Thomas Favel, membre de l’Union, était chef opérateur sur “Retour à Séoul”, un film ovationné en Sélection Officielle « Un Certain Regard » au Festival de Cannes.
Il est maintenant à l’affiche dans une centaine de salles en France.
Depuis le Texas où il tourne un autre film, habitué à travailler à l’étranger, Thomas nous détaille ses méthodes de travail.
– C’est ton troisième long-métrage avec Davy Chou, un réalisateur franco-cambodgien plusieurs fois primé en festivals. Vous avez tourné cette fois majoritairement en Corée du Sud. Comment as-tu préparé ce tournage ?
C’est difficile de relater toute la préparation mais on peut dégager au moins une chronologie :
– Début 2020 : toutes premières lectures du scénario.
– Printemps 2021 : réunions avec Davy et Vincent Villa, le sound designer (et très proche collaborateur, nous nous connaissons depuis “Le Sommeil d’Or”).
– Juin-Juillet 2021: essais préparatoires, au cours desquels on a déterminé quelle caméra utiliser.
– Août 2021: 14 jours de quarantaine en Corée, avec réunions régulières avec Yannig Willmann pour préparer l’étalonnage en amont, ainsi que travail régulier avec Davy sur le découpage.
Puis repérages, et découpage après validation des décors.
C’était un film français tourné en Corée du Sud, donc nous avons plutôt importé notre façon de tourner.
En Corée, d’après ce que le producteur exécutif local me confiait, la répartition des tâches est différente: il y a un chef op lumière et un chef op caméra. J’aurais été le chef op caméra, mais je n’étais pas enchanté par cette répartition des tâches. J’ai donc préféré travailler à nouveau avec Bertrand Prévot en tant que chef électricien, que je connais bien et dont j’apprécie le travail, et que Davy connaît bien aussi puisqu’il a fait « Diamond Island » (de Davy Chou – 2016). Je savais qu’il allait très bien s’intégrer à l’équipe coréenne.
Nous avons fait une prépa ensemble à distance, pour qu’il s’imprègne du film et qu’on définisse les principes d’éclairage ensemble, scène par scène, avant qu’il arrive sur place.
– Tu es réputé pour tes prépas méticuleuses. Or, Philippe Rousselot AFC, ASC affirme qu’une bonne partie de la prépa est remise en cause dès qu’un tournage commence. Que le film dicte alors lui-même ses règles esthétiques. Qu’en penses-tu, de façon générale mais surtout sur ce film particulier ?
Je ne savais pas que j’étais réputé pour mes prépas 🙂
Sur ce film, on a préparé l’étalonnage et l’image globalement (le traitement de la couleur, les hauteurs de caméra, les valeurs de cadre). Bref, on a essayé de comprendre comment Davy avait envie de s’approcher des visages par rapport à ses références, on visualisait très clairement dans quelle atmosphère, quelle ambiance et vers quelle approche émotionnelle on pouvait aller.
Ce genre de prépa pourrait donner l’impression de limiter la part d’improvisation au tournage, mais en réalité cela n’a pas du tout été une limitation, bien au contraire. Davy étant très concentré sur son actrice, qui n’était pas professionnelle, il pouvait aller droit au but, droit vers l’émotion de son film sans jamais s’inquiéter de l’image qu’il allait obtenir parce qu’il savait que l’image serait très proche de l’idée qu’il s’en était faite, ou de l’émotion qu’il recherchait.
Pour moi, comme en jazz, c’est la prépa qui permet l’improvisation.
Ceci dit, c’est sûr qu’on aime qu’un film nous échappe.
Un comédien ne se comportera jamais comme on l’a imaginé, et c’est ce qui fait la beauté du cinéma.
Même chez Benoît Forgeard, qui storyboarde tout, il y a des moments de débordements. J’imagine qu’il devait en être de même chez Hitchcock.
En ce qui concerne la lumière, elle ne tombera jamais comme on l’a pensé, et c’est pour cette raison que je ne fais pas de plans d’éclairage, à part lorsqu’il y a des effets spéciaux.
