubrick. 2001: A Space Odyssey a été un choc. Son rythme, son esthétique et son scénario. J’ai cherché à m’informer pour comprendre les ressorts de la fabrication, souvent sophistiquée, des films de Kubrick : cadrages originaux, éclairage à la bougie, focales radicales, zooms de grande amplitude, constructions monumentales, etc. Je découvrais le métier de chef-opérateur.

Quelle a été ta formation initiale ?

Mon entourage de l’époque n’ayant aucun lien avec le cinéma, je ne savais pas trop comment me former. Après quelques tâtonnements je suis allé à l’ESRA Paris où j’ai rencontré des professeurs et étudiants formidables. Je travaille encore fréquemment avec certains d’entre eux. J’en garde un très bon souvenir même si c’était un peu l’usine et très cher !
Ma promo a été la dernière à tourner en argentique. La numérisation des images était d’une qualité médiocre mais cette expérience a été précieuse.

Infinix Mobile, pub TV réalisée par Pascal Dash

Quand et dans quel contexte as-tu commencé à travailler en tant que chef-opérateur ?

Dès ma sortie de l’ESRA, j’ai fait des films de mode et de fiction en tant que chef-opérateur, notamment avec la réalisatrice Emma d’Hoeraene, rencontrée à l’école.
En parallèle, j’ai effectué des stages chez des loueurs et ai travaillé comme assistant caméra sur deux longs métrages et quelques publicités. Les bancs d’essais sont d’excellents lieux de rencontre pour un aspirant assistant caméra.
C’est difficile de faire comprendre à une prod que l’on est un jour assistant et l’autre chef alors j’ai du faire un choix. Difficile aussi pour eux de confier la responsabilité de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’euros, à un jeune de 25-30 ans mais certains l’ont fait.

Sur quels types de films as-tu travaillé et quel serait le meilleur prochain projet ?

Le succès de ces premiers films m’a conduit à tourner des films publicitaires et digitaux pour des marques prestigieuses telles que Cartier, Louis Vuitton, Kérastase, Lacoste, etc.
En parallèle, j’ai fait et je continue à faire de la fiction, principalement des courts métrages, et des clips musicaux. Cette pluralité est très enrichissante.
Le meilleur prochain projet serait une fiction longue.

“Pony Girl” réalisé par Enguerrand Jouvin

Quelles sont tes sources d’inspiration artistiques ?

À 6 ans, je regardais Le Grand Bleu en boucle. Je l’ai vu des dizaines de fois. Je mettais mes chaussettes au bout de mes pieds et nageais sur l’océan du tapis de mon salon. J’aime toujours autant les films de fiction qui sont d’immenses sources d’inspiration.
Je regarde beaucoup de photos. Notamment le travail de rue de Garry Winogrand, Joel Meyerowitz, Harry Gruyaert et d’autres. J’aime aussi les clichés plus minutieux d’artistes comme Guy Bourdin, Miles Aldridge, Irving Penn ou Gregory Crewdson. Je montre fréquemment des photos et extraits de films aux réalisateurs et réalisatrices avec qui je travaille.
J’ai adoré le parallèle qu’a fait Eric Gautier, dans une émission sur France Culture, entre le travail de l’image et l’improvisation en jazz. Ça m’a encouragé à me faire d’avantage confiance et laisser de la place à l’imprévu.
Depuis mon enfance, je suis fasciné par la mer. Récemment, la description par Henry de Monfreid d’un clair de lune qui dévoile par intermittence l’obscurité et les dangers d’une nuit en mer, dans sa trilogie de la mer Rouge, m’a beaucoup inspiré. J’ai incité un ami réalisateur à tourner un court métrage sur un voilier le mois prochain. J’ai hâte !

Te souviens-tu de gaffes regrettables, mais instructives au final ?

Bien sûr, un bon nombre. Elles ont toutes été instructives. Je me souviens de mon 35mm Leica Summicron-R qui dégringole du toit d’un camion sur lequel on était monté pour un plan en hauteur (plus de peur que de mal), d’un disque dur pas copié en double qui crash, d’une valise mal fermée qui se déverse de son contenu. Même quand ce n’est pas moi qui commet l’erreur je me sens responsable au sein de l’équipe. On peut tous faire des bourdes. On se les raconte, ça nous marque et on ne les refait pas. J’aime que l’on grandisse ensemble avec les personnes avec qui je travaille.

