Le but de cet article est de proposer une vision d’ensemble des techniques de prise de vue en couleurs infrarouges disponibles et réalisables avec un appareil numérique. Il ne se veut pas être une bible technique sur le sujet, mais tentera de poser les bases pour offrir à celui qui s’intéresse au sujet un terrain d’expérimentations tangible lui permettant d’atteindre un rendu satisfaisant.

Fondamentaux

La prise de vue infrarouge, souvent utilisée pour produire des images irréelles en noir et blanc, peut également être utilisée pour son interprétation très particulière de la couleur, résultat d’un effet étonnant que l’on appelle parfois « False Colors Infrared » (fausses couleurs infrarouge).

Toute la subtilité du travail en couleurs infrarouge se situe dans le mélange entre lumière visible et lumière dite « invisible » (nous utiliserons ce terme pour définir les longueurs d’ondes infrarouges que le capteur perçoit, mais pas l’œil humain).
En dosant efficacement ces deux types de lumières et en appliquant un traitement numérique optimisé, on obtient une image infrarouge d’un fort impact visuel, que le chef opérateur peux manipuler pour les mettre au service d’un propos artistique.

L’infrarouge couleurs en argentique

La prise de vue en infrarouge noir et blanc existe depuis le début du siècle dernier. L’effet Wood, du nom de son créateur le photographe Robert W. Wood, consiste à rendre la végétation blanche comme neige, et a montré la portée surréaliste de cet effet visuel dès 1910*1. C’est probablement le rendu le plus célèbre et celui qui vient en premier à l’esprit lorsque l’on aborde cette technique photographique.
Les années 40 voient ensuite apparaître la pellicule Kodak Ektachrome Infrared EIR (plus connue et vendue par la suite sous le nom d’Aerochrome III). Ce support argentique, prévu pour toute application qui nécessiterait une réponse à la lumière infrarouge (médicale, scientifique, artistique…) a popularisé l’effet «false colors» que nous allons apprendre à rechercher en numérique. Le photographe le plus notable à avoir utilisé cette pellicule a des fins artistiques est Richard Mosse.

Photographies en Aerochrome III de Richard Mosse.

Au cinéma, citons une séquence du film Alexandre, d’Oliver Stone, photographié par Rodrigo Prieto en 2004. Au cours d’une bataille contre les seigneurs de guerre indiens, Alexandre le Grand (Colin Farrell) est gravement blessé, puis ramené dans sa tente par ses généraux alors qu’il est aux portes de la mort. La séquence débutant lorsque la blessure est infligée est filmée en Aerochrome III, lui donnant un effet magnifique et étrange, comme si la jungle entière était teintée de sang. Utiliser les couleurs infrarouges pour montrer un personnage à la frontière entre la vie et la mort est un très bel exemple des applications sémiologiques possible de cette technique.

Alexandre, Oliver Stone (2004).

Rappel des bases théoriques

Ce qu’on appelle « lumière » est la partie du spectre électromagnétique qui produit une sensation visuelle quand elle est perçue par l’œil humain. Les longueurs d’ondes situées entre 780 nanomètres et 1 millimètre sont dites ondes infrarouges*3 et elles se situent toutes juste au dessus de la partie dite visible du spectre électromagnétique. Parmi les autres longueurs d’ondes que l’oeil ne perçoit pas, on pourra citer en exemple, les ultraviolets ou encore les rayons gamma qui, tous deux, sont placés sur la partie du spectre la plus faible (en dessous de 380 nm).

Pour rappel, le spectre visible se situe entre 390 nanomètres et 710 nanomètres environ*2. La transition entre le spectre visible et le spectre infrarouge n’est pas une rupture nette, les longueurs d’onde les plus rouges de la lumière visible deviennent les plus courtes du spectre infrarouge. La plupart des sources lumineuses que nous connaissons déjà produisent des ondes infrarouges (le soleil, le feu, les éclairages tungsten…), que notre œil ne perçoit pas.
Un capteur numérique, de conception, est capable de percevoir ces longueurs d’ondes, et de les interpréter en signal d’imagerie numérique. Comme la fonction principale d’une caméra de prise de vues réelles est d’interpréter la lumière d’une manière similaire à l’œil humain, les caméras sont équipées d’un filtre IR (aussi appelé « passe-bas », qui empêche justement le capteur de percevoir ces longueurs d’ondes.

