Pour son huitième film et demi (il y tient) en collaboration avec Pedro Almodovar, José Luis Alcaine, AEC, a participé à une séance de questions/réponses après la projection du film « Mères Parallèles ». Lors de cet échange avec le public du Camerimage 2021, le chef opérateur a abordé son approche de la lumière et de la couleur, notamment influencées par ses souvenirs d’enfance.

Enfant, José Luis Alacaine grandit à Tanger, où il observait depuis sa chambre comment les ombres et la lumière se transformaient en fonction des différents moments de la journée. C’est dans cette maison d’enfance au Maroc qu’il apprit comment la course du soleil influait sur les couleurs, les visages et les textures. Il nous raconta comment son amour pour la lumière rasante, celle de la fin de journée, était née – et comment la lumière naturelle allait devenir bien plus tard celle qu’il voudrait reproduire.

À la demande d’Almodovar, le tournage se fit dans l’ordre chronologique. Pour gagner en contrôle, le choix d’un décor en studio fut privilégié. Alcaine déteste les Fresnels, il travaille sans cellule (ce qui fait dire à son chef électro qu’il est impossible de travailler avec lui), et préfère se fier à son œil lorsqu’il est question de placer la lumière. Car selon le directeur de la photographie, la source doit toujours être justifiée : que celle-ci provienne de l’extérieur ou de l’intérieur du décor, le spectateur doit ressentir le naturel de la lumière.

Lorsqu’il tourne en extérieurs, Alcaine utilise la lumière naturelle pour porter le récit. Une fois en studio, ce qui fut beaucoup le cas pour « Mères Parallèles », il cherche constamment à reproduire la lumière du soleil. S’appuyant sur ses souvenirs d’enfance, il n’oublie jamais que c’est notre étoile qui illumine et enveloppe les lieux, et que tout le travail consiste à rester fidèle à sa nature.

José Luis Alcaine nous a également conté son amour pour la lumière diffuse, pour sa douceur et l’intérêt de l’utiliser sur les actrices. Il raconta que plus jeune il éclairait en utilisant des parapluies comme réflecteurs, mais que le temps d’installation trop conséquent finit par lui faire abandonner cette technique. Dans les années ’80, alors que personne n’en avait encore eu l’idée, il se mit à utiliser des tubes fluorescents pour éclairer ses films. Il abandonna progressivement cette pratique au fur et à mesure que les éclairages LED gagnaient en qualité et fiabilité. Pour Alcaine, si l’outil évolue, la passion pour la nature diffuse de la lumière reste inchangée.

Vient enfin la question de la couleur, vibrante et vivante tout au long du film, pour laquelle José Luis a une technique toute particulière. Pour « donner du corps à la couleur », selon son expression, il a choisi de travailler avec un diaphragme fermé entre 11,5 et 16. La conséquence fut double : d’une part une profondeur de champ plus importante (et visiblement de nombreux calculs pour son assistant caméra), et d’autre part une couleur plus entière, plus dense, et incroyablement présente toute au long du récit.

« Mères Parallèles » est un film qui parle de transmission, d’héritage, de partage et de retrouver les choses oubliées. Quelle plus belle expérience pouvions-nous espérer que celle de voir un directeur de la photographie tel que José Luis Alcaine, partager avec tant de passion et d’envie son amour pour l’image et pour la lumière ? Ce dialogue entre Alcaine et une nouvelle génération de directeurs et directrices de la photographie fut une merveilleuse illustration de l’importance de la transmission dans notre métier. Ces échanges entre professionel.le.s et passionné.e.s de l’image, pour ne jamais se tarir, doivent absolument être encouragés. Car c’est aussi ça, le Festival Camerimage.

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ENGLISH VERSION
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For his 8th and a half (it’s important to him) collaboration with Pedro Almodovar, José Luis Alcaine, AEC, has participated to a Q&A session after the projection of the film « Parallel Mothers ». During this discussion with the Camerimage audience, the cinematographer talked about his approach to light and colour, which were particularly influenced by his childhood memories.

As a child, José Luis Alcaine grew up in Tangier, where he observed how shadows and lights were transforming depending on the different times of day. In this childhood house in Marocco, he learnt how the sun journey influenced colours, faces and textures. He told us how his love for grazing light, at the end of the day, was born – and how natural light would become years later the one he would want to reproduce.

Almodovar asked that the film was shot in chronological order. To have a better control, it was decided to film in a sound stage. Alcaine hates Fresnel lights, he works without a meter (for this reason his gaffer says that it’s impossible to work with him), and will rather use his eye when it comes to place a light. For according to the cinematographer, the source must always be justified: should it come from outside or inside of the set, the viewer must feel how natural the light is.

When filming outside, Alcaine uses natural light to tell the story. Once in the sound stage, which was the main situation for « Parallel Mothers », he always tries to reproduce the light of the sun. Inspired by his childhood memories, he never forgets that our star illuminates and envelops the places that are filmed, and all the work consists in staying true to its nature.

José Luis Alcaine also told us about his love for diffused light, for its softness and the benefit of using it on actresses. He told us that when he was younger, he used to light by using umbrellas as reflectors, but this time consuming process eventually forced him to change his way of working. In the 80’s, when nobody had had the idea yet, he started to use fluorscent tubes to light his films. He progessivily gave up using them as the LED lighting systems were getting more and more reliable. To him, the tool indeed evolved, but the passion for the diffused nature of the light remained unchanged.

To achieve a color this bright and vivid all along the movie, José Luis had a very personnal process. To « give body to the color », as he said, he chose to work with at a T-Stop between 11,5 and 16. Which ended up with a double result : an increased depth of field (and a lot of calculation for his camera assistant) in one hand, and a brighter, denser and more intense colour all along the film on the other hand.

« Parallel Mothers » is a movie about transmission, heritage, sharing and rediscovering forgotten things. What better experience could we hope for than the one where a cinematographer like José Luis Alcaine shares with such passion and enthusiasm his love for images and lighting ? This dialogue between Alcaine and a new generation of cinematographers was a wonderful illustration of how important it is to share knowledges in our craft. This transmission between passionate professionals should never run dry, and should even be promoted. For this is also what the Camerimage Festival is about.