
Deux étudiants de la promotion 2024 du département Image de la Fémis ont accepté de faire une restitution publique de leurs recherches pendant le Festival.
— Loin des yeux, près du cœur – Distance et intimité à l’image de Sarah Ackerer
En quoi une image qui maintient une distance physique par rapport aux personnages peut-elle générer un sentiment d’intimité ?
— Recherches sur la fabrication alternative et open source d’images spectaculaires dans une économie réduite de Sofiane Houir-Alami
Lors de sa soutenance, Sarah, étudiante en image, a présenté une réflexion approfondie sur la relation entre proximité et intimité à l’écran. Son travail s’interroge sur l’évidence apparente selon laquelle une caméra physiquement proche d’un personnage créerait une proximité émotionnelle avec le spectateur.
Elle constate que de nombreux films, en particulier dans le cinéma français contemporain, adoptent cette approche en recourant abondamment aux gros plans sur les visages et aux arrière-plans flous pour focaliser l’attention sur l’expression des personnages. Mais en revisitant ses propres expériences de spectatrice, elle s’est aperçue que certaines des œuvres qui l’avaient le plus marquée, notamment dans le cinéma asiatique, fonctionnaient différemment.
La distance comme outil d’intimité
Sarah démontre que l’intimité ne dépend pas nécessairement d’une caméra intrusive. Le cinéma de Yasujiro Ozu, Hirokazu Kore-eda ou encore de certains réalisateurs taïwanais et hongkongais adopte un autre regard : des plans plus larges, une composition qui intègre pleinement l’environnement du personnage, et parfois même un cadrage qui le laisse hors champ. Cette distance respectueuse permet au spectateur d’interagir avec le film sans que tout lui soit démontré explicitement.
Elle illustre son propos avec Paris, Texas de Wim Wenders, dans lequel la séquence du peep-show met en scène une distance physique et visuelle entre les personnages, reflétant une émotion d’autant plus forte qu’elle est retenue. Un autre exemple marquant est celui de Amanda de Michael Hers, où une scène de retrouvailles utilise le hors-champ et une mise en scène éloignée pour accentuer l’émotion du moment. L’image s’efface pour laisser place à l’imagination du spectateur, un effet souvent plus puissant que l’exposition frontale des sentiments.
Les codes du cinéma de la pudeur
Sarah définit ainsi les caractéristiques d’un « cinéma de la pudeur » :
- Plans larges qui intègrent le personnage dans son environnement.
- Usage du hors-champ pour laisser exister le non-dit.
- Plans fixes où les personnages entrent et sortent du cadre sans que la caméra ne les suive.
- Jeux de lumière et de sous-exposition pour dissimuler les expressions.
- Durée des plans qui invite à une immersion dans le temps du personnage.
En contrepoint, elle cite la citation du réalisateur Ingmar Bergman : « Trop de gens de théâtre oublient que notre travail commence avec le visage humain. La possibilité de s’approcher du visage humain est sans aucun doute l’originalité première et la qualité distinctive du cinéma. » Une idée que Sarah remet en question, préférant l’approche d’Alice Rohrwacher qui critique la prédominance d’un cinéma centré sur l’identification aux protagonistes.
Filmer le spectacle sans budget
La soutenance se poursuit avec l’intervention de Sofiane Houir-Alami qui s’intéresse à la question de la fabrication d’images spectaculaires avec peu de moyens. Il partage son expérience de tournage dans un contexte DIY, inspiré par la culture punk et le do it yourself.
Il met en avant plusieurs stratégies pour compenser le manque de budget :
- Démultiplier les éléments visuels : jouer sur les reflets, utiliser des miroirs, des vitres, multiplier la figuration.
- Exploiter les mouvements de caméra : utiliser des stabilisateurs abordables pour créer des effets de travelling fluides, s’inspirer de techniques comme celles de Children of Men qui utilise des rails suspendus pour filmer à l’intérieur d’une voiture.
- Illuminer avec intelligence : remplacer les projecteurs coûteux par des bandeaux LED programmables, souvent détournés d’usages domestiques.
- Utiliser des optiques anciennes : exploiter les défauts des objectifs vintage pour styliser l’image à moindre coût.
- Travailler la couleur en post-production : s’appuyer sur des LUTs et des outils open-source pour transformer des images numériques et leur donner un rendu proche de la pellicule.
Conclusion : un cinéma de la contrainte comme moteur de créativité
Ces deux présentations offrent une approche complémentaire du cinéma. D’un côté, une réflexion sur l’intimité et la distance, qui déconstruit l’idée que la proximité physique est une nécessité émotionnelle. De l’autre, une volonté de fabriquer des images impressionnantes avec des moyens réduits, en s’appropriant des outils technologiques de manière détournée.
Cette dualité rappelle que le cinéma est un art de la contrainte, et que c’est souvent en contournant les règles que naissent les images les plus marquantes. La question demeure : jusqu’à quel point l’évolution des technologies et des modes de diffusion, notamment sur les écrans mobiles, modifiera-t-elle notre perception de l’intimité et du spectaculaire au cinéma ?
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Image de Une: « Tokyo Story » de Yasujiro Ozu – 1953
Disponible en 4K sur YouTube
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