Je préfère regarder la première mise en place, voir comment les corps des comédiens vont se déplacer dans le décor, et comment ce décor va déjà nous offrir des possibilités de lumière. Même si évidemment on aura déjà beaucoup anticipé en prépa: où se trouve la fenêtre, quelles lumières ont été prévues par la déco, etc.
– Comment résumerais-tu la direction artistique des images de ce film, en termes de lumières, de cadres et de mouvements ?
C’est un tentative de mélange entre un cinéma contemplatif asiatique et le cinéma américain type Safdie ou Fincher. Au début de la prépa c’était un questionnement que Davy n’arrivait pas à trancher: tout au pied et en travellings contemplatifs, ou tout à l’épaule en longue focale type Safdie? En balance, il y avait aussi la maestria des découpages des films de Fincher (cf. « Social Network » qui nous a beaucoup influencés).
– Comment cadrais-tu les dialogues en coréen, sans forcément en comprendre toutes les subtilités ?
Je connaissais les dialogues par coeur et je suis habitué à tourner dans des langues que je ne comprends pas. J’aime cela en fait, je trouve qu’on est plus attentif au langage corporel. Et en général même lorsque je ne comprends pas les mots je ressens si une prise est bonne ou non, c’est une alchimie avec le comédien qui ne passe pas forcément que par les mots.
– Avez-vous tout tourné en décors réels, ou avez-vous panaché avec du studio ?
Nous avons tourné uniquement en décors naturels, mais il y a eu un travail de déco important sur certains décors, comme la guesthouse par exemple.
– Quel était ton package lumière de prédilection sur ce tournage ?
Nous avons utilisé beaucoup d’Astera Titan qui sont très pratiques dans les petits espaces et qui permettent de moduler la lumière en fonction de l’action et des mouvements.
– Ton capteur ? Tes optiques ? Tes presets caméra ? Pour quelles raisons ?
Capteur de l’Alexa en 3,2K, Prores 4444 et Arriraw opengate, optiques Primos standard
Nous voulions créer des LUTs spécifiques, mais l’étalonneur était en vacances et on a commencé à tourner avec de vieilles LUTs que j’ai beaucoup utilisées (je les avais fabriquées pour d’autres films), et finalement ça fonctionnait bien. C’est que je les connais, elles sont adaptées à mon goût.
– En quoi ont consisté tes principaux apports lors de l’étalonnage ?
Le film est divisé en trois parties, chaque partie définissant une certaine forme d’identité du personnage par rapport à sa situation ou sa crise d’identité quand elle arrive en Corée. Ce sont 3 étapes vers la maturité de ce personnage.
La première partie est particulièrement centrée sur le fait que c’est une jeune femme française qui arrive en Corée. On explore sa quête d’identité qui entre parfois en conflit avec un univers coréen très coloré et très exotique. A travers sa recherche des racines de sa propre famille, elle cherche à s’intégrer à son environnement tout en constatant une opposition des valeurs. Dans l’étalonnage on a cherché dans cette première partie à montrer à quel point elle essaie de s’identifier à une jeunesse coréenne, tout en se découvrant fondamentalement opposée aux valeurs très traditionnelles de la famille de son père.
Dans la 2e partie, c’est une femme qui a plus de maturité, qui s’intègre bien à son environnement. Elle s’est créé son propre univers. Il reste toutefois une certaine violence, notamment lorsqu’elle est confrontée au côté sombre et étrange de sa mère. Mais elle cherche à être aimée par les gens, et acceptée par un environnement dans lequel elle s’identifie culturellement.
La 3e partie dépeint un autre stade de maturité: elle est à présent en phase avec une certaine forme d’identité coréenne. Mais le fait que sa mère n’entre pas en contact avec elle reste un point d’achoppement. Elle s’efforce de rester « adulte » face à cette situation.
L’étalonnage sur l’ensemble du film essaie de montrer les différentes couleurs de sa vie et des particularités de cette évolution.
Le traitement de la couleur, des ambiances et des environnements, était principalement là pour soutenir l’état émotionnel du personnage.
« Diamond Island » était axé sur la contemplation et un certain émerveillement face aux images et aux environnements, alors que « Retour en Corée » fait vibrer les émotions du personnage et permet au spectateur de rentrer en forte empathie avec ses émotions et ses troubles.
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