« D’Ocre et de Suie », court métrage de Romain Grésillon.

Le film se passe à la période du paléolithique supérieur, il raconte une rivalité entre deux frères. Dans cette arène particulière, il n’y a que deux sources de lumière : le soleil, et le feu.

Le défi unique de ce tournage était de faire exister une image avec des intentions fortes, en respectant une forme d’épure de la méthode, imposée par une volonté partagée avec le réalisateur, mais aussi par les conditions de tournage – il faut marcher, beaucoup et loin, pour trouver un endroit où un plan large au 25mm ne révèle absolument aucun indice du monde moderne.

Le naturalisme ne m’intéresse pas particulièrement. Je ne cherche pas à reproduire ce que j’ai devant les yeux sur le plateau, mon but est plutôt de créer une image qui véhicule une intention forte et juste, quitte à trahir la réalité pour mieux la reconstruire. Il n’était donc pas question de simplifier à outrance le dispositif au point de l’effacer…

Le travail de la lumière, sur le plateau, était articulé autour de plusieurs principes théorisés en avance avec le réalisateur. Le premier consistait à éclairer entièrement sans électricité. Nous avons donc pris le parti d’éclairer le film entièrement avec des sources « paléo-compatibles ». Lampes de pierre créées par l’équipe déco, torches tenues à la main hors-champs par le chef électricien, Jean Riou (devenu chef pyromane pour l’occasion), et sources bricolées avec bougies double-mèches et papier d’aluminium. Les sources principales étaient souvent visibles dans le champ, et la densité des ombres sur les visages était contrôlée à l’aide d’une source de feu tenue à la main, à côté de la caméra, parfois diffusée pour ralentir le crépitement et adoucir la lumière, parfois non. Le but recherché étant une image dense et contrastée, le choix le plus difficile mais le plus juste était parfois simplement de ne pas céder à la tentation de rajouter de la lumière.

 

En deuxième lieu, j’avais demandé à mon chef électricien de peindre des polys en différentes couleurs qui correspondent à la nature que nous filmions. Les ombres, dans la nature, sont colorées des teintes qui les entourent. Le soleil qui rebondit sur l’herbe prend une teinte verte, très visible dans la nature estivale. Il n’y avait pour moi pas de sens à renvoyer la lumière à l’aide d’un réflecteur blanc, il fallait le faire à travers du vert, du brun, ou du bleu, pour reproduire la richesse des couleurs de la nature. Des polys de différentes tailles avaient été préparés, et nous les avons souvent utilisés, plutôt que de simplement décontraster les ombres, pour créer une deuxième direction de lumière, généralement en opposition avec le soleil. Ainsi, les personnages étaient ramenés à leur environnement, leurs visages rappellant la nature qui les entoure.

 

Enfin, quand la lumière naturelle était trop diffuse, nous utilisions la technique du « negative fill » pour creuser les écarts et renforcer les directions de lumière qui m’intéressaient, en refusant catégoriquement, même sous ciel couvert, une lumière omnidirectionnelle. Les visages des comédiens, tous très photogéniques, devaient être mis en valeur avec leurs aspérités et leurs reliefs, il n’était donc pas question de gommer la moindre ride ou la moindre particularité.

J’ai choisi de tourner le film en Alexa Mini, avec des objectifs Zeiss Super Speed. Je cherchais un couple caméra/optiques qui serait capable de reproduire les textures de la décoration et des costumes en détail, sans perdre le moindre poil de fourrure. Ce qui explique aussi que je n’ai pas filtré l’image. Par choix de texture, le film a été entièrement tourné à 2000 ISO (ce qui nécessitait d’avoir en permanence des ND devant la caméra), et du grain a été rajouté en post-production. La température de couleur était réglée à 4000K, pour refroidir légèrement l’image, ce qui était ensuite compensé par une LUT film qui réchauffait les blancs, afin d’obtenir une image qui soit de tonalité froide (en particulier dans les gammas), sans pour autant donner une impression de « teinture bleue ».

Finalement, l’image devait porter en permanence l’empreinte d’une Nature omniprésente et écrasante. C’est pourquoi, pour accompagner ce dispositif de tournage, nous avons étalonné le film avec une reproduction de traitement sans-blanchiment, accentuant encore plus le contraste déjà très marqué de la prise de vue, et rendant les couleurs moins accueillantes. La sensation visuelle finale en est refroidie et plus hostile, elle durcit les visages et creuse les textures. Parfait pour un film qui met l’homme à la merci de la Nature.

“D’Ocre et de Suie”, de Romain Grésillon.
Produit par Les Films de l’Autre Cougar.
Directeur de la photographie : Maxence Muller – IG @mullermaxence.
Étalonnage : Guillaume Schmitter – IG @guillaume_schmitter.
Chef Électricien : Jean Riou – IG @jeanriou.

Tourné en Alexa Mini / Zeiss Super Speed.