Depuis 20 ans, les anciens élèves de l’IFFCAM – l’Institut Francophone de Formation au Cinéma Animalier – se retrouvent au Festival International du Film Ornithologique de Ménigoute (FIFO).

Ce festival, qui fête aujourd’hui sa quarantième édition, s’est élargi à tous les films animaliers, et de nombreux « Iffcamiens » y présentent leurs films en compétition. C’est lors de cette édition 2024 que nous avons pu rencontrer trois de ces « chasseurs d’images » animaliers pour parler de leur métier.

Leïla Migault, Hugo Braconnier & Basile Gerbaud au FIFO 2024

Vous êtes tous les trois chef.fes op animalier mais j’ai pu voir que vous aviez aussi tous réalisés vos propres films, c’est courant ?

Leïla Migault (promo 2018)

Oui ça l’est, c’est un métier où il faut toucher à tout si tu veux pouvoir en vivre. On écrit, on fait de la réal, on cadre et il nous arrive aussi de faire de la prise de son.

Basile Gerbaud (promo 2011)

On le fait par la force des choses: les budgets de certaines chaînes francophones nous obligent à cumuler plusieurs postes et comme souvent c’est l’image qui nous a amené à faire de l’animalier, beaucoup d’entre nous deviennent réal-chef op.

Hugo Braconnier (promo 2014)

Nous, avec mon frère Nathan, on est beaucoup plus chef op que réal. On s’est fait connaitre avec nos techniques de prise de vue sur certains animaux sauvages et pour mieux en vivre on tourne aussi beaucoup pour notre propre banque d’images.

De toutes les techniques de tournage, l’affût est certainement la plus symbolique de votre métier. Est-ce essentiel quand on parle de film animalier ?

Hugo Braconnier

Ça dépend de quelle espèce on parle et surtout où on va la filmer.

Leïla Migault

En France, on n’a pas le choix, il faut faire de l’affût pour filmer les mammifères sauvages. La pression de la chasse est tellement forte que les animaux sont automatiquement farouches.

Basile Gerbaud

Faire de l’animalier sauvage en Europe est beaucoup plus dur que dans toutes autres régions du monde. Un renard d’ici n’a pas du tout le même comportement qu’un renard en Sibérie.

Hugo Braconnier

Lors de notre premier film en Alaska nous n’avons pas eu besoin de faire d’affût car la curiosité des animaux à notre égard les faisait se rapprocher. D’ailleurs, la technique était inverse; on évitait de se dissimuler pour susciter leur curiosité.

C’est quoi vos techniques d’affût ?

Leïla Migault

Ça peut être une tente toute faite mais le plus souvent on se construit une petite cabane avec ce qu’il y a sur le terrain: des branches, de la mousse, des fougères.

Basile Gerbaud

L’affût c’est beaucoup de bidouille de terrain, ce que l’on recherche avant tout c’est de « casser » sa silhouette.

Hugo Braconnier

Ça dépend vraiment du milieu, de la météo et du temps d’affût. Si tu dois y passer la nuit, tu privilégieras la tente pour éviter d’avoir froid. Il y a aussi des chaises qui sont équipées d’un toit pour la pluie, c’est super pratique mais c’est aussi très lourd donc pas le genre de matos que tu peux trimballer en montagne.

Quand vous arrivez sur un nouveau site pour filmer une espèce comment procédez-vous ?

Hugo Braconnier

La première journée on ne filme pas tout de suite. On fait du repérage, on trouve les meilleurs points de vue, les meilleurs cadres puis on observe le comportement de l’animal, ses habitudes.

Leïla Migault

Ça c’est quand on a du temps mais le plus souvent on a 3 jours pour une séquence de 5 minutes. Une fois on m’a demandé une demi-douzaine de comportements chez le renard. On le sait qu’on ne va pas y arriver en 3 jours donc on est obligé d’y passer plus de temps.

Hugo Braconnier

Quand on sait que le tournage va durer plus longtemps que les jours prévus par la prod, ce qu’on demande maintenant c’est de garder les droits sur nos rushes. C’est un bon deal quand tu ne comptes pas tes jours de tournage.

Quel est l’animal le plus fameux que vous ayez filmé ?

Leïla Migault

Moi je m’extasie sur un simple rouge-gorge alors…(rire)

Basile Gerbaud

C’est beaucoup plus satisfaisant de filmer un rouge-gorge dans une superbe lumière qu’un ours dans un cadre pourri. C’est la magie du moment capturé qui est important pas l’animal.

