
Reconstitution intime d’un télescopage de la mémoire, When The Phone Rang nous plonge dans le quotidien d’une adolescente, au moment où son histoire personnelle et l’histoire de son pays basculent.
Vu à travers les yeux de Lana, l’éclatement de la Yougoslavie est une réalité lointaine bien qu’omniprésente, précipitant les aléas familiaux et structurant la fin de l’enfance, marquée par un appel téléphonique obsessionnel, annonçant le décès de la grand-mère comme un signe de la fin d’un monde.
Matin DiCicco, directeur de la photographie basé aux États-Unis, a mis en image cette histoire inspirée de l’expérience personnelle de la réalisatrice, Iva Radivojević. Un Super16 vibrant aux cadres posés, sélectionné et primé dans de nombreux festivals avant d’être présenté à la 46e édition du festival Manaki Brothers.
Entretien avec un directeur de la photographie aux talents multiples, également réalisateur de ses propres projets.
– Comment as-tu rencontré Iva ?
Iva et moi nous sommes rencontrés lorsque je l’ai engagée pour monter mon long métrage All That Passes By Through a Window That Doesn’t Open (2017). C’est une monteuse très créative et notre collaboration a été formidable. Par la suite, je l’ai aidée sur les sections new-yorkaises de son film Aleph puis peu après nous avons commencé à discuter de When The Phone Rang.
– Comment a-t-elle esquissé l’idée du film et comment avez-vous abordé la préparation ?
Le scénario initial qu’Iva m’avait montré ne comportait pas beaucoup de dialogues mais plutôt de nombreuses descriptions des lieux et des atmosphères, qui ont toutes influencé les choix de cadrage et la conception du film. Au départ, Iva voulait que le film soit principalement composé de plans rapprochés ou de plans moyens, afin de plonger le public dans l’univers de Lana et des enfants plutôt que d’évoquer le monde extérieur (et le contexte du conflit en cours dans le pays). De là, nous avons commencé à réfléchir à la transition entre les différentes séquences : il y avait toujours des répétitions dans les voix off, il fallait donc réutiliser certaines images que nous avions tournées, comme des souvenirs qui reviennent sans cesse.
– Le choix de la pellicule était-il évident ou l’avez-vous mis en question en comparant avec le numérique ?
Dès le début, Iva avait dit qu’elle voulait tourner ce film en pellicule, il n’y a donc vraiment pas eu de discussion sur un enregistrement numérique. Elle sentait que le grain devait évoquer les souvenirs de cette époque, des souvenirs remémorés ou parfois dérivés à partir de vieilles photos de famille. Tout le film est dicté par des contraintes : un scénario basé sur des souvenirs, un budget minuscule, des costumes, des accessoires et des lieux d’époque, etc. L’idée de nous imposer les limites du tournage sur pellicule était donc plutôt raccord.
Notre coloriste à Athènes, Dmitris Karteris, nous a par ailleurs vraiment aidés à créer une texture qui évoque un souvenir un peu flou : un contraste faible mais qui met en valeur les couleurs vives que nous avons choisies pour les costumes et les décors. Il nous a également aidés à gérer le grain car parfois le 50D est trop net et a besoin d’être un peu sali, et nous avons également dû dégrainer quelque peu nos extérieurs nocturnes tournés en 500T. C’était la première fois qu’Iva et ses producteurs travaillaient en pellicule et, comme le film n’était pas développé pendant le tournage, c’était un peu angoissant d’attendre la fin du tournage pour enfin voir les images. Mais tout s’est très bien passé et nous avons développé et numérisé les images à Budapest, au laboratoire NFI-Magyar FilmLabor. Même s’il n’y avait pas de labo en Serbie, il était important pour nous de travailler avec un laboratoire à proximité. Budapest n’était qu’à trois heures de notre lieu de tournage, ce qui était toujours préférable à l’envoi du film en Allemagne ou ailleurs. Il nous semblait légitime que le film voie le jour dans la région.

– Quelle caméra et quelles optiques as-tu utilisée et qu’est-ce qui a motivé ce choix ?
J’ai apporté mon propre kit Aaton XTRplus en Serbie, c’était la solution la plus logique compte tenu de notre budget limité. J’adore le design et l’ergonomie de l’Aaton.
Notre assistant caméra, Bojan Đurišić, avait beaucoup d’expérience avec les formats 16 et 35 mm mais uniquement sur des caméras Arri, il était donc très enthousiaste à l’idée d’utiliser l’Aaton. Nous avons tourné avec un ensemble d’objectifs Zeiss S16 mk1. Je crois que c’est le premier ensemble conçu pour le Super 16 que Zeiss a commercialisé. Ce sont de bons objectifs, compacts et rapides.
