Accidents en série sur les trajets entre domiciles et plateaux aux États-Unis – Présentation, par Maxence Muller – Suivie d’un point sur la situation française, par Olivier Bertrand.
Une lettre sur le sujet des horaires de travail pratiqués sur les plateaux américains, signée par quatorze directeurs de la photographie de l’ASC a été publiée à l’attention de l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers). Elle nous invite à nous poser la question de l’évolution de nos propres amplitudes horaires.
La situation Française est bien sûr différente et il serait faux de penser qu’on peut parler des situations française et américaine de la même façon, mais nous sommes tous régulièrement confrontés à des heures de travail déraisonnables, dangereuses pour la santé et nuisibles pour la qualité du résultat de notre travail.
C’est pourquoi il nous semble important de relayer cette lettre, traduite en français, pour que le dialogue qui commence aux États-Unis puisse potentiellement trouver un écho sur notre territoire.
« Nous sommes des Directeurs de la Photographie du Local 600 qui souhaitons écrire pour exprimer notre inquiétude croissante au sujet des dangers liés aux heures de travail, une pratique qui perdure malgré l’évidence médicales des dégâts causés par l’épuisement. Les plus évidents sont les nombreux accidents de voiture que nos collègues ont subis au cours des dernières années, cela même pendant le week-end qui a vu commencer les négociations.
L’année dernière à démontré que quand les employeurs et les techniciens travaillent ensemble pour affronter un problème mondial, il est possible de protéger les gens sur les plateaux tout en bouclant avec succès les projets même les plus ambitieux. Il est largement temps d’utiliser cette même intelligence et ces même ressources, qui ont maintenant fait leurs preuves, pour augmenter les temps de repos journaliers, et implémenter des pauses le week-end pour assurer la santé mentale et physique de chaque membre de l’équipe. Le moment de créer un changement durable est venu ».
La lettre est signée par les directeurs de la photographie suivants, une liste qui comprend certains des plus prestigieux membres de l’ASC :
John Toll, Roger Deakins, Emmanuel “Chivo” Lubezki, Erik Messerschmidt, John Lindley, Paul Cameron, Jim Denault, Ellen Kuras, Donald A. Morgan, Rodrigo Prieto, Eric Steelberg, Amy Vincent, Mandy Walker, Robert Yeoman.
Pour plus d’informations et la lettre en version originale, voici l’article source sur le site deadline.com.
Pour ce qui est de la situation sur les plateaux français, les sources manquent pour rendre compte d’une augmentation du nombre d’accidents de la route comparable à ce qui se passe aux États-Unis. Par ailleurs, les conventions collectives régissant nos conditions de travail (Convention Collective Nationale de la Production Cinématographique et de la Publicité, voir ici ; Convention Collective de la Production Audiovisuelle, voir ici ) proposent nombre de garanties – qui n’ont pas cours de l’autre côté de l’Atlantique – contre les horaires excessifs, ceci par l’établissement d’un barème de majorations assez dissuasif : majorations des heures supplémentaires, qui vont en augmentant (50% à partir de la 9ième heure, 100% à partir de la 11ième) ; majoration dite de « journée continue » (salaire journalier augmenté de 50% du taux horaire si on dépasse 6h30 travaillées sans pause) ; majoration dite des « heures anticipées » (1 heure sup due à chaque fois qu’on entame d’une heure les 11 heures minimum entre la fin de journée et la reprise du lendemain) ; comptage des heures de préparation comme des heures de rangement, voire des heures de transport ; majorations des samedis travaillés (+25%), des dimanches travaillés (+50%), des jours fériés (+100%), etc.
Autant de règles augmentant les salaires, autant de gardes-fou qui préservent les équipes techniques – dont les chefs ops – d’horaires excessifs. Du moins, en principe.
Car dans la réalité, l’ignorance est grandissante, pour la plus grande part des techniciens, des détails des conventions collectives, ignorance entretenue par un discours général qui depuis des décennies discrédite systématiquement toute action syndicale, au profit d’une idéologie de la concurrence de tous contre tous, et ignorance à laquelle quasiment aucune école ni formation ne pallie (par exemple, en proposant quelques heures de cours consacrées aux conditions sociales dans lesquelles s’exercent nos métiers). D’autre part, nombre de productions s’arrangent avec ces clauses, qui résultent pourtant de décennies de négociations entre les syndicats de notre secteur d’activité.
