Pour un emploi saisonnier, Léa prend ses fonctions de caissière dans une grande enseigne de supermarché. Dans un décor vide et aseptisé, la violence du travail se confond avec celle du monde d’aujourd’hui.
Entretien par e-mail avec Pascale Marin, membre de l’Union et chef-opératrice du film de Sarah Arnold.
Comment s’est fait le choix du S16 ?
Le film est le 4ème court métrage de Sarah Arnold, ses deux premiers étaient tournés en argentique, le 3ème en numérique et elle voulait revenir à l’argentique pour celui-ci. J’étais absolument d’accord. Nous souhaitions prendre le contrepied d’un décor très épuré, quasi clinique, en filmant avec un support très organique. C’était une façon de prendre le parti des caissières, d’être du côté de la vie, le grain du super 16 mettant en valeur la diversité de leurs visages et de leurs carnations.
Sur un plan pratique, le surcoût du tournage en argentique a été financé par la coproduction suisse, nous avons donc travaillé avec Cinegrell Zurich qui est à la fois un loueur de matériel et un laboratoire. Ce qui s’est avéré plutôt pratique au moment des essais caméra.
J’ai pris la 7219 à 400 ISO, sans traitement particulier sur le négatif.
Le décor du film est stylisé juste ce qu’il faut, presque schématique. Quelles ont été tes remarques ou recommandations sur la conception du mobilier de jeu ?
« L’Effort Commercial » est une commande en réponse à un appel à films : « Femmes Actives ». Aline Crétinoir, qui est à l’origine du scénario, avait 18 ans quand elle a écrit cette histoire très réaliste, basée sur sa propre expérience. Quand Sarah a été choisie pour réaliser le film, elle a tout mis en œuvre pour échapper à ce réalisme. Elle a notamment décidé de supprimer les clients, les produits et de transposer le supermarché en studio afin de ne conserver que l’essentiel de ce qu’elle souhaitait filmer : des femmes exploitées.
Sarah a conçu l’aspect des caisses avec Eva Medin qui est créditée comme cheffe déco mais qui est avant tout artiste plasticienne. À l’idéal nous racontions un hypermarché avec une vingtaine de caisses, en réalité nous avions les moyens d’en fabriquer cinq. J’ai donc proposé de tricher la position de Léa notre personnage principal selon les axes de façon à ce qu’on ait toujours l’impression qu’il y a d’autres caisses devant et derrière elle. Nous avons aussi précisément placé les caisses pour que la perspective dans le cadre soit la plus intéressante possible. Les choix de Sarah avec Valentine Solé la costumière étaient très réfléchis : le mauve des blouses devait être une couleur « infantilisante », « féminine », le orange de leur foulard une touche de « gaité pour le client ». Sarah et moi avons donc choisi les couleurs du décor du supermarché en harmonie avec les couleurs des costumes. Il fallait que la charte graphique de Store +, le supermarché fictif que nous inventions, soit cohérente.
À quel moment ce grand fond blanc se révèle un avantage ? Et à quel moment peut-il devenir un inconvénient ?
Le fond blanc se révèle un avantage car il aide à la stylisation. Un inconvénient car il n’est pas toujours facile de gérer le contraste, surtout que notre plateau n’était pas si grand, nous étions donc souvent relativement proches du cyclo. Le choix du ratio 1:1.37 s’est fait avant d’avoir le décor, nous aimions le rapport de distance qu’il créait quand nous faisions des portraits des caissières sans aller jusqu’au gros plan. Il s’est avéré un atout car il nous permettait de ne pas « sortir des limites » de notre décor parfois exigu.
Qu’est-ce qui a guidé ton choix de teintes pour la séquence « nuit » (ou rêve) ?
Sarah m’avait envoyé une photo de référence qui ressemblait au visuel ci-dessous: des poules dans un grand local sombre, éclairées d’un côté par une source de couleur violette, de l’autre de couleur ambre.
J’ai donc essayé de coller à cette atmosphère à la fois chaude et froide, complètement anti-naturelle.
Avec Guillaume Chaumet, mon chef électro nous avions sélectionné le « surprise pink » chez Lee Filters qui est plus violet que rose pour éclairer les caissières. Et nous avons refroidi les 18×4 TheLight (sorte de sunstrips led) qui éclairaient le cyclo au maximum pour avoir ce bleu sur le fond.
Je voulais une lumière très étale mais sur cyclo blanc je savais que je devrais à peine éclairer, d’où le choix de ne pas prendre des ambiances tungstène car une fois dimmées elles auraient eu une colorimétrie trop chaude.
Le film est par certains côtés assez chorégraphié (j’ai pensé très très lointainement à Hal Hartley), dans un univers à la fois conceptuel et terriblement réaliste, ce qui rend la fin du film d’autant plus bouleversante. Le scénario est écrit pour que l’effet sur le spectateur soit optimal, passant de la satire à la parabole sociale, comment as-tu accompagné à l’image cette intention ?
Sarah a fait intervenir une chorégraphe en amont pour travailler la gestuelle des caissières qui miment le scan des produits inexistants. Dans ces moments là nous étions au maximum de déréalisation. Le retour à la réalité se fait par étapes, il y a tout d’abord le sang, dans sa quantité, dans sa texture, et dans la façon de filmer la tache au sol, nous voulions que cela tranche absolument avec ce qui avait été montré précédemment. Mon expérience sur des films « gore » m’a appris l’importance des nuances de rouge et leur impact sur le spectateur. Pour ce plan précis de la tache de sang au sol, j’ai utilisé un filtre polarisant afin de régler précisément son degré de réflexion. Ensuite, la question du retour à la réalité s’est posée quand nous avons dû choisir le décor des toilettes. Nous aurions pu les styliser, comme le décor du supermarché, mais nous avons opté pour des toilettes réelles, tout en restant dans les teintes grises de la salle de repos, et en faisant un rappel, quand la porte s’ouvre, du blanc de l’espace des caisses. Enfin les deux derniers plans du film, le couloir et le parking, sont tournés dans un supermarché réel, achevant le retour au réel brut. Pour l’anecdote, le sticker « Suis-je au top pour le client ? » dans le couloir du supermarché n’a pas été rajouté par la déco, il était déjà là !
L’Effort Commercial
Réalisation : Sarah Arnold
Production : Sensito Films, 5A7 Films, Twosa Films
1ère assistante caméra : Charlotte Michel
Chef électricien : Guillaume Chaumet
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