– Tourner à l’étranger est toujours une expérience entre expertise et découverte. Dans quelles villes avez-vous tourné et qu’est-ce qui a motivé le choix des lieux ?
Le film se déroule à Novi Sad et a été tourné dans de nombreux lieux qui existent dans la mémoire d’Iva, comme la boutique de burek, le Panda Video Club et l’immeuble où elle a grandi, où nous avons filmé les enfants qui y vivent. Toujours pour des questions de budget, nous avons dû faire preuve de créativité pour les lieux de tournage et nous avons fini par tourner dans huit endroits différents du quatre pièces que nous avions loué. Chaque jour, nous devions réorganiser le mobilier et les décors pour préparer le tournage du lendemain,mais nous avions une petite équipe fantastique et toute l’équipe s’entraidait.
– Quelle a été ton approche en matière d’éclairage ? Quelle a été la séquence la plus difficile à tourner, que ce soit sur le plan technique ou en mise en scène ?
Nous voulions que tout soit très naturel donc une grande partie du film a été planifiée en fonction de la position du soleil mais, à différents moments, nous avons principalement utilisé la lumière provenant des fenêtres ou d’un M18, et nous avons travaillé en réflection, avec des réflecteurs en diffusion avec des panneaux Lightbridge pour accentuer certains éléments. Je me suis inspiré et j’ai en quelque sorte essayé de reproduire la lumière naturelle des photographies d’époque, principalement celles de Robin Graubard, dont les portraits spontanés et les scènes de rue représentant la jeunesse de l’ex-Yougoslavie entre 1993 et 1995 m’ont beaucoup inspiré pour tenter de reproduire l’aspect de cette époque. Nous avons essayé d’adoucir l’univers de Lana et de celles et ceux qui gravitent autour d’elle, pour les isoler des dures réalités extérieures à l’appartement.

– En parlant plus spécifiquement de ton parcours, qu’est-ce qui est venu en premier, l’envie de devenir réalisateur ou directeur de la photographie ?
Je me suis lancé grâce à mon intérêt pour la photographie, qui m’a amené à travailler pendant plusieurs années comme électro sur des plateaux à Los Angeles : des longs métrages, des clips musicaux, certains incroyables d’autres affligeants. Pour moi, le travail d’électro était beaucoup plus satisfaisant que celui d’assistant caméra car les lieux de tournage étaient toujours différents, les défis techniques variés. Je pense que c’est pour cette raison que je me suis orienté vers le tournage de documentaires à mes débuts, en raison de la grande diversité de personnalités et de lieux, qui changeaient quotidiennement d’un projet à l’autre. Mon envie de réaliser est venue tout simplement de l’idée que je voulais réaliser un film sur les cheminots en Azerbaïdjan. Je pense que c’était un peu en réaction à d’autres films sur lesquels je travaillais en tant que directeur de la photographie, une envie d’essayer quelque chose de différent…
– Quels sont tes prochains projets (en tant que réalisateur ou en tant directeur de la photographie) ?
Je viens de terminer le tournage d’un film-concert pour les réalisateurs Michael Palmieri et Donal Mosher et le directeur de la photographie Jarred Alterman, et je travaille actuellement sur d’autres documentaires qui sont encore secrets pour l’instant.
Je travaille sur un nouveau film depuis bien trop longtemps, environ huit ans maintenant, mais je devrais bientôt terminer le tournage. C’est un film sur l’isolement, les voyages spatiaux et les frontières entre les mondes, tourné en 16 mm et en numérique. Je suis toujours à la recherche de nouveaux films pour collaborer avec d’autres personnes, et je suis toujours ravi d’emporter mon Aaton avec moi dans de nouveaux endroits !
English version
An intimate reconstruction of collided memories, When the Phone Rang immerses us in the daily life of a teenager, at a time when her personal history and her country are changing.
Seen through Lana’s eyes, the breakup of Yugoslavia is a distant yet omnipresent reality, precipitating family upheavals and shaping the end of her childhood, marked by an obsessive phone call announcing her grandmother’s death as a sign of the end of a world.
Matin DiCicco, a US-based cinematographer, brought this story to life, inspired by the personal experience of director Iva Radivojević. A vibrant Super 16 film with carefully framed shots, selected and awarded at numerous festivals before being presented at the 46th Manaki Brothers Festival. Interview with a multi-talented cinematographer who also directs his own projects.
– How have you been in contact with Iva ?
