Profitant de l’annonce d’une masterclass de Vittorio Storaro ASC, AIC concernant son travail avec le réalisateur Bernardo Bertolucci, la société Arri Rental a souhaité revenir sur une icône indépassable de la marque allemande : L’ArriFlex 765, une caméra paradoxalement arrivée trop tard et trop tôt dans l’histoire du cinéma.

Création

Intervenant pour Arri Rental, l’excellent Sasha Mieke nous présente la genèse de la 765. Le besoin d’une caméra grand format mais compacte se fait ressentir dès les années 70. Les influences de la nouvelle vague française puis du nouvel Hollywood bouleversent les codes de la réalisation. Il s’agit de quitter le studio, de tourner de manière légère avec du son direct mais en conservant la qualité inégalable du grand format.

Un bureau d’étude est donc fondé à Vienne (Autriche) à partir de 1983. Regroupant une dizaine d’ingénieurs et de techniciens, l’équipe décide de partir de zéro et à force de prototypes, une première version de la caméra est présentée en 1987. 10 caméras assemblées à la main sortiront au final des ateliers d’Arri. D’une extrême modernité, les recherches effectuées pendant le prototypage serviront aux futures générations des caméras de la marque dont la 535 (1990), la 435 (1995) et les futures Arricam LT et Studio (2000).

Caractéristiques

D’un point de vue technique, la caméra utilise donc le format 65mm 5 perf avec un défilement vertical de la pellicule moins encombrant que le format Imax à défilement horizontal sur 15 perf. La taille de la fenêtre d’impression est 52,5 x 23mm correspondant à un ratio de 2,2:1. Elle est équipée d’un obturateur variable (de 180° à 15°) et peut filmer de 12 fps à 100fps.

La 765 possède une visée reflex et est accompagnée d’une série d’optiques Hasselblad recarrossées pour les besoins du cinéma. Il est à noter une monture très spécifique : la Maxi PL (64mm de diamètre / tirage de 73,5mm). Les focales s’étendent du 30mm au 350mm et ouvrent entre 2,1 et 4,2 , le 110mm étant considéré comme la focale normale dans ce format.

La caméra “compacte“ d’Arri mesure tout de même 57cm de long pour une largeur de 37cm et une hauteur de 40cm. Son poids sans optique ni accessoire est de 32kg avec un magasin de 150m (un magasin de 300m existant également). Elle est autoblimpée et donc relativement silencieuse avec un bruit n’excédant pas les 25dB à 24fps.

Filmographie

Très rapidement, la caméra séduit le monde de la publicité. En 1989, le réalisateur et directeur de la photo Siegfrield Steiner en utilise plusieurs pour des campagnes pour BMW. L’aspect compact de la caméra permettant des accroches facilitées. Le cinéma s’empare également de la 765 notamment Ron Howard pour “Far And Away » (1992) ou encore Kenneth Branagh pour “Hamlet“ (1996).

Mais c’est le film “Little Buddha“ de Bernardo Bertolucci qui marquera les esprits. Tournée en 92 en Inde, l’image de Storaro est magnifiée par la qualité du 65mm. Il s’agit d’un test immense pour les techniciens Arri accompagnant les quatre caméras à travers le sous-continent. Le matériel souffre, de nombreux rapports techniques voyagent entre l’Inde et les ateliers Arri. Le film sort en 1993 et sera un succès critique et public. La même année, Arri, le chef designer Otto Blaschek et son équipe seront récompensés par un « Scientific and Engineering Award » par l’ « Academy of Motion Picture Arts and Sciences » pour leur travail sur l’ArriFlex 765. Mais l’arrivée sur le marché du Super 35 permettant l’utilisation d’une plus grande surface de la pellicule met un frein à un 65mm déjà très cher à utiliser.

Les années 2000 signent le retour du 65mm et ce malgré l’émergence de la prise de vue numérique. Les blockbusters comme « Sunshine » de Danny Boyle (2007) ou « Gravity » d’Alfonso Cuarón (2013) sont en quête d’une grande définition pour leurs effets et ont les moyens de s’offrir l’excellence. De nombreuses superproductions suivront telles que le dernier James Bond « No Time To Die » de Cary Joji Fukunaga (2021). Les amoureux de la pellicule que sont Quentin Tarantino ou Christopher Nolan embrassent le grand format pour leurs nouvelles productions. Profitant du meilleur des deux mondes, le tournage se fait en 65mm et la postproduction en numérique, grâce à la qualité des scanners récents. Et même si le phénomène est plus rare, le cinéma d’auteur plus modeste s’empare du 65mm pour « filmer l’intime » sur le tournage de « The Death & Life Of John F. Donovan » de Xavier Dolan (2018).

Pellicule

Qui dit caméra 65mm, dit forcément pellicule !

Kodak, représenté lors du séminaire par Holger Schärzel, est revenu sur l’apport historique et esthétique de la pellicule. Les dernières générations des films Kodak, technologie Vision 3, se déclinent en 65mm selon les 4 sensibilités traditionnelles: 50D, 250D, 200T et 500T. Vantant les intérêts du tournage en pellicule notamment une plus grande rigueur sur le plateau, Holger Schärzel s’exclame: « It’s a choice for a cinematographer! ».

Andrew Oren du laboratoire américain Fotokem intervient depuis Los Angeles pour évoquer la post production autour du grand format via un scan en 8K du 65mm (à 3 images par seconde!) aussi bien pour les VFX que pour la restauration ou la remasterisation. Et pour réconforter les amoureux de la projection, il cite un certain nombre de salles dans le monde permettant encore la projection 70mm.

Le paradoxe

Sur les 10 exemplaires d’ArriFlex 765 fabriqués, seuls 7 restent en état de fonctionnement et de l’aveu même du personnel de chez Arri, il n’en fabriqueront plus d’autres.