Hugo Braconnier

Un jour, on devait ramener une séquence de phoque en Ecosse, le réal souhaitait des images d’un comportement qui avait été observé mais jamais filmé. On a passé quinze jours en plein hiver sur une île gelée dans une météo merdique, on a rien vu. Puis la veille du départ, on a réussi à chopper la fameuse séquence: là c’est très fort comme sentiment.

Basile Gerbaud

J’ai souvenir d’un film que j’ai fait sur les bisons en Pologne, j’attends des jours sans rien voir puis d’un coup il y en a cinquante qui débarquent de nulle part. Je suis dans mon affût, je me crois bien caché et pourtant les voilà qui tournent tous leurs têtes vers moi. Je me disais en voyant leur allures primitives: « Dans 5 secondes, soit ils me chargent soit ils continuent leurs vies… » (rire)

Leïla Migault

J’aime aussi observer des animaux qui gravitent autour de mon affût. Ça peut être un insecte qui se balade sur mon trépied, un oiseau qui se pose sur le pare-soleil ou alors l’écureuil qui se met à m’engueuler parce que je lui ai fait peur (rire)

Basile Gerbaud

Moi, c’est un petit campagnol qui s’est installé dans mon abri, près de moi, bien au chaud.

Vous appuyez vous sur les scientifiques qui vous accompagnent pour trouver les bons spots ?

Hugo Braconnier

Souvent il faut s’en méfier car leurs conseils rejoignent rarement la belle image.

L’autre jour nous devions filmer des chauve-souris, les biologistes nous renseignent sur un gite (niche) où vivent des milliers d’individus. C’était parfait pour leurs données, sauf qu’elles sortent d’un trou dégueulasse dans une paroi encore plus moche. Non loin, il y avait un autre gite avec quelques dizaine de chauve-souris mais elles étaient accrochées sous un magnifique petit pont en pierre. C’est là qu’on a posé notre caméra.

Y a t il des tournages particulièrement difficiles ?

Basile Gerbaud

Pour mon film sur les castors, je faisais un affût de nuit à la lumière infra-rouge. Je regardais mon écran de retour, dans le noir le plus complet, toujours la même image pendant des heures. Au bout d’un moment, avec la fatigue, j’ai commencé à avoir des hallucinations.

Leïla Migault

J’ai fait un film en mode « spéléo » sur le monde souterrain, un moment donné après une dizaine d’heures passé sous terre, j’étais complètement désorienté, je n’arrivais plus à retrouver mon chemin, je n’avais plus la notion du temps, je ne savais plus si j’avais faim ou envie de dormir. J’étais mal.

Basile Gerbaud

Les changements de rythme sont courants en animalier. Tu démarres ta journée avec une shotlist de plans de coupe, tu n’arrêtes pas d’engranger du rushes puis tout d’un coup tout s’arrête: tu es dans ton affût et tu patientes devant l’écran de ta caméra pendant des heures.

Comment vous êtes-vous fait connaitre ?

Hugo Braconnier

Nous, clairement, c’est le bouche à oreille qui nous a fait connaître. Les élèves de l’IFFCAM savaient qu’on avait beaucoup d’images sur le « pic noir » donc dès qu’un film avait besoin d’un « pic noir » ils venaient nous voir.

Depuis quelques années avec mon frère Nathan on fait énormément d’images de chauve-souris. C’est très technique, on a fait enlever les filtres infra-rouge de nos cameras et maintenant les prod savent que s’il y a de la chauve-souris on appelle les « frère Braco ». Au Festival FIFO de cette année il y a 3 films français avec de la chauve-souris: ce sont nos images…

Basile Gerbaud

Quand l’un d’entre nous réalise une séquence ou un film autour d’un animal en particulier, le réseau des anciens élèves de l’IFFCAM, les « Iffcamiens » se donnent le mot. Les animaux reviennent d’un film à l’autre donc on en devient des spécialistes malgré nous. Par exemple, une prod m’a appelé pour me dire qu’ils avaient tapé « documentaire castor » sur Google et ils sont tombés sur mon premier film. Alors ils m’en ont proposé un pour France 5, c’est cool…

Comment avez-vous découvert l’IFFCAM ?

Hugo Braconnier

Je suis du coin et j’ai grandi avec le festival de Ménigoute. Ado, j’y étais bénévole et quand l’IFFCAM s’est installé dans la commune à côté, j’ai fait mon stage de 3ème avec la première promo. Les étudiants venaient filmer les animaux sauvages chez moi, sur l’exploitation familiale.