Les filtres IR sont caractérisés par la valeur à partir de laquelle ils bloquent la transmission lumineuse. Par exemple un filtre 720 bloque les valeurs inférieures à 720 nanomètres.

Prise de vue

Pour capturer l’infrarouge, deux éléments techniques sont nécessaires. Un appareil dont le filtre anti-infrarouges a été enlevé, et un filtre qui permettra de choisir la proportion lumière visible/lumière invisible que nous voulons isoler. Si l’on choisit par exemple d’utiliser la totalité du spectre visible, la lumière infrarouge deviendra très minoritaire, et aura une influence réduite. A l’inverse, si on utilise un filtre « deep-IR » (infrarouge profonds), l’image sera constituée à 100% de lumière invisible. Le choix du filtre est capital, puisque l’équilibre entre les deux spectres est déterminant dans le rendu. Le reste des choix se situent au niveau du traitement.

Traitement

Si on se contente du résultat natif du boitier, la prise de vue infrarouge n’a pas grand intérêt. Les images sortent comme des monochromes rouges, avec plus ou moins de nuances en fonction du filtrage. Pour obtenir un rendu plus intéressant, plusieurs étapes de post-traitement sont nécessaires, mais nous allons ici nous concentrer sur les deux plus cruciales : le choix de température de couleur, et l’inversion des canaux.

Exemples pratiques

Voici un exemple de photographie infrarouge, prise avec un appareil photo Canon 50D modifié pour percevoir la totalité du spectre visible/infrarouge (ce qui s’appelle une conversion Full Spectrum – spectre entier). Le même cadre est d’abord présenté en prise de vue « normale » (capturée avec un autre appareil), puis en infrarouge « full spectrum » (sans aucun filtrage), avec un filtre 590 nanomètres, un filtre 665 nanomètres, et un filtre 720 nanomètres.

Cadre témoin, pris avec un appareil non modifié.

Photographie en sortie de l’appareil modifié, avec une température de couleur « normale » (5600K).

Full Spectrum /590nm / 665nm / 720m

Les mêmes photographies, avec une première étape de traitement (température de couleur et teinte adaptées à l’infrarouge) :

Full Spectrum /590nm / 665nm / 720m

Toujours les mêmes images, avec une deuxième étape de traitement – l’inversion des canaux de couleur bleu et rouge (l’opération n’est pas faite sur la photo full spectrum, qui ne nécessite pas de traitement supplémentaire, puisqu’elle comporte plus de lumière visible qu’invisible) :

Full Spectrum /590nm / 665nm / 720m

En termes de couleurs, le rendu final est très malléable, et dépend principalement de la première passe de traitement (l’adaptation de la température de couleur et de la teinte). L’image peut aussi être considérée, après inversion des canaux de couleur, comme un « positif » qu’il convient alors d’étalonner. On peut aussi choisir de ne pas inverser les couleurs, ou de les inverser autrement. Les choix sont très vastes, et chacun d’entre eux peut modifier profondément le résultat. C’est pourquoi il convient d’expérimenter pour trouver un rendu précis.

Les techniques décrites ici sont mises en exemple avec un appareil photo pour plus de simplicité, mais les mêmes principes peuvent parfaitement être appliqués à de la prise de vue en vidéo, à partir du moment ou le capteur a été adapté, ou l’on a ajouté des filtres adaptés, et ou l’on a appliqué la même logique de traitement.

Pour conclure, voici quelques exemples de photographies issues de mes propres expérimentations en infrarouge.

Prise avec un filtre 590 nanomètres

Prise avec un filtre 665 nanomètres

Prise avec un filtre 720 nanomètres

 

  • *1 https://en.wikipedia.org/wiki/Infrared_photography
  • *2 https://fr.wikipedia.org/wiki/Spectre_visible
  • *3 https://fr.wikipedia.org/wiki/Infrarouge