C’est là le paradoxe de cette caméra exceptionnelle. Malgré toutes ses qualités, la 765 est arrivée à contretemps de l’histoire. Trop tard pour les grandes heures du grand format des années 60 et 70, heurtée par les coûts induits (location, pellicule, labo) et rapidement concurrencée par l’arrivée du Super 35 puis du numérique. Trop tôt pour profiter du nouvel engouement pour la qualité du 65mm, notamment grâce à la numérisation 4K/8K de la pellicule.

L’ArriFlex 765 est toujours disponible à la location chez Arri Rental!

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ENGLISH VERSION
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Benefiting from the announcement of a Vittorio Storaro ASC, AIC masterclass regarding his work with director Bernardo Bertolucci, the Arri Rental company wanted to take a look back at an unsurpassable icon of the german brand : the ArriFlex 765, a camera paradoxically arrived too late and too early in the cinema history.

Creation

Stakeholder for Arri Rental, the excellent Sasha Mieke presents the 765 genesis. The need for a large format but compact camera is felt from the 70s. The influences issued from the French new wave and then from the New Hollywood disrupt the codes of directing. It is about leaving studios, shooting lightly with direct sound and maintaining the large format unmatched quality.

A design office was therefore founded in Vienna (Austria) from 1983. Bringing together a dozen engineers and technicians, the team decided to start from scratch and by dint of prototypes, a first version of the camera was presented in 1987. Ultimately, 10 cameras assembled manually will come out of the Arri workshops. Extremely modern, the carried researches during prototyping will find use to the future generations of the brand’s cameras, such as the 535 (1990), the 435 (1995) and to future Arricam LT and Studio (2000).

Characteristics

From a technical point of view, the camera thus uses the 65mm 5 perf format with a vertical scrolling film, less bulky than the Imax format with horizontal scrolling on 15 perf. The print window size measures 52,5 x 23mm for a 2,2:1 ratio. It is fitted with a variable shutter (from 180° to 15°) and can shoot from 12 fps to 100 fps.

The 765 offers a reflex sight and comes with a Hasselblad optics series rehoused for cinema needs. It is worth mentioning a very specific mount : the Maxi PL (64mm diameter / 73.5mm flange distance). The focal lengths range from 30mm to 350mm open between 2.1 and 4.2, the 110mm being considered the normal focal length in this format.

Arri’s “compact” camera is nonetheless 57cm long, 37cm wide and 40cm high. Its weight without optics or accessories is 32kg with a 150m magazine (a 300m one also exists). It is self blimped and therefore relatively silent, the noise not exceeding 25dB at 24fps.

Filmography

In no time, the camera seduced the world of commercials. In 1989, director and cinematographer Siegfrield Steiner used several of them for BMW campaigns. The camera’s compact aspect allows easy rigging. The cinema also takes hold of the 765, especially Ron Howard for “Far and Away” (1992) or Kenneth Branagh for “Hamlet” (1996).

However, it is Bernardo Bertolucci’s “Little Buddha” that will make an impression. Shot in 92 in India, Storaro’s cinematography is magnified by the 65mm’s quality. It is a huge test for Arri caregiver technicians accompanying the four cameras across the subcontinent. The gear suffers, many technical reports travel between India and the Arri workshops. The movie is released in 1993 and is a critic and public success. On the same year, Arri, chief designer Otto Blaschek and his team will receive the “Scientific and Engineering Award” by the Academy of Motion Picture Arts and Sciences for their work on the ArriFlex 765. But the advent of Super 35 on the market allowing the use of a larger surface on film holds back the 65mm, already very expensive to employ.

The 65mm makes its comeback in the 2000’s, despite digital cinematography’s emergence. Blockbusters such as “Sunshine” by Danny Boyle (2007) or “Gravity” by Alfonso Cuarón (2013) are looking for a great resolution for their effects and can afford the excellence. Many big production movies will follow such as the latest James Bond “No Time To Die” by Cary Joji Fukunaga (2021). Film lovers Quentin Tarantino and Christopher Nolan embrace large format for their new productions. Taking advantage of the best of both worlds, it is shot in 65mm with digital post-production, thanks to today’s scanners quality. Although the phenomenon is uncommon, more modest film d’auteur gets hold of 65mm to “record the intimate” on the set of « The Death & Life Of John F. Donovan » by Xavier Dolan (2018).

Film

Who says 65mm camera, necessarily says film !

Kodak, represented at the seminar by Holger Schärzel, came back on celluloid’s historical and aesthetic contribution. Latest Kodak films generation, Vision 3 technology are available in 65mm according to the four traditional sensitivities : 50D, 250D, 200T and 500T. Praising film shooting advantages, especially greater thoroughness on set, Holger Schärzel enthuses : « It’s a choice for a cinematographer! ».

Andrew Oren from the American laboratory Fotokem participates from Los Angeles to bring up post production around the large format via an 65mm 8K scan (3 frames per second!), for VFX and for restoration and remastering as well. To support projection lovers, he mentions a few cinema theaters still providing 70mm screening.

The paradox

Out of the 10 ArriFlex 765 units manufactured, only 7 remain in working condition and from Arri’s staff’s confession, they will no longer manufacture them.

Here is the paradox of this outstanding camera. Despite all its qualities, the 765 showed up at the wrong time in history. Too late for the large format heyday in the 60’s and 70’s, struck by induced costs (rental, film, lab), soon after challenged by the Super 35 arrival, and then by digital. Too early to take advantage of the new craze for 65mm quality, especially thanks to 4K/8K film scan.

The ArriFlex 765 is still available at Arri Rental !

 

> Crédits photo credits : Arri Rental, Camerimage