Souvent, le cinéma latino-américain fait appel aux éléments magiques et métaphoriques pour parler de sa réalité complexe. C’est le cas du documentaire mexicain « 499 » réalisé par Rodrigo Reyes et mis en image par Alejandro Mejía, AMC. Ce dernier a reçu le prix de la meilleure photographie au festival de Tribeca et plus récemment la grenouille d’or au Energa Camerimage dans la catégorie Docudrama.

Le film confronte deux mondes d’une façon peu conventionnelle : le fantôme d’un soldat appartenant à l’armée espagnole ayant débarqué sur le sol mexicain de Veracruz il y a 499 ans se retrouvant propulsé dans notre présent. Comme dans un road movie, le conquistador traverse de nouveau la route qu’il a parcourue il y a cinq siècles sous les ordres d’Hernán Cortés, de la côte atlantique jusqu’à la capitale. Au cours de son périple, ce soldat anonyme rencontre et écoute les habitants de ce territoire et région par région il découvre ce que la Nouvelle Espagne est devenue.

On peut dire que ces libertés sont le propre de la fiction, mais dans ce documentaire bouleversant, le fantôme du conquistador vient juxtaposer le passé sanglant du pays à un présent bien réel et incarné par les témoignages de nos contemporains. La violence intrinsèque à la Conquista paraît ne pas vouloir disparaître malgré le cours du temps. Aujourd’hui, comme il y a 499 ans, le pays compte ses mort.e.s et disparu.e.s par milliers.

J’ai eu l’occasion de converser avec Alejandro Mejía, AMC sur son extraordinaire travail à l’image.

– Comment avez-vous construit l’univers visuel du film ?

Alejandro : « 499 » a été un pari expérimental pour toute l’équipe. Le film illustre une rencontre complètement surréaliste : un voyageur dans le temps, avec des costumes du XVIe siècle en plein 2019. On courrait le risque de devenir une farce, de provoquer des rires. La manière la plus efficace de donner un ton sérieux et légitime à l’histoire était par biais de l’image.

Nous avons donc décidé de créer une sorte de « dogma » tout le long du film : caméra stable, le plus souvent possible sur trépied, en utilisant exclusivement de la lumière naturelle et en format anamorphique.
Je n’aime pas trop me baser pas sur les références précises de tel ou tel film, nos seules références visuelles ont donc été les peintures de Goya et les fresques des muralistes mexicains qui montrent des scènes de la Conquista. 

Il était clair que l’image devait être la plus juste possible, nous y avons apporté le plus grand soin. Il fallait être sensible à la poésie que nous donnait l’espace et les personnages. J’ai voyagé avec tous mes sens en alerte.

Un des plus grands défis était de tourner avec la lumière naturelle : au Mexique la lumière n’est pas facile à gérer. Nous avons tourné en mai et à cette période de l’année la lumière avance plus rapidement, c’est plutôt une lumière dure et blanche. Donc même si nous n’avons pas eu le temps de faire des repérages, je savais qu’il fallait prévoir ces conditions, j’ai donc décidé de préparer à l’avance une LUT pour mieux gérer les hautes lumières et le contraste. En résumé, il faut tirer parti des limitants, des imprévus.

 

– Parle nous de ton parcours. En quoi ton expérience a t’elle influencé ta manière de travailler ?

J’ai commencé par la photographie argentique en noir et blanc, j’ai eu la chance d’avoir eu comme mentor Graciela Iturbide, son travail et celui des photographes comme Manuel Álvarez Bravo m’ont toujours influencé.  J’ai passé beaucoup de temps à étudier leur façon de photographier le Mexique et ses paysages ; mon travail comme photograph m’a ouvert la voie vers le cinéma, même si je ne suis pas allé à l’école de cinéma, j’étais persuadé que je voulais devenir chef opérateur.

L’intuition a joué un rôle déterminant pendant le tournage de « 499 ».  Au Mexique tout est imprévisible, il faut avoir une ouverture d’esprit, être prêt à s’adapter au meilleur comme au pire. Pendant le tournage, par exemple, il nous arrivait, alors que nous nous rendions sur le lieu de tournage, de trouver, au milieu de nulle part, un paysage magnifique, une lumière unique, ou un champ de maïs inondé de brouillard. On s’arrêtait, le comédien mettait rapidement ses costumes et on tournait. Au contraire, il est arrivé aussi, alors que la lumière du crépuscule était magnifique, de devoir partir précipitamment parce que la zone devenait dangereuse.

 

– Dans le film, le personnage du soldat rencontre des mères des victimes, des migrants, des « sicarios » (tueurs), des personnes au vécu très fort. Comment as-tu vécu cette expérience ?

Ça a été une expérience émotionnelle et physique épuisante. Nous avons voyagé pendant 6 semaines, nous avons rencontré plusieurs personnes avec des histoires extrêmement dures, elles et ils se sont confiés à nous. L’empathie et le respect ont été la clé de tout le processus.
Pour ne pas empiéter sur leur intimité, nous avons fait le choix d’être minimalistes quant au matériel. Aucun éclairage artificiel. Pour le témoignage final, le plus bouleversant du film, nous avons tourné dans une chambre d’hôtel à Mexico, les murs étaient blancs et la seule source de lumière venait des fenêtres. C’était un véritable défi que de lui donner une ambiance la plus cinématographique possible, vu la force émotionnelle de la séquence, il fallait que l’image soit cohérente. En ajustant l’ouverture partielle des rideaux nous avons créé une atmosphère plus sombre, plus contrastée.  Pour le plan final de cette séquence, j’ai mis une bonnette macro sur une focale grand angulaire, ainsi le fond se déforme et devient flou, le point demeurant sur le regard décomposé du conquistador.

