
Une conférence particulièrement attendue a été donnée par Florine Bel, Color Scientist chez MPC. Peu connu du grand public, ce métier joue un rôle central dans la chaîne de production des images, en assurant la cohérence et la fidélité colorimétrique des œuvres audiovisuelles.
Un métier hybride entre science et création
Florine Bel a ouvert sa présentation en expliquant la nature de son travail, qui oscille entre technique et esthétique. Contrairement à la personne en charge de l’étalonnage, qui intervient en post-production pour ajuster l’image et lui donner son intention finale, le ou la Color Scientist travaille en amont sur la gestion des espaces colorimétriques et l’élaboration de LUTs spécifiques aux projets. Cette fonction accompagne aussi bien les directeurs et directrices de la photographie que les superviseur·euses d’effets visuels dans la mise en place d’un workflow colorimétrique adapté.
L’origine du métier remonte à l’époque de l’argentique, où les laboratoires possédaient des expert·es en chimie de la couleur. Aujourd’hui, avec l’essor du numérique et des tournages multicaméras, la gestion colorimétrique s’est complexifiée, nécessitant une expertise poussée sur la calibration des capteurs, la gestion des conversions entre espaces colorimétriques (ACES, Rec.709, Rec.2020, sRGB, etc.) et l’optimisation des flux de travail entre captation, post-production et diffusion.
De la captation à l’image finale : une chaîne colorimétrique rigoureuse
L’un des points fondamentaux de la conférence a été la démonstration de la chaîne colorimétrique d’un film, depuis la captation jusqu’à la diffusion. Florine Bel a illustré chaque étape avec des cas concrets :
- Pré-production : choix du capteur et calibration des caméras selon l’espace colorimétrique défini pour le projet.
- Tournage : mise en place des LUTs de tournage pour que l’équipe voie une prévisualisation du look final sur le moniteur, sans altérer les fichiers sources.
- Post-production : ajustements dans des environnements de travail linéaires (ACES) permettant d’assurer une conversion fidèle des images vers différents espaces de projection.
- Diffusion : adaptation du master final aux différentes normes d’affichage (cinéma DCI-P3, SDR, HDR Dolby Vision, télévisions grand public, plateformes de streaming).
Elle a insisté sur l’importance d’un contrôle rigoureux des LUTs et de l’étalonnage des écrans pour garantir une restitution fidèle des couleurs, indépendamment du support final.
Les défis du workflow moderne : HDR, métadonnées et textures dynamiques
Avec la montée en puissance des formats HDR et des écrans de plus en plus sophistiqués, la gestion colorimétrique devient encore plus complexe. Florine Bel a abordé la nécessité d’une adaptation dynamique des LUTs en fonction de la plage dynamique du support de diffusion. Elle a également évoqué la technologie des textures dynamiques intégrées aux nouvelles caméras, notamment sur les capteurs Sony Venice et Alexa 35, qui permettent d’appliquer une courbe de rendu dès la captation.
Un point central de la discussion a concerné l’évolution de la standardisation des workflows ACES et la manière dont les professionnel·les de l’image peuvent s’approprier ces outils sans sacrifier la direction artistique du film. Florine a illustré cela en montrant comment des ajustements subtils dans la chaîne colorimétrique peuvent éviter des problèmes de métamérisme ou de désalignement des espaces chromatiques lors du passage en VFX.
L’apport des sciences cognitives dans la perception de la couleur
Au-delà de la technique, Florine Bel a insisté sur la nécessité de comprendre la perception humaine de la couleur. Elle a démontré comment notre œil ajuste en permanence son interprétation des teintes en fonction du contexte lumineux et des couleurs environnantes.
Cet aspect est primordial dans l’étalonnage et la création des LUTs, notamment pour préserver la cohérence des contrastes et des températures de couleur tout au long d’un film.
Une approche scientifique pour préserver l’intention artistique
La conférence de Florine Bel a mis en lumière l’importance de la gestion colorimétrique comme pont entre la captation et la diffusion des images. Alors que l’étalonnage repose sur une sensibilité artistique, le rôle du ou de la Color Scientist est d’assurer un cadre technique permettant de respecter cette intention créative sur l’ensemble du pipeline de production.
Pour les professionnel·les de l’image, cette expertise représente un atout précieux dans la maîtrise du rendu final. Comprendre la logique des conversions colorimétriques, anticiper les défis liés aux différents espaces couleurs et savoir dialoguer avec un·e Color Scientist deviennent des compétences clés dans un paysage audiovisuel en pleine mutation.
En effet: comment préserver une cohérence esthétique dans un monde où les supports de diffusion varient radicalement, d’un écran de cinéma calibré au smartphone de la spectatrice, ou du spectateur?
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