Suite à la sollicitation de la CST, l’Union a réfléchi à la réforme de l’Académie des Césars…

Créée en janvier 2019, l’Union est vite devenue très représentative du métier de chef-opérateur. Représentative dans la très grande diversité des pratiques et des secteurs d’activité, mais aussi représentative de toutes les générations et soucieuse de mettre chefs-opératrices et chefs-opérateurs sur le même rang.

Ainsi, la parité est un objectif réalisé au sein du CA de l’Union, qui veille également à la transparence de son mode électif. L’Union ne peut donc qu’approuver que l’Académie des Césars soit dirigée à l’avenir par un CA paritaire, élu de façon transparente.

Comme la parité, la représentation des générations et de la diversité est au cœur de notre association. Malheureusement, on ne peut en affirmer autant du projet de réforme des statuts de l’Académie des Césars, tels qu’ils nous ont été communiqués il y a quelques jours.

Cette réforme semble très peu ambitieuse en ceci : elle ne propose pas de recrutement réellement inclusif. Les femmes, les jeunes cinéastes, la diversité des origines sociales, ne sont toujours pas évoquées, bien que ce mépris par défaut ait été à l’origine des scandales qui ont récemment agité les Césars.

En préambule, il nous semble que le mode d’exécution de la réforme la contredit d’emblée : elle est élaborée depuis le sein même des mécanismes qu’il s’agit de réformer. Le collège actuel des votants (amené à désigner un nouveau CA) est seul appelé à mettre en œuvre sa propre réforme, en établissant les nouvelles règles qui ouvriraient ce même collège. N’y a-t-il pas là contradiction dans les termes ?

Pour notre part, il est important de ne pas perdre de vue ce fait : ces votants, tels qu’ils ont été rassemblés au cours des décennies d’existence des Césars, ne sont pas représentatifs – ni de ceux qui fabriquent les films (artistes ou techniciens, jeunes ou vieux, hommes ou femmes, issus d’ancêtres du Nord ou du Sud), ni de ceux qui vont les voir. Les femmes sont scandaleusement sous-représentées. Les jeunes ne sont admis que parmi les comédiens, et encore, avec beaucoup de condescendance. Quant à la diversité sociale, elle n’est guère qu’un faire-valoir.

L’élargissement du collège des votant.es nous semble donc une nécessité.

Passons-en maintenant aux points saillants que nous avons relevés dans le projet de réforme actuel, appuyé sur l’ancienne définition des collèges de votants :