S’arrangent, et nous arrangent, selon différents modes, dont voici quelques modalités (liste non exhaustive) :
- Proposer parfois des tarifs revus à la baisse. Ceci, d’abord en refusant systématiquement de tenir compte de l’inflation par une réévaluation annuelle des tarifs syndicaux (ainsi, en audiovisuel, les tarifs n’ont pas été réévalués depuis… 2004 – ce qui implique une baisse des salaires réels, en valeur absolue, de -15 à -20%). Contre cet état de faits, il n’y a guère que l’action collective pour se faire entendre au cours de prochaines renégociations. Hélas, force est de reconnaître que nous autres, techniciens du spectacle enregistré, et encore plus nous autres chefs ops, sommes trop peu nombreux à être syndiqués (ce qui diminue d’autant la force de frappe de nos syndicats représentatifs, le SNTPCT et le SPIAC-CGT), ni même concernés par la seule notion d’action collective – entre chefs ops, mais aussi, entre les différents échelons d’une même équipe.
- Tenir pour acquis que les équipes acceptent sans broncher de voir les 39 heures d’une même semaine réparties selon des horaires irréguliers – par exemple, une journée de 10h de plateau le mardi, « compensée » par une journée de 6 heures le jeudi – ceci afin de ne pas payer les heures supplémentaires à leur tarif, mais au tarif des heures simples. Ce qui était une tolérance rarement usitée il y a quelques années se voit systématisé, et imposé à l’assistant réal dans la fabrication de son plan de travail.
- Proposer des tarifs forfaitaires (parfois au rabais par rapport à un certain corpus d’heures, parfois un peu majorés, mais en exigeant du technicien concerné de ne plus chercher à se faire payer aucune heure sup, combien même celles-ci tomberaient par dizaines). Là aussi, les prods tentent de négocier au cas par cas, et souvent avec des traitements différents selon les interlocuteurs et les postes… Il serait alors souhaitable que tous les membres de l’équipe technique jouent entre eux la transparence, pour présenter un front uni à la production… Pas évident pour le chef-op, pour qui c’est se mettre en danger, non seulement auprès d’un employeur éventuellement régulier, mais aussi et surtout, auprès du réalisateur, qui pourra lui reprocher de ne pas lui accorder de souplesse sur son propre temps de travail.
- Ces différentes stratégies se cumulent souvent sur les tournages dits fauchés, à l’arrache, tels que « pubs pour le web », « clips pour Youtube », et longs-métrage-à-moins-de-un-million-d’euros, « hors-convention » donc.
À propos de « tournage pour le web », il faut noter l’abus fait de la grille de salaire dite « non-spécialisée » de la convention de l’audiovisuel, laquelle établit, entre autres joyeusetés, que s’appliquent, pour un tournage « pour le web », des niveaux de salaires inférieurs de 20% environ aux tarifs de la grille en usage pour les tournages de fictions télé – TVFilms, ou séries.
Pourquoi cette minoration, contre laquelle s’est battu et se bat encore un de nos syndicats (le SNTPCT) mais pas l’autre (le SPIAC-CGT, lequel a ratifié la convention) ? La convention, dans sa première mouture, remonte à 2004. En ce temps-là, « tourner pour le web » signifiait souvent se débrouiller avec une PD100 et un réflo, soit, tourner avec des moyens techniques réduits, et un niveau de compétence supposé inférieur. Mais depuis, via les plateformes, nous tournons tous « pour le web » avec des moyens techniques (et donc des niveaux de compétence) équivalents à ceux du TVFilm ou du long-métrage – et des compétences que l’on pourrait considérer comme supérieures, étant donné qu’on attend de nous un niveau de qualité égal pour un ratio minutes-utiles/jour-de-tournage plus élevé.
Dans ce cas, proposer une rémunération inférieure au prétexte que « c’est pour le web » relève de plus en plus de l’arrogance totale, et du mépris envers nos compétences, et – pour revenir au sujet – envers nos amplitudes horaires, tous corps de métiers confondus (et encore plus pour la régie, premiers arrivés, derniers repartis).
Au final, si on ne constate pas (pas encore ?) d’augmentation du nombre d’accidentés de la route dans nos rangs, une étude reste à faire, qui recenserait burn-outs, impacts de tous ordres sur la vie privée, et autres conséquences d’horaires en élargissement constant, sous une pression sans cesse accrue. Un sujet pour une prochaine réunion-discussion de l’Union ? À n’en pas douter.
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