As-tu connu des moments de doute sur ton travail ou ton milieu professionnel ?

Les deux premières années ont été compliquées. J’avais peu de travail rémunéré et de longues périodes d’inactivité. Au début, je facturais. C’est seulement quand je suis devenu intermittent que j’ai enfin pu respirer et ne plus angoisser pour quelques semaines sans contrat.
Les premières fois sont géniales mais assez stressantes. Le premier éclairage de fond vert, de voiture, de nuit, de nuit américaine, de packshot et j’en passe. C’est compliqué de dire que tu ne l’as jamais fait parce que tout le monde va se demander si tu en es capable. J’ai souvent fait croire que je savais déjà faire… Aujourd’hui on me fait davantage confiance.

Sur le tournage d’une pub Citroën réalisée par Guillaume Palmantier

As-tu souvenir de la mise en place d’un dispositif de prise de vues particulièrement original ?

J’ai des choses un peu spectaculaires qui me viennent en tête, des accroches marrantes et des bricolages excentriques mais ce n’est pas si original. L’expérience qui m’a certainement le plus marqué récemment c’est le tournage de séquences dialoguées d’un pilote de série réalisé par Enguerrand Jouvin. Des séquences de plusieurs minutes tournées sans conventionnel champ / contre champ, parfois en une seule prise avec des pano rapides entre les comédiennes, parfois nombreuses. Je cadrais et devais être particulièrement attentif aux dialogues. J’étais sceptique au départ mais ai fini par me fier aux choix d’Enguerrand. Je trouve le résultat superbe.

As-tu déjà souhaité passer à la réalisation ?

Au tout début, oui, quand je ne connaissais pas le métier de chef-opérateur. Depuis, non. J’adore les rencontres et les dialogues que je peux avoir avec les réalisateur-ices. J’ai de l’inspiration dans le rôle qui est le mien et n’ai pas le sentiment que ce serait le cas si je devais réaliser un film. Mais il ne faut jamais dire jamais…

“Les Païens” réalisé par Tristan Feres

Qu’est-ce que tu aimes et qu’est-ce que tu n’aimes pas dans ton métier ?

J’aime beaucoup ce métier parce qu’il concilie art et technique, comme l’architecture. Cette rencontre est féconde. Elle créé des objets qui ont de la personnalité. Je vois l’image comme un métier d’artisanat qui cultive la singularité. Comme d’autres, je préfère généralement une optique ou une lumière qui a des défauts parce que je peux les voir comme des qualités.
Trouver le moyen qui nous semble le plus adéquat pour mettre un film en image c’est poser une équation aux solutions multiples. Avec un même scénario, deux équipes ne feront jamais le même film. C’est précieux !
Et le travail d’équipe c’est aussi ce que j’adore dans ce métier. Les rencontres et les moments de grâce : à la fin d’une prise, d’un tournage, quand on a tout donné, que les regards se croisent, heureux d’avoir fait le maximum pour produire un film de qualité. Le résultat n’est pas toujours satisfaisant mais on aura essayé.
Ce que j’aime moins, ce sont les contraintes liées à l’argent et aux délais. Elles nous stimulent parfois mais peuvent aussi nuire à la qualité voire nous mettre en danger.

Quel conseil donnerais-tu à un aspirant chef-opérateur ?

Un professeur m’a dit un jour : « Si tu veux faire une belle image, filme quelque chose de beau ». L’idée n’est pas qu’il faut systématiquement mettre quelque chose de beau devant la caméra, mais plutôt quelque chose d’approprié.
Dans la mesure du possible, il faut lutter contre le « faute de mieux » et tout donner pour avoir le décor, le casting, les costumes, le maquillage, la coiffure appropriée parce que ces éléments sont essentiels pour le film et son image. « Faute de mieux » nous pouvons modeler la réalité mais nos pouvoirs magiques ont leurs limites. Nous pouvons trouver des astuces : filmer dans un axe particulier, ne pas éclairer telle partie… mais il vaut mieux éviter de se tirer une balle dans le pied. C’est la raison pour laquelle la préparation me semble être un moment vraiment crucial.

Kevin Avedissian sur le site de l’Union des chefs-opérateurs

> Image de couverture : “Hic Sunt Dracones” réalisé par Basile Lomet