  1. Collège des Techniciens : admissibilité des “personnes ayant contribué, au cours des 5 années précédant leur demande d’admission, à la réalisation d’au moins trois films cinématographiques de long-métrage admis à concourir pour l’attribution du “César du Meilleur Film”.           Sur ce point, nous relevons particulièrement cette définition pour ce qui concerne le collège des techniciens, mais elle ne nous semble pas moins aberrante sur d’autres collèges. Pourquoi aberrante ? Parce qu’elle nie l’existence de ceux qui font leurs premières armes. Il faut à la plupart d’entre nous des années d’exercice, voire des décennies, pour que nous soit confié un poste d’importance sur un film de long-métrage. Un seul film devrait donc être suffisant à accéder à la forme de reconnaissance que sont, pour les professionnels, la possibilité d’être représentés aux Césars – et de pouvoir voter. Au passage, nous remarquons l’oubli d’au moins une profession parmi celles que les Césars veulent bien distinguer : celle de 1er.e assistant.e caméra. C’est là un des postes indispensables à tout tournage, quel qu’il soit. Or, depuis l’avènement de la prise de vues et de la post-production en numérique, les responsabilités de l’assistant caméra ont été amplifiées. En terme de droit du travail, l’assistant caméra est un cadre. Et cet oubli est souligné par la présence, parmi les postes éligibles, de celui de l’assistant son – assistants image et son constituent un binôme difficilement dissociable, ceci dans toutes les équipes. Distinguer l’un et pas l’autre est un oubli fâcheux, et qui fâche.
  2. Mais élargissons ce débat du nombre de films nécessaires à l’élection dans chacun des collèges de l’Académie : pourquoi ne reconnaître que les “films de long-métrage”, et pas les courts ? Et qu’en est-il des longs-métrages documentaires ? S’ils sont implicitement évoqués dans la dénomination “film cinématographique de long-métrage”, il ne nuirait pas de préciser que les documentaires de création diffusés en salles en font partie. Et élargissons encore aux autres collèges : 5 films pour les acteurs ? 3 films pour les auteurs ? 2 films pour les réalisateurs ? C’est tout aussi aberrant. Nous remarquons au passage que le collège des producteurs est le seul qui reconnaît les courts-métrages, ce qui introduit une discrimination (fâcheuse, là encore) à l’égard de tous les autres collèges. Incidemment, nous remarquons également que le fait d’avoir eu un Oscar reste un cas dérogatoire exceptionnel pour entrer à l’Académie : cela nous paraît une survivance d’un âge révolu, dans lequel les Césars ne sauraient avoir de légitimité que par rapport à leur modèle américain. On n’en est plus là, ne croyez-vous pas ?Bref : Il faut ouvrir ces collèges, et en particulier aux jeunes, et aux femmes, nombreuses parmi les jeunes entrants.Il ne faut plus laisser hors de la représentativité des professionnel.les expérimenté.es qui, dans l’état actuel, peuvent avoir contribué durant des décennies à la cinématographie nationale sans jamais avoir eu voix au chapitre. L’Académie ne devrait-elle pas veiller à offrir à chacun de ses membres, et de façon égale pour tous, une représentation et une visibilité qui rende honneur à chacun.e, et au cinéma produit en France, dans sa globalité ?
  3. Conscients de ce que l’ouverture à un grand nombre de votants rendrait l’équilibre financier difficile à atteindre, nous proposons que le « coffret des Césars » relève désormais d’une mise à disposition numérique (streaming sécurisé, à la validité limitée dans le temps). Cela permettrait aux productions les plus fragiles de figurer dans cette pré-sélection, et assurerait une qualité d’image meilleure (HD). Pourtant, cette possibilité est écartée de la réforme envisagée, au prétexte qu’elle serait impossible à mettre en œuvre sans risque de piratage des œuvres.
    – Cette impossibilité reste à démontrer.
    – Le risque évoqué n’est pas plus grand qu’avec un DVD, dans la mesure où n’importe quel geek de plus de 14 ans sait cracker un DVD et le partager sur le net.
    – Par ailleurs, concernant l’adhésion, nous reprenons ici l’idée d‘Angelo Cosimano, président de la CST, de la scinder en deux : une part obligatoire, pour cotiser en tant que membre de l’académie, et une part facultative, de participation à l’édition du coffret des DVDs des Césars, si celle-ci devait être maintenue (pour mémoire, l’adhésion l’an dernier s’élevait à 90 euros, pour les quelques 4600 membres des collèges ancienne manière).
  4. Encore une aberration : le « César du Public »
    Ce point est un point de détail, mais qui nous permet d’introduire une notion nouvelle, d’importance. Ce César est aberrant car il est soumis à une approche purement quantitative et comptable de la qualité d’un film. Il ne s’agit pas de dénigrer les films grands publics, bien sûr, mais prendre acte de leur qualité sous le seul aspect de leur nombre d’entrées en salle nous semble bien réducteur. L’Académie ancienne manière a bien dû s’en rendre compte, puisque plutôt que d’attribuer ce prix au seul film qui a fait le plus d’entrée, elle a choisi de demander (cette année, en 2020) aux membres de l’Académie de voter parmi les 5 films ayant fait le plus d’entrées en salle, réintroduisant là un peu de possibilité de jugement dans ce prix automatique. Mais il nous apparaît que ce prix pourrait être l’occasion d’introduire parmi les votants un nouveau collège, celui du public, justement.Pour faire participer ce public, on pourrait organiser la sélection de spectateurs, tirés au hasard sur une liste de volontaires. Ce serait aussi l’occasion d’amener un peu de parité dans ces collèges : sur l’ensemble des spectateurs volontaires pour participer au vote, on diviserait ces volontaires entre hommes d’une part, et femmes d’autre part, et tirerait ensuite au hasard un même nombre d’hommes et de femmes. Ces votants pourraient ensuite voter spécifiquement pour le prix du public, au moins pour celui-là – et pourquoi pas, d’ailleurs, pour les autres ?
  5. Pour veiller à la transparence et exclure qu’on accuse une caste mystérieuse d’être seule décisionnaire de l’attribution des prix et de l’organisation de la cérémonie, la liste des votants et leur répartition entre collèges devrait être publique. De cette façon, les Césars feraient la démonstration de leur volonté réelle de sortir d’un entre-soi dont les conséquences (fâcheuses, encore, toujours) n’ont plus à être démontrées.

 

Voilà l’état de nos réflexions à ce jour, réflexions qui se sont faites dans l’urgence, pour répondre à l’invitation de la CST – et à l’injonction du CNC. Nous espérons que les décisionnaires auront pris le temps de les lire. Si nos propositions semblent radicales, ce n’est pas par goût de la provocation. Puisqu’il faut réformer le mode de gouvernance de l’Académie des Césars, faisons-le ensemble, certes, et faisons-le franchement – en incluant parmi les votants une population jeune et diverse, où les femmes seront correctement représentées.

Nous, chefs-opérateurs de l’Union, estimons que les Césars sont une vitrine de notre activité, laquelle nous tient tant au corps et au cœur que même en cette période de crise grave et violente nous n’envisageons pas de l’abandonner.

La cinématographie, sous toutes ses formes, est notre vie.

« Réclamons pour le cinéma le droit de n’être jugé que sur ses promesses » – René Clair