Au lycée, j’ai cassé ma tirelire pour une Canon XM2 et je venais voir les professeurs de l’IFFCAM  pour leur montrer mes images. Après avoir passé mon BTS de Gestion et protection de la Nature (GPN), c’est tout naturellement que je suis rentré dans cette école.

Leïla Migault

Je ne savais pas dans quoi, mais je voulais bosser en pleine nature. Vers quinze ans j’ai découvert la photo macro en photographiant les papillons dans le massif central. Après le bac, j’ai fait aussi le BTS GPN où j’ai connu Hugo (Braconnier). Ensuite je suis partie quelque temps travailler à l’étranger et à mon retour, Hugo m’a parlé du master de l’IFFCAM qu’il venait de terminer: ça m’a trop motivée.

Basile Gerbaud

Moi j’étais passionné de cinéma et je voulais devenir réalisateur… mais comme si j’avais dit vouloir devenir astronaute, sans vraiment y croire. Après le lycée j’ai fait une fac de bio jusqu’à obtenir une licence de biologie des organismes. Une année, nous devions faire la présentation d’une structure liée à la nature et l’environnement et c’est un pote qui a trouvé le sujet: une école de documentaire animalier dans les Deux-Sèvres. Nous étions trois à faire cet exposé; on a tous fait l’IFFCAM ensuite.

Quel matériel utilisez-vous habituellement ?

Basile Gerbaud

J’ai un kit perso de dépannage: un boitier Panasonic S1, un 24-105 Lumix et le 150-600 Tamron. Sinon généralement je fais tout louer par la prod; en ce moment c’est beaucoup le duo FX6 & Alpha 7SIII avec le 200-600 Sony pour l’animalier. Ce sont des cameras super sensibles, bien pratiques pour nos plans en fin de jour.

Leïla Migault

Comme Basile, j’ai un kit de dépannage; un GH4 et un GH5s puis des optiques Canon que j’adapte: le 50mm, un 100mm macro, un 16-35mm et un télé 150-600mm. J’ai un stabilisateur Ronin et un drone DJI. Aujourd’hui j’utilise surtout le matériel des prods: souvent les Sony FX.

Hugo Braconnier

Toujours avec mon frère, on s’est bien équipé: en objos Canon, on a le 600, le 200-400, le 70-200 et le 24-70. On a aussi un 24mm Laowa. En camera: 2 Alpha 7SIII et une EVA One. Et puis, on s’est construit nos propres grues sur lesquelles on met un Ronin RS qu’on pilote avec une manette de PS4. On gère le point avec une commande Tilta Nucleus M.

Basile Gerbaud

Pour mon film sur les escargots, j’étais forcément avec de la macro. On avait le fameux « probe » (24mm Laowa) pour faire les effets de mouvements de grue, on avait le 100mm macro Laowa qui est très chiant à utiliser mais qui, une fois bien calé, te permet des grossissements impressionnants avec son rapport x2 et le 180mm macro de chez Canon. J’utilisais aussi parfois un boîtier GH pour profiter du capteur micro 4/3.

FILMOGRAPHIE SELECTIVE:

 

Leïla Migault en cheffe op
-Le pont de la Bastei, la nature rêvée – Réalisation : Augustin Viatte- Production : Le Cinquième Rêve / Arte – 43′
-Alhambra, une oasis en héritage– Réalisation : Samuel Guiton- Production : Le Cinquième Rêve / Arte – 43′
-Pura vida, au pays de l’or vert – Réalisation : Collectif IFFCAM- Production : FIFO Distribution – 52′
https://www.youtube.com/watch?v=3Sxyy9wxa94 

 

Hugo Braconnier en chef op
-Les châteaux de la Loire, le bestiaire des rois – Réal  Guilaine Bergeret – Prod : Le Cinquième Rêve / Arte –43′
-Dr Pic Noir, Urgence des bois – Réal: Ariane Lamarsaude et Samuel Toutain – Production : Roche/ France 5 – 52′
-L’arbre qui cache la forêt: Le Chêne d’Europe – Réalisation Aurélie Saillard – Production Cinétévé / Arte – 52′
https://vimeo.com/364339303

 

Basile Gerbaud en réalisateur / chef op
-Castor – La force de la nature  Production France TV studio / France 5 – 52′
-Les immortels – Production Guindala / Ushuaïa TV – 52′
-Triskell – Bretagne sauvage – Production Artisans Du Film / France 3 Bretagne – 52′
https://www.youtube.com/watch?v=myTwE7Q4xIQ

 

Institut Francophone de Formation au Cinéma Animalier

https://iffcam.net/

Festival International du Film Ornithologique de Ménigoute

https://www.menigoute-festival.org/accueil.html