Rodrigo et Alejandro n’habitant plus au Mexique depuis un moment, cette expérience a été pour eux une sorte de lettre d’amour et d’adieu à leur pays.
Récemment Werner Herzog affirmait : « Finalement, ce qu’un documentaire peut et doit faire, c’est viser vers la poésie, vers une compréhension et une illumination plus profondes de ce qui pourrait être la vérité ».

Caméra : Alexa Mini – Apple ProRes 444
Optiques : Kowa Anamorphiques

 

ENGLISH VERSION

 

499, a poetic balance between reality and fiction

Latin American cinema often uses magical and metaphorical ways to talk about its complex reality. This is the case of the Mexican documentary « 499 » directed by Rodrigo Reyes and photographed by Alejandro Mejía, AMC. The latter received the award for best cinematography at the Tribeca Film Festival and more recently the Golden Frog at the Energa Camerimage in the Docudrama category.
The film confronts two worlds in a somewhat unconventional way : the ghost of a Spanish army soldier, who landed on Mexican soil in Veracruz 499 years ago, finds himself propelled into our present. Like in a road movie, the conquistador crosses again the road he traveled five centuries ago under the orders of Hernán Cortés, from the Atlantic coast to the capital. During his journey, this anonymous soldier meets and listens to the inhabitants of this territory and region by region he discovers what New Spain has become.


We could say that these narrative freedoms are the hallmark of fiction, but in this overwhelming documentary, the ghost of the conquistador juxtaposes the country’s bloody past with a very real present embodied by the testimonies of our contemporaries. The intrinsic violence of the Conquista seems to be unwilling to disappear despite the passage of time. Today, as 499 years ago, the country counts its dead and disappeared by the thousands.
I had the opportunity to speak with Alejandro Mejía, AMC, about his extraordinary work.

– How did you construct the visual universe of the film ?

Alejandro : « 499 » was an experimental bet. The film illustrates a completely surreal encounter : a traveler through time dressed with a 16th century costume in the middle of 2019. We ran the risk of becoming a farce, a joke. The most effective way to give a serious and legitimate tone to the story was through cinematography.
So we stablished a kind of « dogma » throughout the film : a stable camera, as often as possible on a tripod, using only natural light and in an anamorphic aspect ratio. I’m not used to rely too much on precise references to this or that film, our only visual references for this movie were Goya’s paintings and the frescoes by the Mexican muralists showing scenes from the Conquista. 
It was clear to me that the image had to be as accurate and beautiful as possible, so we took the greatest care. We had to be sensitive to the poetry that the space and the characters gave us. I traveled with all my senses on alert.
One of the biggest challenges was to shoot with natural light : in Mexico light is not easy to manage. We shot in May and at this time of the year the light moves faster, it’s rather a hard, white light. So even though we didn’t have time to do location scouting, I knew we had to anticipate these conditions ; I decided to prepare a LUT in advance to better manage the highlights and the contrast. In short, it is necessary to take advantage of the limitations and the unexpected.

– Tell us about your professional path. How has your experience influenced your work as cinematographer for this movie ?

I didn’t go to film school, at first I studied black and white analog photography, I was lucky enough to have Graciela Iturbide as a mentor, her work and that of photographers like Manuel Álvarez Bravo have always influenced me. I spent a large part of my early years studying their way of photographing Mexico and its landscapes. Finaly, my career as a photographer took me to find cinematography.  
During the shooting of « 499 » in particular, intuition played a decisive role. In Mexico everything is unpredictable, you have to be open-minded, ready to adapt to the best and the worst. During the shooting, for example, we would sometimes find, as we were going to the location, a beautiful landscape, a unique light atmosphere, like a cornfield flooded with fog, in the middle of nowhere. We would stop, the actor would quickly put on his costumes and we would shoot. On the contrary, it also happened that the twilight light was beautiful, and we had to leave in a hurry because the area was becoming dangerous.

– In the film, the character of the soldier meets the mothers of the victims, migrants, sicarios (killers), people with very strong experiences. How did you live this experience ?

It was an exhausting emotional and physical experience. We traveled for 6 weeks, we met several people with extremely hard stories, they opened their hearts and confided in us. Empathy and respect were the key to the whole process. In order not to intrude on their intimacy, we chose to be minimalist in terms of equipment. No artificial lighting, the crew had to remain as invisible as possible for them. One of the last interviews of the film was a very heartbreaking testimony of a woman who had lost her twelve years old daughter, this woman has received several death threats,  we had to shoot in a hotel room in Mexico City, the walls were white and the only source of light came from the windows. Given the emotional strength of the sequence, the image atmosphere had to be more dramatic and contrasted than the real conditions of the room. I achieved this by partially adjusting the opening of the curtains and relying on lenses possibilities : the final shot of the sequence was a close up of the soldier,  I put a macro lens on a wide-angle glass so the background becomes distorted and blurred and the selective focus remained on the devastated gaze of the conquistador.

Since Rodrigo and Alejandro have not lived in Mexico for a while, this experience was a kind of a love letter and farewell to their country.

Recently Werner Herzog stated: « What a documentary can and ultimately should do is aim towards poetry, towards some deeper insight and illumination into what might be truth”.

Camera: Alexa Mini – Apple ProRes 444
Lenses : Kowa Anamorphic