Iva and I met when I brought her on to edit my feature All That Passes By Through a Window That Doesn’t Open (2017). She’s a very creative editor and it was really a wonderful collaboration. Later I helped out a bit on the New York sections of her film Aleph and not long after we began discussing When The Phone Rang.- How did she sketch the idea of the film and how did you approach the movie with this in mind ?The initial script Iva had shared with me was not dialogue heavy, it was heavy with location and atmospheric description that all influenced the shot decisions and design of the film. Primarily, Iva had wanted the film to be mostly close or medium shots, to center the audience within Lana and the childrens’ worlds, rather than seeing the wider world (and the context of conflict in the country). So it was with this perspective began from there to figure out to move from one sequence to another. There was always repetition of voiceover lines, so there always needed to be repetition of images we shot and reused, like memories returning again and again.
– Was shooting on film stock obvious or did you challenge it with digital comparison ?
From the beginning Iva had said she wanted to shoot this on film, there really was no discussion about digital capture at all. She wanted the grain to evoke memories of that time, memories recalled from or sometimes invented from viewing old family photographs. The whole film is kind of dictated by constraints: a script based on memories, a tiny budget, period clothing/props/locations, etc. so the idea on constraining ourselves with the limitations of shooting film, was welcome.
Our colorist in Athens, Dmitris Karteris, really helped us create a texture that could evoke hazy memory: low contrast but instead boosting the bold colors we selected for wardrobe and set design. He helped us a bit with grain management as well, sometimes the 50D is too clean and needed a little dirtying up, and we had to clean up our 500T night exteriors a little as well. This was Iva and our producers’ first time working on film, and without having any dailies or rushes service from the lab during the shooting, it was a bit anxiety-inducing to shoot the whole film and wait until we wrapped to see any frames from it. But it turned out great, we processed and scanned in Budapest at NFI- Magyar FilmLabor, and while there weren’t any labs in Serbia, it was important for us to work with a lab in the region, Budapest was only three hours from our location, rather than ship the film to Germany or elsewhere. It felt right to birth the film in the region.

– What motivated your choices on lenses and camera ?
I brought my own Aaton XTRplus kit over to Serbia, it made the most sense for our slim budget. I love the Aaton’s design and the ergonomics so much. Our camera assistant Bojan Đurišić was quite experienced working on 16 and 35, but only on Arri cameras, so he was quite excited to be on the Aaton. We shot on a set of Zeiss S16 mk1 lenses, I believe this is the first set designed for Super 16 that Zeiss put out. They’re nice, compact, and fast lenses.
– Shooting abroad is always an experience, between expertise and discovery. In which cities did you shoot and what led to the choices of locations ?
The film was set in Novi Sad, shoot at many of the same locations that exist in her memory, the burek shop, the Panda Video Club, and the same apartment block she grew up in where we filmed the kids living in. Again, because of the budget, we had to get a little creative with our locations, and we ended up shooting I think eight different locations in our main 3 bedroom flat we rented. It was constant shuffle of furniture and set design at wrap each day to reset for the next shooting day, but we had a fantastic small crew and everyone helped out cross-departments.
– What was your approach on lighting ? What was the trickiest sequence to shoot, may it be related to technique or mise en scene ?
We wanted everything to be very natural, so much of the film was scheduled around sun position, but at various times it was mostly a key from window light or an M18, and we used lots of bounce, soft bounce or Lightbridge panels to accent. I was looking at and somewhat trying to replicate the natural light in period photographs from that era, chiefly the work of Robin Graubard, whose candid portraits and street scenes of youth in former Yugoslavia in 1993-1995 were quite inspirational in attempting to replicate a look of that era. There was an effort made to have Lana’s world and those orbiting around it to be soft, to be insulated from harsh realities outside the apartment.

– What came first, the will to become a director or a director of photography ?
I came up through an interest in photography and that kinda morphed into working sets as an electrician in Los Angeles for a number of years: features, and music videos- some amazing ones but also some terrible ones. To me I found Electric to be much more satisfying than Camera Assisting because it was always a different location, different rigging challenge, and I think that’s why I had drifted toward shooting documentaries when I was coming up because of the constant carousel of personalities and locations changing with each day of a project. The desire to direct came from simply pursuing one idea I wanted to make about rail workers in Azerbaijan, I think it was a reaction to other films I was DPing, the pursuit of trying to do something different.
– What are your coming projects, as a director or as a dp ?
I’ve just wrapped operating on a concert film for directors Michael Palmieri & Donal Mosher and DP Jarred Alterman, and have been working on some other documentary features that are under wraps for now.
I’ve been working on a new film of my own for way too long, now it’s like eight years, but I should be finishing the shooting of that soon. It’s a film about isolation and space travel and boundaries between worlds, shooting that on 16 and digital. I’m always looking for new films to collaborate with people on, and always happy to bring my Aaton with me to new places !
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